Centrafrique : face à la violence de masse, l’exigence de justice
Renner Onana est un ancien diplomate camerounais. Il travaille actuellement au sein de la Mission onusienne en RCA.
En République centrafricaine (RCA), depuis quelques mois, l’intolérable se banalise. La découverte de charniers succède à des actes de violences inouïs en plein cœur de Bangui et dans d’autres villes (Bouca, Boda, Bouar, Sibut…). Dans la capitale tragiquement surnommée désormais Bangui la roquette (plutôt que l’officielle Bangui la coquette), la nuit tombée, à coups de machette et d’attaques à l’arme légère ou à la grenade, les tueries se multiplient, parfois entre voisins, rappelant de tragiques épisodes vécus notamment en Ituri, région de l’est de la République démocratique du Congo. Une fois encore, les populations civiles sont les victimes expiatoires d’une barbarie inexplicable.
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Le lynchage d’une personne présumée membre des ex-Séléka par des éléments des Forces armées centrafricaines regroupées à l’École nationale de la magistrature le 5 Février est venu ajouter un épisode de plus à cette macabre tragédie.
Au cœur de ces violences, ce qui inquiète c’est l’absence des repères qui s’accompagnent d’une fragmentation des groupes armés. Groupes armés qui, sur le plan politique, se montrent incapables de formuler des objectifs cohérents. Le corollaire prévisible de cette situation est l’enracinement de l’impunité. Ni recherche de responsabilités, ni procès, et les cycles de violences se succèdent, chaque bain de sang engendrant fatalement le suivant. Suivant ce scénario, en RCA comme ailleurs, l’impunité continue de miner la vie politique et maintenir un climat destructeur pour le tissu social.
Le climat d’impunité ainsi crée favorise déjà des zones de non-droit dans lesquelles s’engouffrent notamment des criminels de droit commun, ainsi que le remarquait il y a peu Madame Navi Pillay, la Haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme.
Dès lors une question s’impose : après le temps de la guerre, y aurait-il un temps pour la justice ? À cette question, la réponse se doit d’être radicalement positive. Face à la violence que connait depuis des mois la RCA, l’impunité serait moralement inacceptable et politiquement suicidaire.
Pour être durable, la paix à reconstruire ne peut être bâtie que sur des fondations assainies.
Sur le plan moral, pour être durable, la paix à reconstruire ne peut être bâtie que sur des fondations assainies. Pour continuer à vivre ensemble, la tragédie et la souffrance des victimes doivent être reconnues, de même que l’acte criminel des coupables doit être établi et puni. C’est à ce prix qu’une vie en communauté serait à nouveau possible.
De plus, en transition politique, comme c’est le cas en RCA, responsabilité politique et respect des droits humains sont liés. Ils constituent le socle de l’État de droit, fut-il en reconstruction. Dès lors, la classe politique centrafricaine ne peut pas persister dans sa détermination à ignorer que toutes ces violations des droits de l’homme nuisent à leur légitimité. Elle doit se mobiliser, avec le concours de la communauté internationale, pour sanctionner et punir.
Sanctionner et punir les auteurs de ces crimes qui défigurent le quotidien de la RCA doivent devenir un des enjeux de la sortie de crise. Seule la justice contre les massacres empêchera que persiste l’impression qu’en Centrafrique des permis de tuer ont été délivrés et que les contrats y afférents sont en cours d’exécution, dans la plus totale impunité.
D’ores et déjà, la communauté internationale a envoyé des signaux musclés aux auteurs directs ou indirects de ces violations. Le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé en Décembre 2013 de la création d’une Commission internationale d’enquête (résolution 2127 du 5 décembre 2013) et d’un mécanisme de sanctions, qu’il a ensuite renforcée en janvier 2014 (résolution 2134 du 28 janvier 2014). Le Conseil des droits de l’homme, quant à lui, a nommé le 20 janvier 2014 un expert indépendant. Ce dispositif jouera un rôle déterminant dans la lutte contre l’impunité en RCA.
Cependant, en Centrafrique même, une fois le calme revenu, une mesure urgente au moins s’impose : la création d’un vaste espace public dans lequel la question de l’impunité et de la justice transitionnelle sera débattue de manière permanente. Ceci aurait l’avantage d’arrimer ce pays au courant de la mondialisation judiciaire, fruit d’une formidable mutation qui permet de tout médiatiser et d’interdire au bourreau de massacrer dans l’intimité de sa souveraineté.
La protection et la défense des droits de l’Homme sont beaucoup plus qu’un acte symbolique.
Avec la dignité inévitable de la mise en scène judiciaire, cet espace servira à rappeler que la protection et la défense des droits de l’Homme sont beaucoup plus qu’un acte symbolique. Il empêchera également que ne s’opère, un fois de plus, une inquiétante transaction entre paix et impunité. Car il y a des choses sur lesquelles aucune communauté ne peut se permettre de transiger, au risque d’en payer le prix tôt ou tard. La justice nationale ou internationale face aux crimes de masse en est une.
Signe encourageant, fin janvier, la cheffe de l’État de la transition a proposé et même exigé au gouvernement la rédaction d’une loi d’exception pour punir les crimes de sang. C’est un pas dans la bonne direction, mais le chemin reste long.
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