Le continent de tous les trafics

Publié le 4 septembre 2008 Lecture : 4 minutes.

Stabilisation de la consommation de cocaïne en Amérique du Nord, baisse du dollar face à l’euro, renforcement des contrôles transatlantiques entre l’Ancien et le Nouveau Monde, les trafiquants sud-américains ne manquent pas de raisons d’établir leurs quartiers dans l’arrière-cour ouest-africaine. Toutefois, si la sous-région « subit une réelle agression », comme le déclare sans ambages Antonio Maria Costa, le directeur exécutif de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), le reste du continent n’est pas épargné.
Selon l’ONUDC, non seulement des ressortissants ouest-africains jouent un grand rôle dans le marché européen de la cocaïne et de l’héroïne depuis longtemps, mais la préexistence de réseaux de contrebande très organisés sur le continent a constitué un sérieux atout pour l’expansion fulgurante du trafic de cocaïne. Rien qu’en Afrique de l’Ouest, les saisies sont passées de 95 kg en 2002 à 6,5 t en 2007, sur un trafic total estimé à 40 tonnes, pour une valeur de 1,8 milliard de dollars !
Le trafic de cocaïne étend ses tentacules bien au-delà de l’Afrique de l’Ouest. Le Maroc est ainsi devenu une étape privilégiée de la remontée de la drogue vers l’Espagne, principale porte d’entrée de la drogue en Europe (avec 49 % des saisies en 2007). Autrefois pourvoyeur d’environ 80 % du haschisch consommé en Europe, le royaume chérifien a renforcé depuis 2003 la répression contre la culture du cannabis. Une politique qui, conjuguée aux mauvaises conditions climatiques de ces dernières années, a considérablement fait reculer le trafic de résine. Si le Maroc demeure le principal producteur mondial avec environ un millier de tonnes par an (contre 3 000 en 2003), il ne produit plus que 18 % du haschisch commercialisé en Europe. Un déclin qui a été aussitôt compensé par l’arrivée de la poudre blanche.
Dans un rapport de 2007, Europol a confirmé « l’existence de routes terrestres transsahariennes pour le trafic de la cocaïne, lesquelles se connectent aux routes traditionnelles du trafic de cannabis à destination de l’Union européenne, en bénéficiant ainsi de la logistique et du savoir-faire de trafiquants bien établis ». De nombreux indices laissent en effet à penser qu’à côté des cigarettes, des 4×4 et des armes, sans parler du transit des migrants, passent désormais de grandes quantités de haschisch et de cocaïne. La première drogue se dirige vers le Proche- et le Moyen-Orient, où la demande semble suivre une offre croissante (les saisies de résine au Niger, en Libye et en Égypte ont plus que triplé depuis 2004). Tandis que la seconde est acheminée vers l’Europe, souvent grâce à des passeurs empruntant des vols commerciaux au départ d’aéroports moins suspects que ceux de Casablanca ou à Tripoli, eux-mêmes fréquemment utilisés pour le transit des passeurs provenant directement d’Afrique de l’Ouest.
Mais les réseaux ouest- et nord-africains ne sont pas les seuls à s’emparer de nouveaux marchés. « Les organisations criminelles profitent des lacunes des systèmes de contrôle en Afrique pour les produits chimiques qu’elles utilisent dans la fabrication de drogue et sont en train de créer des plaques tournantes à cet effet », indique le président de l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS), le Nigérian Philip Onagwele Emafo.
Après l’Asie et l’Océanie, où les contrôles ont été renforcés, l’Afrique est touchée de plein fouet par le phénomène des détournements de précurseurs, en particulier l’éphédrine et la pseudoéphédrine, qui servent à élaborer des stimulants de type amphétamines et methamphétamines (comme la « crystal », en vogue aux États-Unis depuis quelques années, ou le MDMA, plus connu sous le nom d’ecstasy). En 2006-2007, selon l’OICS, le détournement de plus de 75 tonnes de ces substances, commandées à des laboratoires pharmaceutiques, a été empêché grâce à des opérations de coopération internationale en Afrique, comme Crystal Flow ou Prism, financées par la DEA.
À elle seule, en 2007, la République démocratique du Congo a fait l’objet de sept envois interceptés portant sur un total de 23 tonnes de pseudoéphédrine. D’autres États sont également touchés par le trafic des précurseurs, au premier rang desquels l’Afrique du Sud, le Kenya et la Tanzanie, mais aussi la Côte d’Ivoire, le Maroc ou le Nigeria, soupçonnés de servir de relais à l’expédition de permanganate de potassium vers l’Amérique du Sud, produit utilisé pour la fabrication de la cocaïne. À moins que des laboratoires clandestins ne soient déjà en voie de constitution dans ces pays, pour l’exportation et pour un marché local en pleine croissance.
Car les Africains consomment de plus en plus de drogues dures, et tous les indicateurs virent au rouge. Si elle est encore faible et ­difficilement quanti­fiable, la consommation de ­poudre progresse à grands pas en Afrique de l’Ouest (Burkina, Guinée, Nigeria, Ghana, Sénégal, Sierra Leone, Togo), sur le littoral maghrébin et en Afrique australe (Angola, Mozambique, Afrique du Sud). Le taux de prévalence de l’abus de cocaïne, négligeable dix ans au­paravant, s’est ainsi établi à 7,6 % (plus de 1,1 million de personnes en 2005, chiffre à comparer aux 14,5 millions de consommateurs mondiaux). Et les autres substances ne sont pas en reste.
En plus de la cocaïne, les Sud-Africains consomment de plus en plus d’héroïne (comme les Kényans et les Tanzaniens) et, surtout, de méthamphétamines, dont les cas d’abus parmi les demandes de soin liés aux narcotiques sont passés de 1 % en 1996 à 41 % en 2007. Sans compter le cannabis, dont l’usage se répand lentement mais sûrement, surtout en Afrique de l’Ouest et centrale, notamment au Nigeria et au Ghana, où le taux de prévalence est supérieur à 13 % de la population de 15 à 65 ans, contre 3,8 % pour la population mondiale. « L’essor du trafic de nouvelles drogues ne se substitue donc pas à celui de drogues plus ÂÂÂÂtraditionnellesÂÂÂÂ, ajoute Philip Onagwele Emafo. Au contraire, il en renforce l’ampleur et les conséquences néfastes, en particulier sur les jeunes. »

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