Les défis de la politique de défense du Niger
Dans un contexte régional miné par le terrorisme et confronté aux conséquences sociales de la quasi absence de développement économique, le Niger est aujourd’hui confronté à d’immenses défis dont la réussite à pour enjeu le maintien de la paix sur le territoire.
* Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l’histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l’université Johns-Hopkins, aux États-Unis.
Au cours de l’opération Serval, les troupes françaises et africaines anéantissent l’essentiel du potentiel militaire des islamistes et des jihadistes qui tenaient le Nord-Mali depuis la mi-mai. Pour autant, cette victoire ne signifie pas la fin de l’insécurité au Sahel. En effet, la capacité de nuisance des groupes armés divers est résiliente. Elle se nourrit des moindres problèmes des pays dans lesquels elle survit. Défaut de structures administratives, déshérence(s) de la jeunesse sans avenir, méfiance vis-à-vis d’autorités peu ou pas (ou plus) reconnues, sentiment de rejet de certaines communautés, lenteurs ou inexistence du développement économique, peur des forces de sécurité locales en raison d’exactions commises par le passé, jalousies intercommunautaires et, bien sûr, insécurité…
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Autant de vulnérabilités qui existent au Niger. Certes, leur réalité est parfois sans fondement. Ou du moins, à des degrés divers. Cependant, ce qui importe au final, c’est la perception qu’ont les populations locales : ce qu’elles considèrent comme leur réalité de vie. Quels que soient lesdits efforts, si cette perception est mauvaise, alors les failles deviennent des gouffres. De fait, l’État nigérien livre un difficile combat contre les fragilités du pays. Conscient que l’approche globale est indispensable, en dépit de ressources limitées, le Niger s’applique à promouvoir le développement économique et social sur un territoire en paix. Contexte dont la pérennité tient à la qualité des Forces de défense et de sécurité (FDS) et à la politique qui préside à leur mis en œuvre.
Cette brève étude se propose de présenter cette politique et les défis auxquels elle est confrontée.
Tumultes et remous
Le Niger se tient aujourd’hui sur des terres sahéliennes où fourmillent les dangers.
Le Niger se tient aujourd’hui sur des terres sahéliennes où fourmillent les dangers. Ainsi, au Nord, le sud-libyen représente-il une zone dont le gris s’assombrit de plus en plus. De là, les terrobandits rayonnent sur toute la région sahélienne. À l’ouest, au Mali, les ombres d’Aqmi et du Mujao tardent à s’estomper. Au Sud, Boko Haram met à feu et à sang toute une partie du Nigéria. Des périls multiples pour une stabilité péniblement acquise pendant cinquante-quatre ans. Pour ne rien arranger, malgré quelques avancées, les conditions de vie des Nigériens sont mauvaises. Selon la Banque mondiale, le salaire brut moyen est de 31 dollars par mois… Plus de 80 % de la population vit avec moins de deux dollars par jour.
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La recrudescence du terrorisme entre 2003 et 2011, le conflit malien en 2012, tarissent l’argent qu’amenaient les activités touristiques. Ces crises accentuent la pauvreté des communautés nomades qui bénéficiaient auparavant de cette ressource. L’arrivée d’environ 200 000 Nigériens qui travaillaient en Libye et contraints à "l’exil chez eux", après la chute de Kadhafi, déséquilibre un peu plus l’économie nationale. Ces civils ne sont pas les seuls à avoir regagné le Niger. Quelques centaines d’hommes qui combattaient au profit du "guide" libyen ont fait de même. Si les plus lourdement équipés ont été désarmés, quelques-uns sont nécessairement passés à travers les mailles du filet. Ils ont rejoint les ex-combattants des rébellions de 1990 et 2007 (jusqu’à 4 000 hommes selon les sources) toujours armés. S’ajoutent des jeunes désabusés. Ceux-ci rêvent de retrouver une fierté qu’ils croient volée par un État qui les mépriserait. Une fierté qu’ils croient volée par des représentants communautaires qui seraient tous plus intéressés par leurs intérêts personnels, achetés à coups de billets et de postes à responsabilités, par l’État qu’ils affrontaient autrefois.
L’approche globale de l’État malien
Malgré tout, le risque d’une insurrection nomade est moins prégnant qu’au Mali. Si, au sein des Forces armées nigériennes (FAN) l’intégration de ces nomades est complexe, dans les autres institutions, aussi bien nationales que locales, elle est globalement réussie. Cette philosophie, le Président Mahamadou la met en œuvre avec détermination. Il s’y est attaché aux premiers jours de son mandat, en nommant Brigi Rafini, un Touareg, au poste de Premier ministre. Il est vrai que la répartition des nomades sur le territoire, bien plus prononcée qu’au Mali, facilite les choses. Les tentations indépendantistes en sont d’autant plus affaiblies que les deux insurrections ont profondément meurtri les populations du Nord, désormais peu enclines à soutenir une éventuelle aventure armée.
L’enjeu consiste notamment à restaurer une sécurité totale dans le Nord afin d’y permettre à très long terme le retour des touristes
Cela n’est pas un hasard si l’un des grands programmes dans la logique de l’approche globale est justement mené par la Primature. Il s’agit d’en confier la responsabilité à celui qui représente les populations nomades, à savoir Brigi Rafini. Ce programme, la Stratégie de développement et de sécurité (SDS), est lancé le 1er octobre 2012. Axé, comme son nom l’indique, sur le développement et la sécurité, il bénéficie d’un budget non négligeable de 2,6 milliards de dollars sur cinq ans. Grâce à lui, 3 810 agents de police ont été recrutés et six nouvelles unités mobiles de surveillance des frontières (garde nationale) ont été organisées. L’enjeu consiste notamment à restaurer une sécurité totale dans le Nord afin d’y permettre à très long terme le retour des touristes et de la manne financière qu’ils représentent. Un travail de longue haleine, oui. Mais l’avoir entamé, c’est lui donner une chance d’aboutir un jour.
Fort de cet état d’esprit volontaire, le Niger se dote également d’une loi anti-terroriste le 27 janvier 2011. Mais avant cela, après quelques atermoiements au cours de l’année 2010, les autorités acceptent finalement l’implantation de militaires étrangers (nous reviendrons sur la coopération en matière de défense dans un futur billet) dans le pays. Sur ce point plus que sur n’importe quel autre, le Président Mahamadou Issoufou se montre courageux. En autorisant l’installation durable d’Américains et de Français, il prête le flanc à ses détracteurs les plus virulents. Ceux-ci comptent d’une part des représentants politiques qui lui reprochent d’agir de manière non-constitutionnelle. D’autre part, certains militaires considèrent que la souveraineté nationale est bafouée. À leurs critiques se greffe le discours – non sans fondement – de ceux qui redoutent que le Niger paie au prix du sang son engagement contre le terrorisme, devenant une cible toute désignée. Les attentats du 23 mai 2013, à Agadez et à Arlit, confirment leurs craintes.
Face à ces préoccupations, Issoufou se veut pragmatique : sans aide extérieure importante, la souveraineté du Niger n’est qu’un mot. L’exemple du Mali lui donne raison. Par ailleurs, contrairement aux allégations des Zoïles, il ne brade pas non plus la sécurité de son pays, en augmentant les crédits alloués aux FDS.
Le poids des dépenses de défense
En 2010, le budget de la défense est d’environ 46 millions de dollars. Un an plus tard, il passe timidement à 50 millions de dollars. Mais, tout change en 2012 ; il bondit à 72 millions de dollars pour 2012-2013. Le 06 mai 2013, une loi rectificative l’augmente encore d’au moins 37 millions de dollars. Il grimpe alors à plus de 100 millions de dollars. Cette somme s’explique par la nécessité de couvrir les frais du déploiement au Mali. Pour 2014, le budget est estimé à… 200 millions de dollars. C’est-à-dire qu’il a quadruplé en l’espace de quatre ans. Ce bond des dépenses s’explique aussi : il permet l’achat et l’entretien des deux avions d’attaque Su-25, la modernisation et le maintien en bonne condition opérationnelle des forces (acquisition de pièces de rechange, d’équipements divers, de munitions, de carburant). Il permet également la revalorisation des salaires des personnels des FDS…
Même si elle se justifie, il s’agit d’une somme énorme par rapport au budget global d’environ 3,8 milliards de dollars. Pour mémoire, le chiffre d’affaire d’Areva en 2012 est de 9,7 milliards de dollars ; en dollar constant 2014 – avec, toutefois, une dette de 4,5 milliards de dollars à l’été 2013. Mentionner ces chiffres n’est pas anodin : nous le constaterons plus loin. Dans l’immédiat, revenons à ces crédits de défense. Ils représentent autant d’argent que ne reçoivent pas les autres ministères. D’où un déséquilibre qui s’accentue depuis 2012. Cette année-là, il était prévu de consacrer 25 % du budget à l’Éducation, 10 % à la Santé. Évidemment, l’accroissement des crédits de défense l’empêchera.
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Ces dépenses, elles sont indispensables. Certes, elles grèvent le développement économique. Cependant, sans la sécurité, point de développement économique non plus. Or, les menaces pour la paix du Niger sont nombreuses. Nous l’avons évoqué plus haut : terrobandits au Mali et dans le sud de la Libye, Boko Haram au nord du Nigeria, bandits et trafiquants à l’intérieur des frontières, nomades revenus de Libye après la chute de Kadhafi, ex-rebelles ou héritiers de rebelles de 1990 et 2007… C’est dans cette atmosphère pesante que se déroule la renégociation des accords financiers quant à l’extraction de l’uranium national par la société française Areva (via ses filiales locales).
Intérêts et responsabilité géopolitique
Les discussions à propos de la convention d’extraction du minerai commencent en 2013. Elles engageront les partenaires pour dix nouvelles années. Prévue pour le 31 décembre 2013, la signature n’est toujours pas apposée sur le papier un mois plus tard. Elle le sera probablement fin février 2014, non sans mal. Pourquoi la machine des négociations s’est-elle grippée à ce point ? Tout simplement parce qu’Areva refuse de se plier à une loi nigérienne de 2006, selon laquelle les taxes sur le minerai d’uranium augmentent de 5,5 % à 12 %. Omar Hamidou Tchiana, ministre des Mines, explique à Reuters qu’en 2012, les bénéfices de l’uranium ne constituent que 5 % du budget national. Or, le Niger souhaite que ceux-ci augmentent à 20 %. Cet apport contribuerait évidemment beaucoup à financer les dépenses de sécurité.
Areva rejette l’idée de cette taxe, estimant que le coût d’extraction serait alors trop élevé. Elle argue, en outre, qu’elle investit beaucoup dans des projets locaux : développement économique, santé, éducation, à hauteur de 8 millions de dollars annuels. Il n’en reste pas moins qu’à Arlit, en-dehors des installations ultra-sécurisées du groupe, la misère règne. Cela, c’est une des réalités perçues par les Nigériens… De plus, la société est accusée d’utiliser les infrastructures routières sans contribuer à leur coûteux entretien…
La signature de la convention d’extraction fin février 2014 devrait enfin remettre les choses en ordre.
Dès lors, ceux (dont les jihadistes) qui désignent Areva – et par extension, la France – comme le mal absolu ont beau jeu. Areva pollue le sol nigérien tout en exploitant sans vergogne des ressources dont les bénéfices échappent au pays… Le poids financier de l’exploitation repose sur le Niger qui n’en retire rien… La protection des installations, où vivent des Français avec l’air conditionné, saigne l’économie du pays… Le Niger doit payer la guerre qu’il mène à des Musulmans pour que les Français pillent ses richesses… Autant de propos sans nuance, mais qui reposent sur une réalité perçue, trouvant facilement écho auprès d’une population écrasée par la pauvreté. Intérêts économiques privés et responsabilité géopolitique ne feraient-ils pas toujours bon ménage ? Quoi qu’il en soit, l’État français, actionnaire à plus de 80 % d’Areva a finalement pris position sur ce dossier. Par la voix de Pascal Canfin, ministre délégué au Développement, a été déclaré devant l’Assemblée nationale française que les attentes de Niamey sont "(…) considérées par ce gouvernement (…) comme légitimes." Il était temps.
La signature de la convention d’extraction fin février 2014 devrait enfin remettre les choses en ordre. Cet accord sera d’une importance considérable. Contrairement à ce qu’affirment de nombreux observateurs, l’enjeu n’est pas uniquement la réélection du Président Issoufou en 2016. Le problème est beaucoup plus vaste. Dans tous les cas, il ne s’agit pas de soutenir un Président devant ses électeurs, mais de soutenir le Niger face aux dangers actuels et futurs. De soutenir sa politique de sécurité responsable, dans laquelle s’inscrit la coopération avec la France et les États-Unis. Démarche qui ne se résume pas à l’implantation de bases, à la traque de terrobandits avec la technologie "à distance", ou à la fourniture de 4×4, de GPS et de gilets pare-balles, mais qui passe aussi par le respect de la dignité de cet État, de ses citoyens. D’autant que cette politique de sécurité intelligente peut, de bien des manières, servir d’exemple à suivre pour le Sahel.
NB : Une fois n’est pas coutume, j’attire l’attention des lecteurs sur le numéro 5 du magazine Air Combat, à paraître. Vincent Bernard y aborde la question des différents incidents aériens survenus tout au long des années 1970 et 1980 dans le Golfe de Syrte entre d’une part, les Etats-Unis et la France, d’autre part, la Libye. Cette page de l’histoire militaire africaine est relativement oubliée et l’article de notre confrère apporte un éclairage intéressant (et fort compréhensible pour le profane).
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>> Retrouver tous les articles du blog défense de Laurent Touchard sur J.A.
>> Pour en savoir plus : consulter le blog "CONOPS" de Laurent Touchard
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