Frédéric Pecastaings : « La Tunisie reste la priorité du groupe Mabrouk »
Le groupe Mabrouk, est un acteur majeur de l’agro-industrie non seulement en Tunisie, son pays, mais aussi en Libye et en Algérie. À quand le Maroc ?
Agro-industrie : un potentiel en jachère
Depuis la création de sa première biscuiterie dans les années 1950, le groupe Mabrouk s’est imposé comme l’un des principaux acteurs de l’agro-industrie au Maghreb. Ses entreprises, Sotubi (biscuits), Sotuchoc (chocolat) et Industries alimentaires de Tunisie (fromage), réalisent environ 240 millions d’euros de chiffre d’affaires. Si Ismaïl Mabrouk, chargé de ces activités au sein de l’empire familial (également présent dans la finance, la grande distribution et l’automobile), assure que, pour les années à venir, le marché tunisien restera son principal objectif, le groupe compte aussi accroître sa présence à l’échelle régionale, notamment en Algérie, en Libye et, à terme, au Maroc.
Ancien directeur des acquisitions pour Danone dans les pays émergents, le Français Frédéric Pecastaings, directeur général du pôle agroalimentaire depuis 2006, revient sur les dynamiques des différents marchés et sur la feuille de route des entreprises Mabrouk, bientôt réunies au sein d’un holding dénommé Saïda Group.
JEUNE AFRIQUE : Quelles sont les perspectives de l’industrie agroalimentaire dans les pays du Maghreb ?
Frédéric Pecastaings : Le potentiel est tangible. C’est un marché de près de 100 millions de personnes. Cependant, on ne peut aborder la région comme un tout, chaque pays a son propre niveau de maturité. Au plan industriel, la Tunisie bénéficie d’une expertise certaine. Par ailleurs, c’est aussi le pays où la consommation par individu est la plus importante. Ce marché reste donc notre priorité. La Libye, que nous connaissons bien et depuis longtemps à travers nos activités d’export, est aussi une cible majeure. L’Algérie offre quant à elle un potentiel tel que nous avons choisi de nous y implanter industriellement dès 2006 dans le secteur des biscuits. Enfin, au Maroc, nous analysons les opportunités. L’idée est de trouver la bonne niche, car le marché est concurrentiel. La création d’une petite unité de production pourrait se concrétiser à l’horizon 2014-2015. Nous pourrions aussi commencer par la commercialisation de produits fabriqués en Tunisie.
Il n’y a pas de raison d’introduire notre futur holding en Bourse
La Libye répond-elle à vos attentes ?
L’avantage de ce pays, c’est que nous y bénéficions à la fois d’une proximité géographique avec nos usines tunisiennes, de la notoriété de nos produits et de l’absence de taxes. Nous y sommes présents depuis plus de dix ans, mais il est vrai que ces dernières années la croissance est plus soutenue. Les consommateurs libyens ont un réel pouvoir d’achat et toutes les gammes trouvent preneur.
Pour être plus dynamiques, nous renforçons notre distribution en créant une coentreprise avec l’un de nos partenaires libyens sur le modèle de ce que nous sommes en train de faire en Algérie.
Depuis la révolution, l’économie tunisienne est fortement perturbée. Ressentez-vous un ralentissement de la consommation ?
Non, les ventes continuent de progresser, mais nous notons une plus grande sensibilité des acheteurs à des formats moins chers, comme les formats individuels. Le groupage de produits avec des prix unitaires plus attractifs connaît aussi un certain succès. Malgré l’instabilité de la région, la consommation devrait encore augmenter dans les années à venir.
Comment avez-vous sécurisé vos approvisionnements ?
Nous avons diversifié nos fournisseurs pour limiter l’impact éventuel des mouvements sociaux. Nous avons aussi consenti un effort financier pour constituer un stock stratégique de certaines matières premières, comme le cheddar ou le cacao. Le lait frais, pour la fabrication des fromages, est un point sensible. Comme nous avons choisi de ne pas avoir nos propres fermes, nous cherchons à consolider notre réseau de collecte en développant des relations privilégiées avec les éleveurs, en leur apportant de l’aide pour se structurer ou trouver des financements.
L’avenir de l’agroalimentaire au Maghreb passe-t-il par des marques locales ou internationales ?
De manière générale, l’ancrage local est important. Par exemple, pour les biscuits, le lien affectif est particulièrement fort, on le constate avec notre marque Saïda en Tunisie. Pour les fromages, c’est différent. Dans des pays sans réelle tradition fromagère, le consommateur fait davantage confiance à des labels connus. En Tunisie, c’est le cas de Président. Disposer d’un portefeuille de marques à la fois locales, régionales et internationales permet de jouer la complémentarité : c’est l’un de nos atouts.
Quelle place occupent les partenaires internationaux dans votre stratégie ?
Nous avons deux types de partenariat. Avec le français Lactalis, il prend la forme d’un contrat de franchise et d’assistance technique pour la Tunisie ; au-delà de la licence de marque, il porte sur un transfert de savoir-faire. Avec l’américain Mondelez International, il s’agit d’un accord capitalistique comprenant également un contrat de licence de marque et de transfert de savoir-faire. En Tunisie, Mondelez détient 49 % de Sotubi, alors qu’il possède 51 % de LU Algérie, même si c’est le groupe Mabrouk qui gère l’usine depuis janvier 2012.
Comment trouver l’équilibre entre les pôles production et distribution du groupe Mabrouk ?
Les deux sont indépendants et complémentaires. Suivant les pays, la grande distribution ne représente que 10 % à 20 % du commerce. Certes, l’importance de ce canal augmente et il faut en tenir compte. C’est surtout une vitrine très intéressante pour l’image de nos produits et pour présenter les innovations. Mais le circuit traditionnel reste prépondérant : si vous n’y êtes pas présent, surtout via les grossistes et les petits épiciers, c’est difficile d’exister.
Depuis cinq ans, vous travaillez au regroupement de vos différentes activités agro-industrielles. Pourquoi ?
Les entreprises Sotubi, Sotuchoc et IAT [Industries alimentaires de Tunisie] se sont développées indépendamment au sein du groupe, mais elles ont toutes atteint une taille qui les place parmi les grandes sociétés industrielles tunisiennes. Pour poursuivre leur développement, il fallait améliorer la prise en charge de problématiques transversales comme les ressources humaines, la finance ou la gestion des systèmes d’information. D’ici à la fin de l’année, toutes nos activités agroalimentaires seront regroupées au sein du holding Saïda Group.
Peut-on imaginer que le groupe soit un jour coté à Tunis ?
Il n’y a pas de raison, a priori, d’introduire Saïda Group en Bourse. Notre développement se fait à partir des fonds générés par nos activités et grâce à l’appui de nos partenaires bancaires. À cela s’ajoute la dimension affective du pôle agroalimentaire pour la famille Mabrouk, car c’est là que tout a commencé.
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