Lutte anticorruption en Ouganda : les « lundis noirs » de Kampala
Pour combattre la corruption qui mine la vie des Ougandais et assèche les finances publiques, l’ONG locale ActionAid Uganda organise depuis fin 2012, chaque premier lundi du mois, le « Black Monday ». Cette manifestation tout en noir dans les rues de Kampala et des autres villes du pays veut adresser un message ferme aux autorités, souvent jugées complices. Entretien avec Arthur Larok, l’un des instigateurs du mouvement.
Malgré des indicateurs économiques au beau fixe, un doublement du revenu national en une décennie et la découverte d’importantes réserves pétrolières au lac Albert, les investisseurs internationaux continuent de bouder l’Ouganda et le niveau de vie de la population décolle lentement. La faute revient à une corruption endémique qui pèse lourd sur les finances du pays. En 2013, après des révélations de détournements massifs des fonds de l’aide internationale, l’Ouganda a dû rembourser plus de 15 millions de dollars (11 millions d’euros) à plusieurs donateurs, dont le Royaume-Uni, la Norvège et la Banque mondiale.
À l’intérieur aussi, la colère gronde, et la société civile demande des comptes. Depuis novembre 2012, des manifestants, vêtus de noir en signe de "deuil des deniers publics engloutis dans la corruption", envahissent les rues de Kampala chaque premier lundi du mois. "Rendez-nous notre argent et démissionnez", scandent les militants de ce mouvement baptisé Black Monday ("lundi noir"), une coalition d’ONG et de groupes de citoyens qui dénoncent l’inaction des autorités face au problème. Arthur Larok, président de l’antenne ougandaise du réseau humanitaire ActionAid International, est à la pointe du combat et est l’un des instigateurs des "lundis noirs" de Kampala.
Jeune Afrique : Quels sont les origines et les objectifs du mouvement Black Monday ?
Arthur Larok : Le Black Monday se définit comme un mouvement citoyen, non affilié aux partis politiques, créé par des organisations issues de la société civile pour lutter contre les injustices et les atteintes à notre dignité directement causées par la corruption. L’idée nous est venue de former cette coalition après une série de scandales de corruption de grande ampleur ces dernières années. En plus des détournements de l’aide internationale et des fonds pour la lutte contre le sida, ce sont 67 milliards de shillings (19 millions d’euros) destinés aux retraites qui se sont volatilisés au ministère de la Fonction publique. Les coupables n’ont pas été punis pour leurs actes. Les citoyens en ont eu assez.
Les sympathisants du Black Monday militent pour la marginalisation complète des personnalités éclaboussées dans les scandales de malversation et pour le boycott de tous les commerces tenus par des personnes corrompues.
Grâce aux lundis noirs, le discours sur la corruption a évolué
Comment le mouvement a-t-il évolué depuis ses débuts ? Quels sont les résultats tangibles à mettre à l’actif des "lundis noirs" ?
En plus des manifestations, le Black Monday publie un bulletin mensuel qui rapporte les dernières nouvelles en matière de corruption au sein des institutions publiques. En décembre 2013, notre "caravane anti-corruption", qui a sillonné les routes des 10 régions du nord du pays, a considérablement accru notre rayon d’action.
Notre démarche commence à porter ses fruits. Grâce aux lundis noirs, le discours sur la corruption a évolué. La population est mieux informée des conséquences des malversations, et de moins en moins résignée. Ceci dit, du fait de la répression qui s’est abattue périodiquement sur les lundis noirs, il nous a été nécessaire de nous renforcer d’une équipe de juristes.
Justement, comment la société ougandaise accueille-t-elle votre combat ?
Je dirais que la réaction est mitigée. Bien sûr, il y a un large consensus pour dénoncer le détournement des ressources publiques, perçu comme un obstacle majeur au développement du pays. Mais les citoyens à leur échelle se sentent impuissants pour combattre efficacement tout ce système de corruption qui gangrène l’ensemble des institutions à tous les niveaux. Cela dit, les manifestations publiques du lundi et les démonstrations de solidarité qui les accompagnent contribuent petit à petit à donner confiance à l’Ougandais moyen et à le convaincre que chacun peut faire bouger les choses.
Une campagne de sensibilisation à la corruption dans un village karamojong, au nord de l’Ouganda, en décembre 2013
© Black Monday Movement
Quelle est l’attitude des autorités ? Est-il dangereux de dénoncer et de lutter contre la corruption en Ouganda ?
Les autorités se méfient des lundis noirs. Ainsi, courant 2013, le gouvernement nous considérait comme un parti politique, et par conséquent nos manifestations ont été durement réprimées. Des militants et des organisateurs ont été emprisonnés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Bien entendu, le gouvernement soutient haut et fort la lutte anti-corruption, même si c’est davantage en paroles qu’en actes, et toujours avec une certaine méfiance envers le Black Monday. Mais le mouvement compte aussi des soutiens importants parmi les hauts fonctionnaires, notamment le chef de cabinet du ministère des Finances ou encore l’Inspecteur général du gouvernement.
L’Ouganda vient de perdre dix places dans le classement établi par Transparency International en 2013 par rapport à 2012 en matière de corruption. Le problème est-il plus aigu en Ouganda que sur le reste du continent ?
La corruption ne concerne pas que l’Afrique, mais le monde entier. Cela dit, les études annuelles de Transparency International suggèrent que ce fléau est plus flagrant en Ouganda. Notre pays se classe désormais en avant-dernière position en Afrique de l’Est, juste derrière le Burundi. Mais pour le Black Monday, le classement, en soi, n’est pas une mauvaise nouvelle. Reste à espérer que cette étude créera un déclic au gouvernement et qu’il fera enfin de la lutte contre la corruption une de ses priorités.
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Propos recueillis par Jean-Michel Hauteville
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