Centrafrique : passer à la vitesse supérieure
Jocelyn Coulon est directeur du Réseau de recherche sur les opérations de paix, Université de Montréal.
Le 25 décembre, six soldats tchadiens de la Mission internationale de soutien en Centrafrique (Misca), créée par l’Union africaine, ont été tués. En temps normal, cela ne devrait pas arriver dans une opération de paix. Les soldats de la paix ne sont pas censés être des cibles, mais la Centrafrique vit une situation chaotique et s’enfonce chaque jour dans la violence. Les forces africaines parent au plus pressant avec l’appui des militaires français. Ce n’est plus suffisant. Il faut une action plus vigoureuse si l’on veut éviter le pire. Il faut passer à la vitesse supérieure et déployer rapidement une force de Casques bleus de l’ONU.
La mort des soldats tchadiens n’a rien d’un incident isolé. Le Tchad exerce depuis longtemps une grande influence en Centrafrique. Il y a des intérêts, et rien ne peut se faire à Bangui sans le blanc-seing de N’Djaména. Pour autant, fallait-il autoriser un contingent de Tchadiens au sein de la Misca ? Les Tchadiens sont d’excellents militaires et ils prouvent leur grande utilité au Mali. La question n’est pas là. Une opération de paix est une intervention qui sort de l’ordinaire. Elle doit respecter un certain nombre de règles, dont l’une veut qu’un pays engagé directement dans un conflit ne puisse se joindre à une opération de paix destinée à le solutionner. Imagine-t-on des contingents rwandais et ougandais au sein de la Monusco ? Où des Syriens et des Israéliens dans la Finul, déployée au Sud-Liban ? En accueillant les Tchadiens, l’UA a sans doute voulu bien faire, mais elle s’est trouvée à violer une règle cardinale du maintien de la paix.
Il faut une action plus vigoureuse si l’on veut éviter le pire.
Au-delà de la question tchadienne, se pose celle de l’efficacité réelle de la Misca à un moment où la situation sur place se dégrade. La Misca a intégré les contingents d’une mission de paix régionale (Micopax), celle-là même qui avait été impuissante à empêcher le coup d’État de mars 2013 et les massacres de populations à Bangui et en province. Aujourd’hui, la Misca peine à attirer des contributions, et compte sur les forces françaises pour exister. L’UA jure que la Misca monte en puissance et demande à la communauté internationale de faire preuve de patience. Peut-elle attendre alors qu’il y a urgence ? Il faut se rappeler que la mission de l’UA en Somalie (Amisom) a mis six ans avant d’atteindre les effectifs nécessaires afin de remplir pleinement son mandat.
La mesure de l’efficacité d’une opération de paix ne repose pas seulement sur ses effectifs ou même sur ses moyens. Il lui faut une légitimé qui soit reconnue tant sur le plan local qu’international. Et seule l’ONU possède ce capital si précieux et qui fait très souvent défaut aux autres organisations régionales et internationales en mesure de mettre sur pied des opérations de paix. Depuis sa première mission en 1948, l’ONU, malgré des échecs notables, a perfectionné son outil au service de la paix. Elle sait faire, non seulement en matière de maintien de la paix, mais aussi de reconstruction post-conflit.
D’ailleurs, l’archevêque et l’iman de Bangui ont vu juste lorsqu’ils ont appelé l’ONU à l’aide. "Il nous faut reconstruire aussi bien notre pays que notre tissu social, et nous comptons sur l’ONU pour nous en donner la possibilité", écrivaient-ils dans un texte publié il y a quelques jours par plusieurs quotidiens occidentaux.
L’ONU a déjà un plan en vue du déploiement d’une grande opération de paix en Centrafrique. Celle-ci serait constituée d’environ 10 000 militaires et policiers et aurait un ambitieux mandat visant à stabiliser le pays, reconstruire ses institutions et protéger sa population. La mission pourrait être dirigée par un général sénégalais, l’actuel représentant spécial de l’ONU à Bangui, Babacar Gaye, un officier de grand talent qui a fait ses preuves au Congo démocratique. Il est maintenant temps de mettre en oeuvre ce plan.
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