Centrafrique : crise humanitaire, la solidarité africaine mise à l’épreuve
Moucharaf Justin Paraiso, enseignant à Sciences-Po Lyon, est un ancien haut fonctionnaire de l’Organisation internationale du travail. Alain Pierre Mouchiroud est lui aussi un ancien haut fonctionnaire des Nations unies.
La fameuse solidarité africaine, cet élan de fraternité qui pousse spontanément les hommes et femmes d’une même aire culturelle à s’entraider, même dans le dénuement, et à porter secours aux plus démunis d’entre eux, n’est-elle en définitive qu’une légende dorée ? Sinon, pourquoi les gouvernements africains, les organisations sous-régionales et l’Union africaine ne s’impliquent-ils jamais dans l’action humanitaire et dans l’aide d’urgence ? Sinon, comment expliquer qu’ils renoncent systématiquement à leur devoir d’assistance et abandonnent aux organisations internationales, aux ONG et aux pays occidentaux l’aide d’urgence ?
La Centrafrique n’est pas une priorité géopolitique comme le déplorent plusieurs responsables d’ONG humanitaires.
La République centrafricaine est depuis plusieurs semaines déchirée par des affrontements ethniques et religieux d’une rare violence, faisant plus de 900 000 déplacés dispersés dans des camps de fortune aux conditions de vie épouvantables. De jour en jour, la situation humanitaire empire, car l’aide qui arrive est insuffisante, non, semble-t-il, faute de moyens logistiques, ni de ressources alimentaires, mais parce que la République centrafricaine n’est pas une priorité géopolitique comme le déplorent plusieurs responsables d’ONG humanitaires.
Comme chacun le sait, en pareilles circonstances, les besoins prioritaires en nourriture, eau, soins de santé, assainissement, et articles ménagers, couvertures et tentes, pour atténuer les souffrances de ceux qui ont fui leurs maisons, sont toujours en deçà du minimum décent. Comme d’habitude, l’Union africaine a sollicité l’aide humanitaire et militaire de la communauté internationale. Celle-ci a organisé des ponts aériens pour acheminer l’aide humanitaire. Le HCR, l’Unicef, le PAM, l’Union européenne et les ONG internationales ont envoyé des vivres, des tentes, des médicaments et divers articles de secours. Certes, l’aide d’urgence, encore en quantité insuffisante en réponse à l’immensité du drame humain, a afflué de partout. De partout, sauf d’Afrique…
>> Lire aussi : L’Europe "ne peut pas laisser la France seule" en Centrafrique
Pourtant, et ceci doit être souligné, c’est probablement la première fois qu’à une telle échelle, les autorités de chacun des pays ont mis en place un pont aérien pour rapatrier leurs compatriotes. En effet, dès que la situation sécuritaire s’est améliorée, certains pays, notamment le Cameroun, le Congo, le Mali et le Sénégal, ont affrété des avions pour rapatrier leurs ressortissants, ce qui constitue une avancée politique notoire par rapport à l’époque où il fallait compter sur la France ou l’ONU pour le faire. La mobilisation fut coûteuse si l’on considère le nombre de rotations aériennes (par exemple, 6 rotations par jour en provenance du Cameroun) ou le montant de la facture à régler (estimée à 700 millions de FCFA dont 600 pour Air France pour le Sénégal). D’autres vols spéciaux de rapatriement sont prévus dans les semaines à venir.
Cependant, on peut regretter que ces avions affrétés par les gouvernements africains, dont certains possèdent d’importantes capacités d’emporter du fret ( Boeing 767 et 737, Airbus A330 et 340) soient arrivés les soutes vides à Bangui, tout près des camps de réfugiés, dont l’effroyable camp de Mpoko où croupissaient quelque 100 000 déplacés dans des conditions inhumaines. N’aurait-on pas pu faire mieux, faire davantage, en utilisant plus rationnellement les ponts aériens pour venir plus efficacement en aide aux personnes déplacées, démunies de tout ?
Comment ne pas déplorer cette absence de solidarité, et surtout comment comprendre cette absence de compassion qui déclenche le réflexe humanitaire ? L’indigence n’est pas une excuse. Après le tremblement de terre d’Haïti, nombre de pays africains, et surtout de simples citoyens, spontanément, immédiatement, se sont mobilisés pour manifester leur soutien et leur solidarité, envoyant argent, aide alimentaire et médicaments. Alors, pourquoi compter d’abord sur les "institutions extérieures" : Nations unies, Union européenne, ONG internationales, et parmi ces dernières celles issues des diasporas ?
Devenues institutionnelles dans plusieurs États d’Afrique, l’aide internationale humanitaire et l’aide d’urgence ont fini par créer une logique de dépendance dont la plupart des dirigeants et des hauts fonctionnaires de ces pays ne mesurent pas tous les effets pervers .
Une solidarité bien vivante
Qu’en sera-t-il demain, lorsque la croissance que va connaître l’Afrique dans les années à venir s’accompagnera, malheureusement, dans certaines régions, de tensions et de crises qui, au-delà des conflits politiques, des rivalités ethniques et économiques, prendront des dimensions plus dramatiques en raison des défis démographiques, de l’urbanisation accélérée, et des frustrations d’une population jeune et sous-employée ?
Ne serait-il pas opportun d’encourager la constitution d’un mécanisme d’aide rapide aux plus démunis ?
À la lumière des enseignements de la crise centrafricaine et de celles survenues dans d’autres pays, ne serait-il pas opportun d’encourager la constitution d’un mécanisme d’aide rapide aux plus démunis en cas de crise, au moins pour répondre dans un premier temps aux besoins les plus immédiats ? Manu Dibango, après le désastre haïtien soulignait : "La vie est difficile en Afrique ; mais tout le monde peut faire quelque chose en faveur du peuple haïtien. À chaque fois les Occidentaux font quelque chose pour les Africains et pourquoi pas des Africains pour les Africains ?"
La solidarité africaine, malgré les changements liés à la "modernisation", au développement et à l’urbanisation, reste bien vivante au sein des familles et des communautés. Elle peut être mobilisée. L’Union africaine, dont l’action se révèle si positive dans nombre de domaines novateurs, par exemple dans le conseil aux gouvernements pour la renégociation des contrats miniers et pétroliers avec les entreprises étrangères spoliatrices, pourrait être l’institution initiatrice d’une telle réflexion, d’une telle construction, puis d’une telle mobilisation.
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