Cinéma : « Les Chevaux de Dieu », la fabrique à terroristes
Le Marocain Nabil Ayouch revient sur le parcours des auteurs des attentats de Casablanca en 2003 avec un film grand public.
Le plus connu des réalisateurs marocains est aussi l’un des plus intrépides. Non seulement Nabil Ayouch change volontiers de genre à chaque nouveau film, mais en plus il se plaît à accumuler les obstacles pour tourner ainsi qu’il l’entend et sans se préoccuper des normes en vigueur dans l’univers du septième art. Avec Les Chevaux de Dieu, une adaptation d’un roman à succès de Mahi Binebine, Les Étoiles de Sidi Moumen (Flammarion), il le démontre plus que jamais. Son sixième film ne ressemble en rien aux précédents.
Révélé en 1998 par une sorte de polar autour du trafic de drogue dans le Rif, Mektoub, le réalisateur a connu une renommée internationale deux ans plus tard avec Ali Zaoua, un récit du quotidien des enfants des rues de Casablanca tourné avec des comédiens amateurs dans une veine néoréaliste. Mais plutôt que de surfer sur cet immense succès populaire, il reprend sa caméra en 2003 pour proposer pour Arte un téléfilm très « art et essai » et assez audacieux, Une minute de soleil en moins, interdit au Maroc. Quatre ans après, doté d’un budget important par le producteur français de blockbusters Pathé, il se tourne vers le style des comédies musicales égyptiennes à grand spectacle avec Whatever Lola Wants. Nouveau virage ensuite, en 2011, avec un très beau documentaire réalisé à la fois en Israël et au Liban, My Land, fondé sur une série d’interviews croisées de réfugiés Palestiniens et de Juifs de Galilée.
Hostilité
Aujourd’hui, avec Les Chevaux de Dieu, sorti presque simultanément en ce mois de février au Maroc et en Europe, il surprend encore en réalisant une fiction à base de faits réels sur le parcours des jeunes auteurs des attentats islamistes de mai 2003 qui firent 45 morts à Casablanca. D’autant qu’il ne s’est pas contenté de filmer cette histoire « classiquement » avec des comédiens professionnels, des décors reconstitués et un scénario spectaculaire sur ces actions terroristes qui ont traumatisé tout un pays qui ne s’imaginait pas contaminé par le jihadisme. Il est allé longuement enquêter dans le bidonville de Sidi Moumen, où ont toujours vécu ces kamikazes. Et c’est là qu’il a choisi, en prenant tout le temps nécessaire – deux ans de casting ! -, les acteurs amateurs qui jouent dans le film (voir J.A. no 2681). Lequel a été tourné dans un bidonville où il ne fut pas toujours facile d’installer les caméras, quelques voyous ayant lancé des pierres et quelques islamistes radicaux ayant manifesté très clairement leur hostilité.
Nabil Ayouch explique avoir été moins intéressé par les attentats et leur préparation que par le besoin de comprendre comment le Maroc avait pu « fabriquer » de tels terroristes, comment des gamins jamais sortis de leur quartier, bien loin des théâtres d’opérations jihadistes habituels, avaient pu devenir des bombes humaines sans pitié pour les victimes « innocentes ». Comprendre non pas pour excuser, bien sûr, mais pour expliquer. Et pour faire apparaître que, en fin de compte, ces jeunes, autant victimes que criminels, sont aussi le produit de la misère, d’un certain ordre social et de discours dangereux.
Introspection
Ayouch a choisi de tourner un film grand public pour obliger le Maroc et les Marocains à s’interroger sur leur propre responsabilité. « Un exercice d’autant plus nécessaire que des islamistes sont aujourd’hui au pouvoir au Maroc, même s’il y a une frontière très marquée entre le Parti de la justice et du développement (PJD), qui dirige le gouvernement, et les groupes salafistes ou d’autres obédiences fondamentalistes », admet le réalisateur. Avant de rappeler que ce sont « ces islamistes qui étaient montés au créneau pour demander l’interdiction d’Une minute de soleil en moins, l’accusant de pornographie sans même l’avoir vu ». Et de souligner que l’actuel ministre de la Communication, dont dépend le cinéma au Maroc, est membre du PJD. Un parti dont certains députés disent vouloir « promouvoir des films familiaux » et prônent « un art propre ». « Faut-il en déduire, s’insurge Ayouch, qu’il y a un art sale ? »
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