Mode : le kaléidoscope culturel de Stella Jean
Etoile montante de la mode, Stella Jean a présenté le 24 février dernier sa nouvelle collection de prêt-à-porter automne-hiver 2014-2015 lors de la fashion week de Milan. Italienne d’origine haïtienne, cette jeune créatrice a fait de son multiculturalisme une source d’inspiration.
Une explosion de couleurs et de formes : la mode selon Stella Jean est passée au blender. Fruits d’un métissage intelligent, ses tenues mélangent les codes esthétiques, mais aussi culturels, tout en brouillant nos repères temporels.
Présentée le 24 février dernier lors de la fashion week de Milan (voir le diaporama ci-dessous), dans la Sala delle Cariatidi du Palais Royal, sa dernière collection de prêt-à-porter femmes automne-hiver 2014-2015 a été l’occasion de nouveaux assemblages. En janvier, à Florence, avait été dévoilée la collection hommes automne-hiver 2014-2015.
Collection Stella Jean, automne-hiver 2014-2015.
Les couleurs sont vives et chaudes. Plusieurs couches de vêtements se superposent, accompagnés de divers accessoires. Mais ce sont surtout les contrastes, dans les formes et les couleurs, associés dans un ensemble harmonieux, qui définissent la marque de Stella Jean.
Oxymores
De père italien et de mère haïtienne, la jeune femme de 34 ans s’inspire de ce riche héritage pour ses créations. Fière de son passé créole, elle a d’ailleurs choisi le nom de "Jean", son matronyme.
Sa signature, "Wax & Stripes Philosophy" (traduire "la Philosophie du Wax et des Rayures"), résume son message. Au-delà de la pure esthétique, la jeune créatrice fait de ses créations des symboles du multiculturalisme. Le wax, ce tissu imprimé typique d’Afrique – hérité donc à la mère de Stella Jean – se marie avec les rayures, style plus européen, une référence à son père.
"Je veux exprimer, à travers les vêtements, l’idée que des mondes et des traditions opposés peuvent fusionner dans un ensemble sophistiqué, de telle manière qu’aucun de ces mondes ou qu’aucune de ces traditions ne paraisse plus important que l’autre", expliquait l’artiste au site internet britannique Telegraph.co.uk.
Pour les femmes, les jupes taille haute, parfois amples au niveau des hanches ou encore les cols apparents, laissent transparaître, avec bien d’autres éléments, un style rétro des années 1950 et 1960 – Stella Jean invite également au voyage temporel. Le tout est alors contrebalancé par des imprimés, aux formes diverses et variés.
Les hommes, habillés en dandy, portent pourtant des couleurs vives, rappelant encore une fois les racines africaines de la créatrice. Le message est fort et teinté d’ironie : pour sa dernière collection automne-hiver 2014-2015, intitulée "Gentleman’s club", s’observe alors un véritable renversement hiérarchique ; comme si la haute aristocratie de l’époque victorienne s’était vêtue en empruntant aux codes stylistiques des Créoles, alors soumis au système de l’esclavage. Stella Jean réécrit l’Histoire.
Identité dans la différence, nouveauté dans l’ancien : la jeune femme à qui a fait de ses différences son identité n’a pas peur des oxymores – cette figure de style qui rapproche les contraires.
Tendances
La créatrice s’inscrit dans une tendance bien plus vaste d’artistes africains qui cherchent à combiner deux identités et offrent un discours moderne, post-racial et post-colonial.
"Je ne sais pas si je me sens européenne ou plutôt africaine", confiait à Jeune Afrique l’Erythréenne Bisrat Negasi, qui habille entre autres la chanteuse Ayo et l’actrice Aïssa Maïga. Sa dernière collection,"Black out, Black in, perfect harmony", assemble cachemire et laine à l’extérieur, wax à l’intérieur.
Autre figure de poids : l’artiste britanico-nigérian, Yinka Shonibare, qui utilise des textiles colorés – souvent en wax – mêlés avec humour à des symboles occidentaux, souvent tirés de la période coloniale et impérialiste de la Grande Bretagne. En 2010, en plein milieu du Trafalgar Square il avait exposé, non sans ironie, une maquette d’un bateau piégée dans une bouteille de verre. La touche africaine : des voiles colorées, en tissu imprimé. Le navire représentait celui de l’amiral Nelson, mort au combat lors de la bataille de Trafalgar.
Dernière tendance à pointer du doigt : le wax a le vent en poupe parmi les jeunes créateurs occidentaux.
Mondiale
Ex-mannequin pour Egon Von Fürstenberg, Stella Jean est aujourd’hui passée de l’autre côté du podium. Elle a été repérée en juin 2011, suite à la compétition “Who’s On Next” destinée à découvrir les jeunes talents et organisée par Vogue Italie et l’agence Altaroma.
Sa salle d’exposition se situe à Milan et ses créations sont fabriquées à Cesena (Italie). Mais si la plupart de ses vêtements proviennent d’Italie, la jeune femme a fait appel, pour certaines de ses pièces de sa collection printemps-été 2014, à des artisans au Burkina Faso. Le projet s’inscrit dans le programme "Ethical Fashion Initiative" ("Initiative éthique dans le domaine de la mode") du Centre de Commerce International (CCI), une agence de l’ONU et de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Il permet notamment de développer le travail des femmes.
Filmée dans le cadre de l’"Ethical Fashion Initiative", Stella Jean s’amusait d’un "trench de forme très "british" […] fabriqué au Burkina". D’Afrique la créatrice importe de la toile faite main. Plus généralement, elle travaille beaucoup le coton, imprimé en wax ou rayé. Pour sa collection femme automne-hiver 2014-2015, elle a également introduit de la laine mohair et d’alpaga dans ses matériaux.
Le Prix LVMH pour les jeunes créateurs de mode, qui a eu lieu le 26 et 27 février, Stella Jean a récemment fait le déplacement à Paris. Le prix récompensera en mai un vainqueur parmi 30 candidats présélectionnés. C’est donc devant un jury exigeant que la jeune créatrice a dû présenter son travail. A la clé : la promesse d’une reconnaissance internationale accrue.
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>> Ailleurs sur le web :
– Le site de Stella Jean
– Le site "Ethical Fashion Initiative"
– Le site du Prix LVMH
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