Cameroun : enquête sur l’assassinat non élucidé d’Éric Lembembe, martyr de la cause LGBT

Le corps d’Éric Lembembe, militant des droits des lesbiennes, gays, bisexuels et trans (LGBT), a été découvert, le 15 juillet 2013, mutilé et en partie brûlé. Huit mois plus tard, l’enquête est toujours au point mort, au grand dam de son entourage.

Éric Lembembe, retrouvé assassiné le 15 juillet 2013. © DR

Éric Lembembe, retrouvé assassiné le 15 juillet 2013. © DR

MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 7 mars 2014 Lecture : 7 minutes.

C’est dans un quartier modeste de Yaoundé, mi-janvier, à deux pas de la mosquée, que nous rencontrons la mère d’Éric Lembembe, retrouvé assassiné le 15 juillet 2013. Des enfants se baladent dans une allée défoncée, entre les maisons. À l’intérieur de l’une d’elles, dans la pénombre, quelques amis d’Éric, militants de la cause LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenre), sont venus soutenir la famille du disparu. 

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L’émotion est palpable. Enfoncée dans un fauteuil, face à la fenêtre qui donne sur la rue, Marie-Thérèse, la mère d’Éric, s’interroge sur l’utilité de revenir, une nouvelle fois, ‘sur des faits qui n’intéressent personne, et surtout pas la justice, au Cameroun". Ce qui la rend moins malheureuse, c’est de voir qu’Éric survit, un peu, à travers ses amis. Pour le reste, elle n’a plus réellement d’espoir.

Huit mois après la mort de son fils, malgré l’assurance du ministre de la Communication de faire la lumière sur cette affaire, malgré la pression internationale, l’enquête, sur laquelle Jeune Afrique fait le point, n’a apporté aucune réponse.

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1. Comment le corps a été découvert

Marie-Thérèse se souvient de ce jeudi 11 juillet, lorsqu’elle arrive à Yaoundé en provenance de son village. Elle doit voir son fils le lendemain matin, vendredi, avant qu’il ne parte au travail. Un simple bonjour, furtif, avant de repartir de la capitale le samedi matin. Mais, le soir même, après avoir vu des amis jusque minuit, Éric disparaît.

Sur le corps, il y avait des traces de violences, de torture, de brûlures.

Michel, Ami d’Éric Lembembe

Ce n’est que le lundi que son corps sera découvert, par deux amis, qui militaient à ses côtés au sein de l’association Camfaids, qui milite pour les droits LGBT. "Nous sommes venus le samedi mais personne ne répondait alors nous avons fait demi-tour", explique Michel. "Lundi, quand nous sommes revenus, rien n’avait bougé, seul l’odeur nous a alertés", confie-t-il. Ils préviennent aussitôt la police, sans tenter d’entrer. Et pour cause, la porte est verrouillée par un cadenas, "de l’extérieur".

Arrivés sur place, les policiers investissent les lieux, suivis par les deux témoins. "Il n’y avait pas de traces au niveau de la chambre", expliquent ces derniers, qui se souviennent de la façon dont le corps avait l’air "d’avoir été déposé", un peu en travers du lit, comme si on l’avait auparavant "porté sur l’épaule". "Sur le corps, il y avait des traces de violences, de torture, de brûlures", se remémorent-ils encore.

Pourtant, les policiers ne font pas de constat et, surtout, ne prennent aucune photo. "On a simplement plié le drap avec le corps dedans et on l’a déposé à l’extérieur ", témoigne Michel.

2. L’énigme de l’autopsie

La seule photo du corps disponible aujourd’hui a été prise par un des proches d’Éric, lorsque celui-ci a été amené à la morgue. Le cliché, que Jeune Afrique a en sa possession, ne peut à lui seul donner d’indications sur la cause de la mort. Si les témoins font état de traces de mutilation et de brûlures, sur le seul document établi à la suite de l’examen du corps, le certificat de genre de mort (voir le document), il n’y est fait aucune mention. Tout semble y indiquer une mort naturelle.

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Pourquoi le médecin de l’hôpital général de Yaoundé a-t-il laissé libre le champ censé préciser les causes du décès ? "Vu l’état du corps, il était difficile de faire des constatations", explique Me Saskia Ditisheim, qui suit l’affaire pour Avocats sans frontières et qui a demandé l’expertise, à partir de la photo, d’un légiste suisse. Celui-ci constate notamment (voir le document ci-dessous) que "seule une autopsie pouvait, éventuellement, compte tenu de l’état du corps au moment où il a été amené, déterminer les causes voire les circonstances du décès". "Je ne pense pas qu’ils aient les moyens techniques et scientifiques et il y a peut-être un manque de volonté", explique Me Ditisheim.

Éric LEMBEMBE Attestation by MathieuOlivierJA

"Le légiste agit comme sous l’action invisible d’une autorité qui lui a enjoint le silence", confie un activiste de Yaoundé, qui suit de près le dossier. "Nous ne sommes même pas sûrs que l’autopsie ait eu lieu", se désole quant à elle la mère du défunt. Marie-Thérèse ajoute : "J’ai demandé les résultats de l’autopsie, le docteur m’a dit de m’en remettre à Dieu".

3. La réponse des autorités camerounaises

Le 19 juillet à la télévision, le porte-parole du gouvernement et ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, assurait que "le gouvernement [saurait] prendre ses responsabilités (…) afin que toute la lumière soit faite" sur le meurtre. "Une autopsie a d’ores et déjà été ordonnée et des réquisitions adressées aux opérateurs de téléphonie mobile en ce qui concerne les communications téléphoniques du défunt", déclarait-il.

J’ai demandé les résultats de l’autopsie, le docteur m’a dit de m’en remettre à Dieu

Marie-Thérèse, Mère d’Éric Lembembe

On sait ce qu’il en est de l’autopsie (voir point précédent). Quant aux communications téléphoniques, elles ont peu de chances d’aboutir. En effet, dans de nombreux cas de plaintes déposées par des militants LGBT pour menaces, la police découvre que les appels sont passés via des numéros prépayés, qu’il est ensuite quasiment impossible de retracer.

L’enquête semble d’emblée se diriger vers les amis de la victime, avec qui il a passé la soirée du vendredi. Trois d’entre eux ont ainsi été placé en détention fin juillet, les autorités déclarant avoir en sa possession de sérieuses preuves faisant d’eux des témoins-clés de l’affaire. "La police s’est orientée vers le milieu LGBT", explique Serge. "La volonté d’entreprendre des investigations sur une autre piste n’a jamais été manifeste", ajoute-t-il. "Ils n’ont jamais enquêté à son travail où il était pourtant jusque 16 heures, le jour de sa disparition", confie un des amis d’Éric, qui ajoute : "On a essayé de leur donner toutes les pistes mais ils avaient déjà leur idée".

La police s’est orientée vers le milieu LGBT

Serge, Directeur d’Affirmative Action

"Le seul acte de procédure engagé par le juge d’instruction à ce jour est une ‘citation à témoin pour être inculpé et interrogé sur les faits de vol aggravé mis à sa charge’ signifiée par huissier le 17 octobre 2013 à six personnes proches de la victime", précise la Fédération internationale des droits de l’Homme, dans les conclusions préliminaires d’une mission effectuée en janvier dernier.

Parmi les "proches" visés par le document, que Jeune Afrique a pu consulter : Marie-Thérèse Lembembe, la propre mère du défunt. "On m’a demandé comment j’avais vécu avec mon enfant, s’il était journaliste, s’il cherchait les problèmes". Interrogé sur cette citation à témoin, le juge d’instruction en charge a évoqué une erreur de procédure. Les avocats espèrent sous peu avoir accès à l’intégralité du dossier.

4. Et maintenant ?

Si peu s’autorisent à le dire aussi clairement, personne ne semble aujourd’hui espérer voir éclater la vérité sur l’assassinat d’Éric Lembembe. Huit mois après les faits, trop de pistes restent inexplorées. L’ordinateur du militant ayant été dérobé à son domicile et les conversations téléphoniques étant difficilement exploitables, les menaces reçues restent un mystère. D’autant que la victime elle-même, habituée du climat hostile envers les militants LGBT, n’y prêtait pas grande attention. "Il les a toujours pris à légère, il était très jovial à cette période", se souviennent ses amis.

Ça m’étonne qu’Éric soit mort là, je l’aurais entendu

Une voisine, Témoignage recueilli par un proche

Mystère également en ce qui concerne le lieu du meurtre. La chambre n’ayant pas été endommagé, et aucune trace de sang n’étant visible sur les photos, que Jeune Afrique a en sa possession, le corps aurait pu être déplacé. De plus, une jeune voisine aurait déclaré, dans un témoignage à un ami de la victime : "Ça m’étonne qu’Éric soit mort là, je l’aurais entendu."

Surtout, la piste de l’entourage LGBT, et du potentiel crime passionnel, paraît bien mince. Pourquoi poser un cadenas à l’extérieur du domicile si ce n’est qu’on a cherché, méthodiquement, à faire croire qu’Éric ne se trouvait pas à l’intérieur, pour retarder la découverte du meurtre ?

C’est un signal fort que ses assaillants ont envoyé aux activistes

Serge, Directeur d’Affirmative Action

"Les marques sur son corps témoignent d’un acharnement réel", soulinge encore Serge. "Il était une cible, peut-être d’un point de vue personnel, mais aussi d’un point de vue plus large, c’est un signal fort que ses assaillants ont envoyé aux activistes", ajoute-t-il. Stéphane, autre militant de Yaoundé, énonce ce que beaucoup ont pensé à la vue du cadavre : "Au regard des mutilations, ça peut difficilement être un crime passionnel". Et de conclure : "’Ils n’aimaient pas le corps."

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Par Mathieu OLIVIER, envoyé spécial à Yaoundé

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