Décès d’André Brink : aîné, tu peux dormir
André Brink, je l’évoquerai en cinq lieux, dans le désordre voulu.
La deuxième fois : Durban. Il participait au festival littéraire Time of the Writer. C’était en 2005, et nous lui avions rendu un hommage vibrant pour son 70e anniversaire, à l’université du Kwazulu-Natal.
Je retrouvais ainsi, dans son pays, celui dont le chef-d’oeuvre Une saison blanche et sèche figurait, figure toujours parmi mes références. Surtout, je pus discuter longuement avec celui que je citais pour illustrer ma conception de l’écrivain engagé, c’est-à-dire un créateur qui, tout en se plaçant à la hauteur des tragédies de son époque pour les combattre, ne cédait rien à l’exigence strictement littéraire, celui dont l’oeuvre ne perd pas de son intérêt quand s’évanouissent les grandes causes qui en avaient été, au moins à une période donnée, la source principale.
Comme André Brink avait une parfaite maîtrise du français, j’avais discuté longuement avec lui de son esthétique, du motif sexuel dans ses textes (je ne lui révélai pas être sur ce point un de ses héritiers). Ce fut une occasion pour nous d’être un peu légers, de rire.
La première fois : Bamako. C’était en 2004, dans le cadre du festival Étonnants Voyageurs. Je faisais alors sa connaissance. Sa disponibilité en faisait comme un grand frère avec qui l’on pouvait parler même des chemises (je l’entends encore faire des compliments à Bios Diallo sur son élégance).
La troisième fois : Alger. C’était en 2009, dans le cadre du Panaf (Festival panafricain d’Alger). Je participais, avec d’autres écrivains, dont Yahia Belaskri et Alain Mabanckou, à une résidence d’écriture. Il partagea alors avec nous, au bord de la piscine de l’hôtel Le Mas des Planteurs, un dîner dans une ambiance festive.
La quatrième fois : Nouakchott. C’était en 2012, dans le cadre des Traversées mauritanides. Il n’y était pas, mais l’éditeur Bernard Magnier (Actes Sud) nous avait parlé de sa rencontre avec André Brink, rencontre au cours de laquelle ce grand écrivain lui avait confié le destin de son oeuvre en français.
La cinquième fois : Saint-Malo. C’était en 2013, encore dans le cadre du festival Étonnants Voyageurs. Lui et moi avions participé à un débat sur le peu de traductions des textes d’auteurs africains et le manque de communication entre les littératures africaines dans les diverses langues de leurs expressions. Il y voyait une conséquence de notre colonisation.
Pour la première fois, j’exprimai mon désaccord avec lui en rappelant qu’au Canada la littérature québécoise, en langue française, est inconnue dans le reste du pays, et qu’en général des littératures des autres espaces linguistiques nous ne connaissons qu’une portion congrue. Cette nuance légère entre nos positions quant au dialogue interne des différentes littératures africaines constitua pour lui et moi un sujet de conversation hors de la salle.
Je finis par lui dire que son point de vue était d’autant plus noble que lui-même n’était pas concerné par ce cloisonnement, car son oeuvre était abondamment traduite et connue sur le continent, qu’André Brink, c’était, comme pour bien des grands écrivains de toutes les époques, Une saison blanche et sèche, le livre qui l’installait dans l’immortalité provisoire (toute immortalité des mortels est provisoire), qui, tout en le portant si haut, faisait en même temps ombrage au reste de son oeuvre, comme Voyage au bout de la nuit chez Céline ou L’Étranger chez Camus. Ce fut notre dernière rencontre.
Dans la nuit du 6 au 7 février 2015, alors qu’il rentrait chez lui après des honneurs mérités en Belgique, il est mort dans l’avion, quelques heures après le décès d’Assia Djebar. D’Alger à Durban, du nord au sud, les littératures africaines sont en deuil. Mais il nous reste d’eux ce que chaque écrivain a d’essentiel : ce qu’il a réussi à placer au-dessus de sa petite vie, son oeuvre. André Brink est encore là, toujours là. Aîné, tu peux dormir. Tes personnages continueront à nous nourrir au coeur de la vaste comédie humaine.
André Brink est l’auteur d’une oeuvre considérable.
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