Moi Naomie, homosexuel et travesti au Cameroun

« Je ne peux pas être différente, je me sens femme depuis que je suis toute petite ». Portrait de Naomie, un travesti camerounais qui n’a qu’une idée en tête : fuir son pays natal, où l’homophobie est une réalité violente.

Naomie, à Yaoundé, en janvier 2014. © Mathieu Olivier/JA

Naomie, à Yaoundé, en janvier 2014. © Mathieu Olivier/JA

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Publié le 3 février 2014 Lecture : 1 minute.

Pour honorer notre rendez-vous, Naomie aura dû prendre deux taxis. L’un a refusé de la conduire à destination après avoir remarqué sa façon de s’habiller. Le second, gêné, a finalement accepté de la déposer. À Yaoundé, rien n’est simple pour un travesti. La différence a un coût, souvent beaucoup plus élevé qu’un simple problème de transport.

Trop "visible", sa façon de s’habiller en femme empêche Naomie d’être tout à fait libre de ses mouvements. Elle vit la plupart du temps cloîtrée dans la demeure exiguë de sa grand-mère. "Les voisins me jettent de l’eau usagée quand ils me voient", explique-t-elle. "J’ai été agressée, il y a encore deux jours".

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Le voisinage a menacé à plusieurs reprises de la lyncher. Quant à sa propre famille, elle refuse de la voir autrement que comme le petit garçon qui est venu au monde il y a plus de trente ans. En dehors de sa grand-mère, elle-même menacée pour "avoir encouragé" l’homosexualité de Naomie, tous l’ont rejetée. Y compris ses quatre grands frères et ses trois sœurs. "Ma mère ne parle plus à ma grand-mère, elle lui a dit qu’elle voulait la tuer", confie-t-elle.

Ma mère ne parle plus à ma grand-mère, elle lui a dit qu’elle voulait la tuer.

"Un homme ne boit pas de Baileys"

"Femme depuis qu'[elle est] toute petite", Naomie ne s’est longtemps habillé en femme qu’à certaines occasions, pour des soirées ou des rendez-vous. Quelques heures de liberté volées dans un pays où elle n’est "pas libre de circuler" comme elle le souhaite, déplore-t-elle.

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Un soir de juillet 2011, elle est arrêtée avec un autre travesti, Dolores. Les policiers les accusent de "se tripoter". Elle est gardée à vue à la division régionale de la police judiciaire du Centre. "Nous avons passé une semaine au commissariat", expliquait Dolores à Human Rights Watch en octobre 2012. "Nous n’avons reçu aucune visite et n’avons pas pu appeler nos parents, ils ne savaient pas où nous étions avant notre arrivée à la prison de Kondengui", se souvenait-elle.

Selon la police, Naomie et Dolores ont reconnu des "tripotages" et admis avoir eu des rapports homosexuels dans le passé. Des aveux obtenus sous la contrainte, expliqueront ensuite les deux prévenues. Le 22 novembre 2011, elles sont pourtant condamnées par le tribunal de Yaoundé-Ékounou pour homosexualité à cinq ans de prison ainsi qu’à une amende de 200 000 francs CFA. Lors du verdict, l’un des juges déclarait : "un homme normal ne porte pas de jupes, ne boit pas de Baileys".

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Vivre, malgré tout

Stigmatisées par les autres détenus comme par les gardiens, nourries avec l’aide de financements de l’Union européenne, elles passeront plus d’un an à la prison de Kondengui, dans des conditions sur lesquelles Naomie préfère ne pas s’étendre. Ce n’est que le 7 janvier 2013 que la cour d’appel du Centre décide d’annuler la condamnation, estimant que les "aveux" ont été obtenus sous la contrainte. Une victoire tardive. Mais à leur sortie de prison le cauchemar continue.

"On était recherchés", explique Naomie. "Il ne fallait pas que les gens sachent où nous étions". Lambert, militant LGBT de Yaoundé, tente de les aider. "Je les ai cachées dans un hôtel à cinquante kilomètres de la ville mais elles ont été découvertes et ont dû s’enfuir à moto et revenir dans la capitale", se souvient-il. À Yaoundé ou à Limbe, où elle a été un temps réfugiée, Naomie doit subir une véritable traque. Poursuivie, agressée, elle est devenue une cible dans son propre pays.

D’autant que, par défi, elle a choisi, à sa sortie de prison, de ne plus s’habiller qu’en femme. Comme ce dimanche soir, au Carrefour de la Joie, l’un des rares endroits de Yaoundé où la communauté LGBT peut, malgré les rafles et les agressions, se retrouver. Dans sa robe jaune, maquillée avec soins, elle nous lance alors, pleine d’orgueil : "Je suis la plus jolie de la soirée !"

"C’est la nature qui fait les choses, on naît comme ça, on ne le devient pas !"

"C’est ma vie, c’est mon corps"

"Elle sait qui elle est et ce qu’elle veut. Elle est épanouie malgré tout ce qu’il y a contre elle", témoigne Lambert. "C’est la nature qui fait les choses, on naît comme ça, on ne le devient pas", s’indigne Naomie. "Je ne vois pas pourquoi, parce que je suis travesti, les personnes sont gênées. C’est ma vie, c’est mon corps !"

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Menacée de mort à chaque instant en raison de son identité sexuelle, elle s’accroche à l’un de ses rêves : retrouver du travail dans la coiffure. "J’avais mon propre salon à Yaoundé mais on m’a tout volé, tout détruit", se souvient-elle. Sans aucune ressource financière, elle pense aujourd’hui n’avoir plus d’autre choix que de quitter le pays pour refaire sa vie. Et cesser d’être un danger pour elle-même comme pour sa grand-mère.

Pour que cette dernière survive autant que pour elle-même, Naomie rêve de Genève, de Paris, d’Afrique du Sud. "Je veux partir en Europe ou même ailleurs en Afrique, dans un pays où je pourrai être moi-même", explique-t-elle, implorant l’aide de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), dont elle a rencontré les chargés de mission en janvier. Aujourd’hui, la vie de Naomie est en sursis. Comme l’était celle d’Eric Lembembe. Ce dernier, torturé, mutilé, a été assassiné en juillet 2013.

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Par Mathieu OLIVIER

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