Mariam Lamizana : « Il n’y a pas de recette miracle en matière de lutte contre l’excision »
La tâche semblait quasiment insurmontable il y a trente ans, mais pourtant, grâce à la détermination des pouvoirs publics à l’implication de l’ensemble de la société civile, le Burkina Faso est parvenu à marginaliser la pratique des mutilations génitales féminines. Mariam Lamizana, première présidente du Comité national de lutte contre la pratique de l’excision (CNLPE), présidente du Comité interafricain sur les pratiques traditionnelles ayant un effet sur la santé des femmes (CIAF) et ancienne ministre burkinabè de l’Action sociale et de la Solidarité nationale, explique les actions menées dans son pays et en Afrique de l’Ouest pour combattre le fléau.
Née en 1951 à Bobo-Dioulasso, Mariam Lamizana, sociologue et assistante sociale, incarne quatre décennies de lutte sans relâche contre les mutilations génitales féminines au pays des Hommes intègres et sur tout le continent africain. La ténacité de "madame Action sociale", qui a fondé ou dirigé plusieurs ONG pour faire reculer une tradition ancrée depuis des siècles, lui a valu une nomination pour le prix Sakharov du Parlement européen pour la liberté de penser en 2009. Mais la plus grande récompense de la militante a été de voir ses efforts couronnés de succès grâce à l’engagement progressif de toute la société burkinabè.
En moins de deux générations, la prévalence de l’excision a spectaculairement diminué, de 88% chez les femmes de plus de 45 ans à environ 15% chez les filles de moins de 13 ans. Parallèlement à son combat dans son pays, Mariam Lamizana s’implique volontiers pour faire évoluer les choses de manière semblable dans les pays qui restent à la traîne en matière de lutte contre les mutilations génitales féminines.
>> Lire aussi : Les résultats inégaux de la lutte contre les mutilations génitales
Jeune Afrique : Le dernier rapport de l’Unicef sur l’excision cite le Burkina Faso comme étant l’un des pays où cette pratique a le plus reculé. Quels sont les facteurs permettant de faire passer la proportion de femmes excisées de 9 sur 10 à moins de 1 sur 7 en quelques décennies ?
Mariam Lamizana : Il n’y a pas de recette miracle. La solution c’est une implication réelle et sincère de l’ensemble de la société, du sommet de l’État jusqu’aux communautés les plus reculées. Il a fallu des actions conjuguées des pouvoirs publics, des autorités locales détentrices de la légitimité conférée par la tradition, sans oublier le rôle essentiel des responsables religieux. Tout ceci a pu se concrétiser grâce à la ténacité des ONG locales, épaulées par l’Unicef. Et surtout, il a fallu beaucoup de temps et de persévérance, et inscrire chaque action dans la durée. Changer tout un système ne s’improvise pas du jour au lendemain. Nous avons commis des erreurs, au début. Nos premières actions étaient trop ponctuelles pour porter du fruit. Par exemple, en 1975, à l’occasion de l’Année internationale de la Femme, les médias et la société civile se sont mobilisés contre l’excision. Il y a eu de grandes campagnes de sensibilisation. Mais les efforts sont vite retombés et par conséquent il n’y a pas eu de résultats concrets. On peut dire que le combat a véritablement débuté à la fin des années 1980 avec la création d’un cadre institutionnel pour lutter contre les mutilations génitales. L’État a interdit l’excision en 1996, mais bien sûr les mentalités n’étaient pas prêtes. Il a été important d’impliquer les hommes, auparavant peu concernés par le sujet. La société burkinabè est très patriarcale : quand les hommes décident, les choses bougent. C’est comme cela que, de ville en ville, le rejet de l’excision s’est réellement imposé.
La tradition est devenue une simple norme sociale, cruelle et vide de sens.
Quelles sont les résistances les plus vives que vous ayez rencontrées au sein de la société burkinabè ?
Le poids de la coutume est très fort, surtout quand elle est teintée de croyances religieuses. Beaucoup de Burkinabè musulmans s’imaginaient que l’excision était une obligation religieuse pour les femmes, comme la circoncision pour les hommes. Mais cela pouvait aller plus loin : nombreux étaient ceux qui croyaient que les prières des femmes non excisées ne pouvaient être exaucées, ou que celles-ci étaient destinées à l’enfer. Pour combattre ces superstitions, l’implication des autorités religieuses a été déterminante, afin de dissiper ce vieux malentendu qui faisait de l’excision un commandement de l’islam.
À partir du moment où l’excision est devenue illégale, en 1996, les cérémonies traditionnelles associées à cette pratique, que subissaient les jeunes filles dans leur adolescence, ont progressivement disparu, ou du moins, elles se sont déplacées vers la clandestinité. Mais à partir du moment où il n’y avait plus de rite initiatique associé à l’excision, et dès lors que ce n’était plus des jeunes filles pubères qui étaient concernées, mais de toutes petites filles, voire des nourrissons, la dimension symbolique de cette pratique traditionnelle ancestrale s’est effritée. La tradition est devenue une simple norme sociale, cruelle et vide de sens.
La loi d’interdiction des mutilations génitales féminines au Burkina Faso est-elle véritablement appliquée ?
Bien sûr ! Il y a eu des difficultés d’application au début, quelques cas d’amnistie ou de sursis injustifiés, du fait de la nouveauté de la législation. Cela a entretenu une certaine confusion. Mais désormais, tous les cas d’excision connus sont systématiquement poursuivis. La peur de la loi est un élément important pour faire reculer une pratique et changer le regard de la société. Les délinquants encourent de 6 mois à 10 ans d’emprisonnement selon la gravité du délit, ainsi qu’une lourde amende. Les citoyens burkinabès ont l’obligation de dénoncer aux autorités toute mutilation génitale dont ils auraient eu vent. Ne pas le faire, c’est se rendre complice de l’excision. Les contrevenants s’exposent à une amende de 100 000 francs CFA (152 euros). Bien entendu, quand la mutilation est pratiquée clandestinement et n’est pas dénoncée aux autorités, celles-ci sont impuissantes.
L’essentiel est de franchir la ligne d’arrivée, tôt ou tard.
Vous présidez le CIAF, qui est présent et actif dans les 29 pays africains où les mutilations génitales féminines existent en vertu de la tradition. Dans quelle mesure les pays voisins peuvent-ils s’inspirer du travail accompli au Burkina Faso ?
Le CIAF œuvre pour l’éradication de l’excision dans les 29 pays où il est présent, selon une organisation par groupes de pays, en fonction de leur proximité géographique, de leur contexte culturel et des langues dominantes. Bien entendu, nous échangeons les expériences et diffusons les bonnes pratiques d’un pays à l’autre. Nous soutenons un agenda commun dans les 29 pays, et interpellons les gouvernements et la société civile là où il le faut. Le CIAF est également un cadre important de coopération transfrontalière, car les gens migrent, et bien entendu, les exciseuses aussi. Il est important de veiller à ce qu’elles soient punies même si elles passent la frontière et partent au Mali pour commettre leur forfait.
Mais la coopération au sein du CIAF ne veut pas dire que toutes les méthodes appliquées au Burkina Faso peuvent être exportées à l’identique dans un pays voisin et donner exactement les mêmes résultats. Au Mali, le contexte n’est pas le même qu’au Burkina Faso. Il semble que les facteurs politiques et sociaux ne plaident pas encore en faveur d’une loi d’interdiction. Pourtant, un projet de loi d’abolition de l’excision est en sommeil dans les tiroirs depuis le temps du président Alpha Oumar Konaré (le président du Mali de 1992 à 2002, NDLR) ! En plus de la volonté politique, qui n’est peut-être pas encore assez forte au Mali, les efforts de sensibilisation de tous les acteurs de la société malienne doivent être poursuivis : impliquer les écoles et faire des enseignants des relais de la juste information, inculquer aux personnels médicaux le devoir de dénoncer l’excision comme étant la cause de la plupart des accouchements difficiles et d’un grand nombre de maladies, et surtout, associer les leaders religieux à chaque initiative, car leur influence est considérable.
Les choses vont plus lentement au Mali, mais pour moi, que l’on fonce comme un sprinteur ou que l’on aille à la vitesse d’un marathonien, l’essentiel est de franchir la ligne d’arrivée, tôt ou tard.
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Propos recueillis par Jean-Michel Hauteville
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