Jeunes, Camerounais et homosexuels : reportage chez les persécutés de l’« autre genre »

Victimes de chantage, persécutés, battus et même parfois assassinés, les homosexuels camerounais vivent un véritable calvaire. Et quand ils se battent pour le droit, c’est la peur au ventre. Victimes de chantage, persécutés, battus et même parfois assassinés, les homosexuels camerounais vivent un véritable calvaire. Et quand ils se battent pour le droit, c’est la peur au ventre. Reportage.

Éric Lembembe a été retrouvé mort, lundi 15 juillet 2013. © DR

Éric Lembembe a été retrouvé mort, lundi 15 juillet 2013. © DR

MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 11 février 2014 Lecture : 6 minutes.

À l’occasion de la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie, ce 17 mai 2019, nous republions ce portrait réalisé en 2014.

À déguster une bière au « carrefour de la joie », un dimanche soir à Yaoundé, avec les militants camerounais des droits des homosexuels, on pourrait se dire que la vie est paisible pour les LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et Trans) du pays. Mais en réalité, le lieu tient plus de l’exutoire que du havre de paix. « Parfois, il y a des rafles ici, on nous embarque tous, puis on nous relâche », témoigne Karym, un habitué des lieux. « Mais, chaque fois, on revient », ajoute-t-il.

la suite après cette publicité

>>> A LIRE – Moi, Naomie, homosexuel et travesti au Cameroun

Naomie, elle, décrit le carrefour comme un des seuls endroits où elle peut être elle-même. Travesti connu de la communauté, elle s’enorgueillit d’être la plus belle de la soirée. Mais son maquillage et sa robe jaune sortie pour l’occasion ne lui font pas oublier son histoire, qu’elle a en commun avec de nombreux travestis : elle a été vilipendée par sa famille en raison de son orientation sexuelle, menacée, arrêtée par la police et emprisonnée avant d’être libérée faute de preuves.

« Tiens-toi à l’écart »

Comme elle, ce sont des milliers de jeunes Camerounais qui se battent pour vivre leur sexualité comme ils le souhaitent. À Limbe, dans l’Ouest, Bill Simbo a monté une association, pour venir en aide à la communauté, sur le plan des droits humains et de la santé, la population LGBT étant l’une des plus vulnérables au fléau du VIH-Sida. Avec peu de moyens, ses activités s’étendent tant bien que mal à Limbe d’abord mais également à Kumba et à Buéa où il espère prochainement travailler avec Peter.

Il faut être discret, c’est dangereux, parce que tout le monde connaît tout le monde

la suite après cette publicité

Celui-ci, vivant seul dans une minuscule chambre d’étudiant proche de l’université, à une heure de route de Douala, a perdu son emploi d’enseignant en philosophie alors que l’école dans laquelle il travaillait le soupçonnait d’être homosexuel. Ayant alerté la police, au sujet d’une prétendue offre qu’il aurait faite à un étudiant, l’école a pris la décision de se séparer de lui, afin de préserver sa « réputation ». « Tiens-toi à l’écart quelques temps, jusqu’à que l’affaire se calme », lui dit-on alors. C’était en octobre 2013. « Ils ont trouvé une façon de me dire ‘Goodbye’ », lance Peter, résigné, au milieu de ses amis et des chargés de la mission de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) présents au Cameroun. Peter est aujourd’hui sans emploi, malgré le fait que la police l’ait relâché, faute de preuves, au bout de cinq jours et moyennant finance.

la suite après cette publicité

L’homosexualité, business lucratif ?

La situation à Buéa n’incite guère à l’optimisme. « Pour le moment, nous ne pouvons pas avoir une association formelle ici », explique Bill, il faut être discret, c’est dangereux, parce que tout le monde connaît tout le monde. Mais à Limbe, c’est un peu plus facile car la ville est plus touristique et il y a beaucoup d’activités nocturnes ». Autour de lui, les jeunes gens acquiescent. Deux d’entre eux ont été victimes de l’homophobie dans la région. Le premier a dû débourser 20 000 francs CFA dans un chantage à la photographie. Le second est passé par la prison de Kumba où il a été violemment battu à plusieurs reprises. Il en est ressorti avec des blessures, l’expérience d’un examen rectal à l’hôpital général – censé déterminer son homosexualité – et 20 000 francs en moins, versés aux autorités pour facilter sa sortie.

Dans certains cas, les auteurs de chantage peuvent réclamer plusieurs centaines de milliers de francs CFA.

Au Cameroun, le chantage fait aux homosexuels peut rapporter gros. Il suffit de demander un peu d’argent à quelqu’un soupçonné d’homosexualité et ensuite de brandir la somme en prétendant avoir reçu des avances. Les autorités, souvent complices du procédé, ne seront d’aucun secours pour la victime qui n’aura alors d’autre alternative que d’acheter le silence de son agresseur. Si dans la majorité des cas, le préjudice est de 20 000 ou 40 000 Francs CFA, parfois la somme réclamée va bien au-delà et peut s’élever à plusieurs centaines de milliers de francs CFA.

« Il y a des centaines de cas par an, rien que sur Yaoundé », explique Karym, militant de la capitale, qui mentionne également les guet-apens, fréquents, notamment grâce aux réseaux sociaux ou aux sites de rencontre, sur lesquels de faux homosexuels proposent des rendez-vous qui tournent à la bastonnade.

Homophobie d’État ?

C’est un véritable climat de traque qui entoure les LGBT camerounais, caractérisés comme les défenseurs des droits de l’Homme « de l’autre genre ». Outre les médias et l’Église qui, en dehors de quelques prêtres vite écartés, font front contre l’homosexualité, l’ensemble des autorités camerounaises semblent impliquées. « Avec la police et la gendarmerie, on a toujours peur », témoigne Jules, directeur de Humanity First, l’une des plus anciennes associations de défense des droits LGBT à Yaoundé. « Ce qu’ils veulent, c’est que tu dises que tu es homo, et si tu le fais, toutes les personnes qui vont pouvoir te rendre visite vont être considérées comme telle et parfois arrêtées », explique-t-il. Et de s’esclaffer : « Je ne vais plus au commissariat aider les personnes arrêtées, je suis trop maniéré, j’aggraverais leur cas ! ».

>>> A LIRE – Homosexualité : en Afrique, c’est souvent la case prison

Le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, a pourtant récemment déclaré, devant une caméra de France 24, qu’aucun Camerounais ne subissait de persécutions en raison de son orientation sexuelle. Des propos difficiles à croire alors que la loi prévoit jusqu’à cinq ans de détention pour des faits d’homosexualité et qu’une dizaine de personnes seraient actuellement emprisonnés pour ce motif, notamment à la maison d’arrêt de Kondengui, à Yaoundé.

Je ne vais plus au commissariat aider les personnes arrêtées, je suis trop maniéré, j’aggraverais leur cas !

Stéphane y a ses entrées, en graissant la patte des geôliers. Militant à Yaoundé, il se souvient avoir été interpellé alors qu’il avait organisé une rencontre entre les différentes associations de défense. « Le sous-préfet est venu, et il m’a dit, ‘Si tu ne te tiens pas tranquille, je te jette à la vindicte populaire’ ». Dehors, des dizaines de personnes attendaient à la sortie de l’hôtel où devait se tenir le séminaire. Leur slogan : « Brûlez-les ! ».

« Tout le monde a peur »

Pourtant, selon le président Paul Biya, qui s’est exprimé lors d’une visite à Paris en janvier 2013, les mentalités évoluent au Cameroun. Dans quelques rares endroits, les relations se normalisent parfois entre le voisinage, les militants et les autorités. « On essaye de changer les mentalités », explique un activiste de Douala. « Il faut que l’on soit ouvert pour prouver aux autres qu’il n’y a rien de diabolique dans ce que nous faisons ». « Nous avons organisé une journée de dépistage contre le sida », ajoute ce jeune homme, qui se réjouit : « Il y avait des LGBT mais aussi des voisins et même des policiers qui sont venus ». Cela n’a cependant pas empêché les locaux de l’association d’être attaqués peu de temps après. Si les mentalités évoluent, force est de constater que l’heure est toujours à la barricade et à la méfiance.

Dès que l’on est visible, on est en danger

« On ne veut pas rester cachés, même si c’est ce qu’ils attendent de nous », martèle Adonis Tchoudja, militant de Douala. « Mais dès que l’on est visible, on est en danger », ajoute-t-il, mentionnant plusieurs agressions et arrestations contre sa personne. Surnommé « le docteur des pédés », il confie : « depuis l’assassinat d’Éric (Éric Lembembe, en juillet 2013), tout le monde a peur ». Et pour cause, six mois après les faits, l’enquête du juge d’instruction est toujours au point mort. « Les autorités camerounaises ne donnent aucun signe concret de leur volonté de faire cesser ces persécutions », explique une source au sein de la FIDH, qui s’est rendue sur place en janvier. « Aucun auteur de chantages et d’extorsions n’a jamais été arrêté ni inquiété et les plaintes déposées par les défenseurs sont toutes restées sans suite », ajoute-t-elle.

>>> A LIRE – Que le calvaire d’Éric Lembembe ne soit pas vain

Derrière son sourire et sa bonne humeur, les espoirs d’Adonis de voir les choses changer s’amenuisent. Comme Berthe à Yaoundé, qui confie ne pas comprendre pourquoi elle n’est pas encore morte, comme Jules qui se demande s’il sera le prochain, « le docteur des pédés » se demande si en 2014 ce sera « son tour ». Au même moment, dans cette triste soirée du 9 janvier, Roger Mbede, symbole de la lutte pour les droits LGBT, s’éteignait, après un long calvaire, à quelques kilomètres de Yaoundé. Au Cameroun, c’est une réalité, la mort frappe toujours les homosexuels. Comme une fatalité.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Contenus partenaires