Une vidéo de télé-réalité souligne les insuffisances de l’éducation au Mali

La polémique enfle au Mali après la diffusion sur YouTube de la vidéo d’un casting pour une émission de télé-réalité : les candidates, toutes étudiantes, sont incapables de s’exprimer en français, pourtant langue nationale. Pour beaucoup d’observateurs, plus consternés qu’amusés, cette séquence est révélatrice du niveau déplorable de l’école.

Dans une école primaire au Mali. © AFP

Dans une école primaire au Mali. © AFP

Publié le 31 janvier 2014 Lecture : 5 minutes.

La pilule a du mal à passer au Mali. Alors que le groupe de télévision Africable s’apprête à enregistrer la quatrième saison de l’émission de télé-réalité "Case Saramaya – C’est moi la plus belle", une vidéo montrant des extraits de la sélection des candidates à Bamako a été diffusée sur YouTube le 27 janvier. Il en ressort que les jeunes et jolies candidates, interrogées par un jury de producteurs de l’émission, ont toutes les peines du monde à s’exprimer en français ou à répondre à des questions simples, alors qu’elles se disent toutes étudiantes ou diplômées.

Une participante à ce casting, étudiante en droit, bute sur la question "qu’est-ce que le droit ?" posée par le jury soucieux de sélectionner des candidates capables de se faire comprendre en français, une des langues officielles du Mali. Une autre, supposément étudiante en médecine, reste coite quand on lui demande d’expliquer ce qu’est une hypoglycémie. Une troisième, titulaire d’un diplôme de secrétariat de direction, ne comprend pas les questions qui lui sont posées en français par un jury pourtant conquis par son élégance.

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"Casting de la honte"

La blogosphère malienne est en ébullition. De nombreuses critiques, comme celles du site Maliactu.net, sont adressées aux responsables du programme, accusés de "manquer de déontologie" et d’avoir sciemment humilié les participantes du casting pour divertir le public et créer le buzz. Le site JournalduMali.com va encore plus loin dans sa dénonciation de ce "casting de la honte", qui couvre d’opprobre un pays "en convalescence" après les horreurs de la guerre au lieu d’en montrer les facettes positives. Le site d’information n’hésite pas à évoquer la possibilité d’une plainte contre la chaîne Africable.

Mais plus généralement, nombreux sont ceux qui voient dans ce bêtisier aguicheur d’une vingtaine de minutes le symptôme de l’indigence du système scolaire public au Mali, exsangue et souffrant de nombreux maux aggravés par la récente crise. Fatouma Harber, professeur à l’IFM (Institut de Formation des Maîtres) de Tombouctou, a souligné, en quelques anecdotes confinant à l’absurde, à quel point la guerre civile a désorganisé l’enseignement. Alors que la rentrée des classes dans les IUFM du nord du pays (à Tombouctou, Kidal et Gao notamment) a eu lieu en octobre, les cours n’ont pu commencer qu’en janvier. La raison ? "Les enseignants ont reçu 250 000 francs CFA (381 euros) pour quitter Bamako, où ils s’étaient réfugiés pendant la guerre. On les a renvoyés dans le nord du Mali afin de rouvrir les IFM et y assurer leurs classes. Mais les élèves et les administrations des écoles sont restés à Bamako ! Les cours ont donc débuté en janvier lorsque nous, les professeurs, avons pu retourner à la capitale, après quatre mois de cafouillages. C’est autant de temps perdu pour cette année". 

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Système à deux vitesses

Contactée par téléphone, la pédagogue, qui forme de futurs instituteurs, dresse un tableau particulièrement sombre d’un système scolaire à deux vitesses. D’un côté, des écoles privées, indéniablement performantes mais beaucoup trop chères pour les classes moyennes maliennes : une année de scolarité y coûte entre 200 000 et 800 000 francs CFA (de 305 à 1 220 euros), dans un pays où le salaire minimum ne dépasse pas les 29 000 francs CFA (44 euros). De l’autre, un système public en pleine déliquescence, qui souffre de ses classes surchargées atteignant parfois les 70 élèves pour un professeur, et où il n’est pas rare que les élèves soient contraints d’habiter dans les salles de cours faute de places d’internat. Quand on ajoute à cela la forte baisse du niveau de français depuis l’introduction, en 1998, de la "pédagogie convergente" en bambara, la principale langue nationale parlée au sud du pays, il n’est pas étonnant que seuls ceux qui ont "le bras long" réussissent aux examens et décrochent leurs diplômes, suggère l’enseignante, fataliste. Un indicateur alarmant met en relief le naufrage de l’école au Mali : le taux de réussite au baccalauréat s’est effondré en quelques années, passant de 50 % en 2008 à seulement 13 % en 2013.

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Même constat à l’Université de Bamako, où Boubacar Sangaré, étudiant en licence ès lettres et journaliste au quotidien bamakois Les Échos, dénonce pêle-mêle les grèves à répétition qui plongent les facultés dans le chaos, les diplômes qui se monnayent et le fléau bien connu des "notes sexuellement transmissibles" : l’obtention de bonnes notes en échange de quelques faveurs sexuelles accordées aux professeurs. La remise à niveau de l’Université, divisée en quatre facultés indépendantes depuis 2011, est un chantier sur le long terme pour le gouvernement, estime l’étudiant, qui envisage de partir au Burkina Faso pour poursuivre un cursus en sciences politiques.

45 mesures pour la "reconstruction" de l’école

Le blogueur Askia Mohamed, qui se réjouit de ce débat sur l’éducation au Mali, provoqué indirectement par la cruelle vidéo de la chaîne Africable, préfère cependant nuancer les propos les plus pessimistes. "Pour avoir fréquenté une école publique, au Mali, une école privée et le Lycée français, je peux dire que les élèves maliens ne sont pas moins brillants que les élèves des écoles privées ou françaises", affirme l’auteur du blog Une autre vision sur le Mali. Il pointe du doigt les carences d’un enseignement trop scolaire et de méthodes d’apprentissage "dignes des années 1960", où les professeurs dictent leurs cours en classe (à l’IFM de Tombouctou, Fatouma Harber indiquait devoir recopier tout son cours au tableau). Les écoles et universités n’arment pas suffisamment leurs diplômés pour le marché du travail ou même pour l’éventuelle poursuite de leurs études à l’étranger, ce qui accentue leur perte de crédibilité. Mais Askia Mohamed refuse de voir dans les participantes malheureuses à ce casting des figures représentatives de la jeunesse malienne, puisqu’il s’agit, après tout, de candidates à une émission de télé-réalité dont l’objectif est de faire de l’audimat, pas d’élever le débat.

Dans le Programme d’Action du Gouvernement 2013-2018, les autorités reconnaissent sobrement que "l’école malienne traverse une crise majeure" et annoncent une batterie de mesures de "reconstruction". Pas moins de 45 chantiers sont identifiés pour sauver le système éducatif du naufrage, de la création de cantines scolaires à l’identification biométrique des enseignants en passant par la remise à plat des programmes et de la pédagogie. Il n’en faudra pas moins pour sortir de l’ornière le Mali.

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Jean-Michel Hauteville

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