Cinéma : Noirs négrophobes, dénoncez-vous !
Le film « Le crocodile du Botswanga » est-il un ramassis de stéréotypes qui avalise la mauvaise réputation de l’Afrique ? Au contraire, fait-il œuvre salutaire en dénonçant les dérives politiques du continent ? Débat autour d’un film qui n’est pas encore projeté…
Premier cas de figure : un Noir (même s’il est né d’une mère blanche) se moque de Blancs (même si le peuple juif compte des falashas noirs). Grincement de dents autour d’un spectacle qui ressemble à une salade de fruits indigeste dont l’ananas est la vedette. Deuxième cas de figure : des Blancs, humoristes de radio ou télés françaises, plaisantent sur des Noirs dont les parents rwandais ont été exterminés à la machette. Cris d’orfraie en direction du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel. Troisième cas de figure : des Noirs caricaturent des Noirs. Inoffensif ? Pas sûr. Patrick Lozès, co-fondateur du Conseil représentatif des associations noires de France (Cran), s’insurge contre le long-métrage "Le crocodile du Botswanga". La bande-annonce aurait suffi à lui donner la nausée, tant elle renfermerait de clichés sur l’Afrique. Leurs auteurs et interprètes sont pourtant nés de pères africains…
>> Lire aussi : Peut-on rire des Noirs ?
La moindre farce doit-elle passer à la moulinette d’un décryptage paranoïaque ? Thomas N’Gijol et Fabrice Éboué ont deux origines communes. Une origine camerounaise, de père et de mère pour N’Gijol et de père pour Éboué ; une origine artistique, celle du Jamel Comedy Club où chambrer les différences ethniques est un fonds de commerce joyeux tout autant qu’un ressort efficace. En 2011, les deux compères coréalisaient et interprétaient une satire sur l’esclavage, "Case départ", œuvre qualifiée, par la presse, de "comédie intelligente". Le 19 février prochain, les deux acteurs tentent de rééditer le succès commercial. Éboué se glisse dans la peau d’un agent de footballeur aussi pleutre qu’escroc. N’Gijol campe un président africain mégalomane et sanguinaire. Ce dictateur fictif en rappelle d’autres et la perruque rousse de son épouse a d’évidentes ressemblances avec celle qu’arbore la première dame du pays paternels des deux comiques.
"Ramassis de clichés sur l’Afrique", s’insurge Patrick Lozès qui n’a pourtant vu que le teaser. Certes, les personnages africains y apparaissent "naïfs, niais, corrompus, homophobes, analphabètes, sanguinaires et idiots". Selon le co-fondateur du Cran, les traits de caractère de ces individus particuliers correspondent trop aux représentations nauséabondes qui circulent, depuis des siècles, à propos du continent. Théoriquement chargés de "nous instruire ou de nous divertir", les artistes incriminés seraient devenus des enfonceurs de clous stéréotypés.
Si, pour l’heure, Lozès est la seule personnalité à être ouvertement scandalisée par l’annonce de ce film peu vu, chaque journaliste qui interroge les comédiens, dans le marathon promotionnel, glisse dans les échanges les germes de la polémique. Au point d’énerver le nonchalant Fabrice Éboué. Persuadé que "Le crocodile du Botswanga" est un film "pour rire tous ensemble", le comédien-réalisateur s’agace que la récente affaire Dieudonné pollue désormais toute saillie humoristique, pour peu qu’on y lise le portrait d’une communauté. Thomas N’Gijol est-il un morveux qui se mouche ? Dans plusieurs interviews, il précise que si le Noir Moussa Dadis Camara a suggéré le déhanchement de son personnage, le Blanc Nicolae Ceausescu a inspiré nombre de ses travers. Double argument du "Tous les Noirs ne sont pas dictateurs" et "Tous les dictateurs ne sont pas noirs"…
Alors que Lozès souligne que le personnage a "un accent à couper au couteau", N’Gijol précise que c’est l’authentique manière de parler de son père, se justifiant comme s’il était interdit de pasticher un accent ; ce que semble d’ailleurs avaliser le comédien quand il évoque une communauté noire "blessée" par les caricatures vocales de Michel Leeb, il y a une vingtaine d’années. Illégitimité de l’humoriste blanc ? Ou cruauté de "l’imitation" d’alors ?
Du fait que le film caricature un dictateur, la polémique pourrait avoir finalement moins de rapport avec l’appréciation d’un humour qu’avec le sempiternel débat sur le traitement réservé à l’Afrique. À y regarder de près, la rhétorique ambiante rappelle davantage la controverse sur la justice internationale que l’affaire Dieudonné. Quand la Cour pénale internationale est accusée d’harceler Omar El-Béchir, elle s’acharne moins sur le "peuple africain" qu’elle ne le défend, puisqu’il s’agit de rendre justice aux nombreuses victimes du Darfour. Quand N’Gijol se moque des dictateurs africains, il lapide moins l’Afrique qu’il ne défend les peuples opprimés par de réels dictateurs. Ou faudrait-il accorder aux despotes africains une immunité humoristique ?
La polémique naissante aura coûté des céphalées aux auteurs du "crocodile du Botswanga". Elle aura peut-être rapporté un buzz commercialement bienvenu.
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Damien Glez
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