Oscar Pistorius : reality show à la sauce judiciaire

La démesure médiatique s’est emparée du procès de l’athlète sud-africain Oscar Pistorius. Au royaume du buzz, la téléréalité judiciaire est reine. Faites entrer l’accusé… pour le meilleur ou pour le pire ?

L’oeil de Glez © Glez

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Publié le 5 mars 2014 Lecture : 3 minutes.

Ainsi le procès d’un meurtre "mondain" sud-africain aurait plus de retentissement médiatique que celui qui évoque l’extermination méthodique de 800 000 victimes rwandaises. Manifestement, sur l’échelle de l’audimat, les audiences de la justice ne suscitent pas toutes le même engouement. Lorsqu’il a débuté à la Cour supérieure de Pretoria, le défilé des témoins dans l’affaire Pistorius a rapidement détourné l’attention de la procédure à l’encontre de Pascal Simbikangwa, toujours en jugement à la cour de Justice de Paris.

La victime, désignée "45e femme la plus sexy du monde" en 2011

Sans conteste, les ingrédients d’une telenovela funèbre sont réunis. Les prétoires suintent cet alléchant mélange de gloire et de déchéance. Le casting est glamour. La victime, le mannequin Reeva Steenkamp, fut désignée 45e femme la plus sexy du monde, en 2011, par le magazine FHM South Africa. L’accusé, Oscar Pistorius, 27 ans, égérie d’un parfum Thierry Mugler ou de vêtements Nike, est beau gosse en haut, handicapé en bas ; pas handicapé par ces infirmités qui font de vous un légume duquel se détournent les regards ; handicapé par une de ces fêlures qui font de vous un cyborg capable de défier l’adversité, une de ces injustices innées qui émancipent de la normalité au point qu’un athlète paralympique affronte les valides. Même les chevaux valides. Quel scénariste hollywoodien aurait osé imaginer Oscar "Blade Runner" Pistorius battre un pur-sang arabe dans une exhibition organisée en marge d’un forum mondial du sport de Doha ?

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Agrémentez la distribution avec des seconds rôles flamboyants ou poignants. Le bling-bling avocat Barry Roux serait payé quotidiennement 5000 dollars. Le juge Thokozile Masipa est la seconde femme noire –femme comme la victime, noire à la différence de l’accusé– à avoir accédé au barreau de Johannesburg. Avec une telle incarnation des rôles, il ne manquait qu’une dramaturgie musclée : des frottements de liasses, des cris qui déchirent l’obscurité, des sanglots de voisines qui les évoquent et des détonations qui les taisent, le tout la nuit de la Saint-Valentin. Prétoires et Pretoria : ajoutez un décor fait de quartiers huppés et de quartiers de haute sécurité, une perspective d’incarcération à perpétuité et un arrière-plan racial dans une société encore traumatisée par le souvenir de l’apartheid. Le suspense ne peut que tenir en haleine un public déjà intoxiqué aux buzz gratuits et à la téléréalité scabreuse.

Si les ingrédients scénaristiques étaient réunis dès la survenance du drame, il ne manquait plus qu’une grosse marmite à écran pour mitonner ce ragoût médiatique.

"Pour éliminer Oscar Pistorius, tapez 1"

Les 300 journalistes qui se sont agglutinés autour du chaudron constituaient déjà une promesse de couverture exceptionnelle, de par la quantité d’informations transmises et la dimension planétaire de l’audience. Les tweets chagrinés de l’athlète sud-africain et de sa famille ajoutent le "piment" de micro-blogging qui garantit la modernité de la recette. Cerise sur le gâteau indigeste : en acceptant le principe d’une diffusion radiophonique complète du procès et d’une retransmission télévisuelle partielle, la justice sud-africaine a libéré le dernier ressort qui maquille une procédure judiciaire en cirque audiovisuel. La compagnie MultiChoice n’a pas hésité à dédier entièrement une chaîne au procès du médaillé d’or des Jeux paralympiques. L’arène médiatique a remplacé l’arène sportive. Que commence le spectacle de la téléréalité ! "Pour éliminer Oscar Pistorius, tapez 1", croit-on entendre quand des micros-trottoirs invitent le Sud-Africain lambda à trancher l’affaire…

Doit-on s’offusquer de cet étalage indécent ? Les maîtres de cérémonie de la grand-messe médiatico-judiciaire arguent qu’il s’agit d’édifier. Après tout, en cette semaine de 8 mars, la Journée internationale de la Femme a vocation à mettre en lumière les violences faites au sexe "faible". Aussi aux mannequins…

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Damien Glez

 

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