Pieds noirs en Algérie : oui, il était possible de rester !
1962-2012 : le vrai bilan de l’Algérie indépendante
Cela fait cinquante ans qu’on nous raconte les mêmes mensonges. À savoir qu’en 1962 tous les Français d’Algérie (850 000 Européens et 150 000 Juifs, soit 1 million de pieds-noirs) auraient brusquement quitté leur pays, poussés à la mer par la fureur des « Arabes ». Qu’ils n’avaient pas le choix, que c’était « la valise ou le cercueil ».
En cette année du cinquantenaire de la fin de la colonisation de l’Algérie, les télévisions et les magazines français ont à nouveau tendu leurs micros et leurs plumes à ces mêmes pieds-noirs aigris (alors qu’il en existe de nombreux autres extrêmement ouverts, aux discours nuancés, mais qu’on entend si peu), ceux-là mêmes qui répètent depuis cinq décennies qu’« ils sont tous partis », qu’« ils n’avaient pas le choix », etc.
Or tout cela est faux. Un seul chiffre, retrouvé dans les archives du ministère des Affaires étrangères, permet de battre en brèche le mythe de « la valise ou le cercueil » : en janvier 1963, alors que plus aucune violence ne sévissait sur le territoire algérien (sauf à l’égard des harkis), il restait encore 200 000 pieds-noirs en Algérie. Soit 20 % du total. Sans qu’aucun « cercueil » ne leur soit réservé.
Mieux, tous les témoins retrouvés, tous les articles de l’époque le confirment : à partir du moment où les Algériens ont obtenu leur indépendance, tout sentiment de haine vis-à-vis des Français s’est brusquement évaporé, et ceux qui restaient se souviennent très bien des attitudes et des regards particulièrement bienveillants à leur égard.
Conditions difficiles
Certes, la vie dans la nouvelle Algérie n’a jamais été un long fleuve tranquille. Ni pour eux ni pour leurs 9 millions de compatriotes arabo-berbères. Les premières années, quoique très exaltantes (« tout était à construire », se souviennent-ils avec des étincelles dans les yeux), imposèrent une adaptation dans un pays où les conditions matérielles étaient souvent difficiles : les Français avaient laissé quelques écoles, quelques hôpitaux et quelques routes, mais quasiment aucune industrie. Et les enseignants, les médecins et les infirmiers avaient soudain disparu.
Tous les Algériens de 40 ans et plus se souviennent avec bonheur de ces familles pieds-noires restées dans leur quartier.
Dans les dix premières années, le nombre de pieds-noirs chuta à environ 50 000. Puis le flux des départs, sans jamais se tarir, se maintint à un niveau faible. Mortalité naturelle oblige, au début des années 1990 on estimait leur nombre à quelques milliers. Aujourd’hui, il n’en resterait que quelques centaines.
Avec le recul, cette diminution inexorable s’est inscrite dans le mouvement général d’émigration de l’Algérie vers la France. Émigration ouvrière, mais aussi émigration des élites. Depuis plusieurs décennies, chaque famille algérienne qui en a les moyens cherche à envoyer ses enfants poursuivre des études supérieures dans l’Hexagone. Avec l’espoir, rarement satisfait, que l’enfant revienne au pays une fois son diplôme en main.
Algérie ouverte et multiculturelle
Or la situation économique de ces familles ex-pieds-noires (beaucoup d’entre elles refusent fermement qu’on les qualifie de « pieds-noires ») leur permet généralement d’envoyer leurs enfants en France ; de plus, même si elles ont acquis la nationalité algérienne (ce qui est le cas d’une petite minorité d’entre elles), elles n’ont jamais perdu la nationalité française. Ce qui est toujours plus facile lorsqu’on débarque dans l’Hexagone…
Le regard bienveillant à leur égard des premières années ne s’est jamais éteint. Aujourd’hui, tous les Algériens (arabo-berbères) de 40 ans et plus se souviennent avec bonheur de ces familles pieds-noires restées dans leur quartier. Peut-on parler dès lors de parfaite « intégration » ? Peut-être pas. À la fois dans la loi algérienne et dans l’esprit de la plupart des gens, le « vrai » Algérien est forcément arabo-berbère-musulman. Au final, ces pieds-noirs restés dans leur pays représentent ce rêve d’une Algérie ouverte et multiculturelle à laquelle aspiraient un grand nombre de militants de l’indépendance. Un rêve pas encore réalisé.
Ni valise, ni cercueil. Les pieds-noirs restés en Algérie après l’indépendance, de Pierre Daum, Solin-Actes Sud (Arles)/média-Plus (Constantine), 2012.
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