Zimbabwe : Robert Mugabe fête ses 90 ans, le peuple trinque
Le 21 février Robert Mugabe souffle ses 90 bougies. Pour la grande célébration publique qui sera organisée dimanche en l’honneur du président zimbabwéen, une grande collecte d’un million de dollars a été organisée par son parti, la Zanu-PF. La population, qui souffre de toutes sortes de privations, a été contrainte de mettre la main au portefeuille.
Au Zimbabwe, le 21 février n’est pas une journée comme les autres : c’est l’anniversaire de Robert Mugabe. Pour la Zanu-PF, sa formation politique au pouvoir avec lui depuis 34 ans, c’est l’occasion de resserrer les rangs autour d’une grande fête. Mais ce vendredi , l’occasion est d’autant plus spéciale que l’indéboulonnable président souffle ses 90 bougies. Il a ainsi atteint près du double de l’espérance de vie du citoyen zimbabwéen ordinaire. "C’est un événement vraiment unique. Avoir 90 ans, ce n’est pas donné à tout le monde. Nous allons célébrer la vie d’une personne d’exception en une occasion exceptionnelle", s’est enthousiasmé Absalom Sikhosana, le responsable de la section jeunesse à la Zanu-PF. Et le parti a décidé de marquer les esprits en levant un million de dollars pour célèbrer le vieil âge du vétéran de l’indépendance.
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Bien que son image à l’étranger, principalement dans les chancelleries occidentales, se soit considérablement ternie après son virage despotique au tournant du millénaire, Robert Mugabe a longtemps incarné, au même titre que Nelson Mandela, la libération du peuple africain de la domination blanche du régime raciste de la Rhodésie du Sud, devenue indépendante en 1980. Auréolé par son entreprise de réconciliation nationale avec les anciens dirigeants rhodésiens blancs, il a acquis une réputation de grand homme d’État à l’étranger, alors que Nelson Mandela croupissait encore en prison.
Quinze ans plus tard, alors que le même Madiba – libéré et devenu président – cédait les rênes du pouvoir au terme d’un mandat présidentiel, Mugabe, lui, consolidait son emprise sur le pays et tolérait de moins en moins la contestation. Et sa décision de passer outre le "non" au référendum sur son projet de réforme constitutionnelle en 2000 marque alors la fin de l’État de droit et le début de la descente aux enfers pour le Zimbabwe.
L’ancien "joyau de l’Afrique" n’est plus que l’ombre de lui-même
En une décennie, le pays connaîtra les expropriations des propriétaires terriens blancs, deux élections présidentielles entachées de fraudes et de violences, une épidémie de choléra, et une hyperinflation qui atteindra 231 millions pour cent et achèvera de détruire l’économie et la monnaie nationales. Le Zimbabwe de 2014 n’est plus que l’ombre de ce "joyau de l’Afrique" qu’il était autrefois.
Mais qu’à cela ne tienne. Comme chaque année, Robert Mugabe fêtera son anniversaire, devenu au fil des années un rendez-vous immanquable pour les membres du parti et pour quiconque veut être bien en cour. "Qui vient fêter l’anniversaire de Mugabe ? Ses fidèles, et tous ceux qui ont des intérêts à protéger. Il s’agit d’être vu et de rester dans les petits papiers de la Zanu-PF, si vous dirigez une entreprise et espérez remporter des appels d’offre, par exemple. C’est purement et simplement du clientélisme", s’insurge Pedzisai Ruhanya, le président du Zimbabwe Democracy Institute, un think-tank libéral qui œuvre pour la promotion des valeurs démocratiques et de l’État de droit.
Les villageois rackettés
La grande célébration doit avoir lieu dimanche 23 février au stade de Marondera, à 90 kilomètres à l’est de Harare. Sont prévus, comme chaque année, des matchs de football entre les grandes équipes nationales, et des concerts des stars de la région, généreusement offerts par la Zanu-PF. Le peuple est "invité", mais pour le million de dollars nécessaires à l’organisation de l’événement, il a été largement mis à contribution, parfois sous la contrainte.
Robert Mugabe à son 89ème anniversaire en 2013 © AFP
Le Syndicat Progressiste des Enseignants du Zimbabwe (PTUZ) a dénoncé de nombreux abus : dans les régions rurales du pays, particulièrement dans la province du Mashonaland East, des membres du parti de Mugabe n’ont pas hésité à forcer les instituteurs, les infirmières ou les simples villageois, à mettre la main au portefeuille pour faire des "dons", alors que les salariés de la fonction publique sont notoirement mal payés. Pour Pedzisai Ruhanya, cela n’a rien d’étonnant. "Une culture de l’impunité règne à la Zanu-PF. Ces pratiques sont interdites, mais qui va poursuivre les fautifs ? En plus, ce qui se passe dans les campagnes est moins susceptible d’être dénoncé par les médias. Au moins, dans les grandes villes, les gens peuvent se défendre contre ce racket".
"Un million, ce n’est pas une crise majeure"
Alors que l’économie zimbabwéenne est encore sinistrée, que le scandale des "super salaires" a révélé au grand jour le cynisme des autorités publiques corrompues, et que la province de Masvingo, dans le sud du pays, fait face à de graves inondations depuis plusieurs semaines, les médias d’opposition réagissent avec écœurement devant les "curieuses priorités" qu’affiche le parti de Robert Mugabe. Mais le peuple fait le dos rond. "On en a déjà vu d’autres. En comparaison avec ce que le peuple a déjà subi, l’hyperinflation, le sida, le choléra… en fin de compte, un anniversaire à un million de dollars, ce n’est pas une crise majeure", conclut, fataliste Lance Guma, journaliste à la radio Nehanda.
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Jean-Michel Hauteville
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