En France, la mémoire qui flanche
En pleine affaire Dieudonné, un double buzz débuté mi-décembre rappelle qu’une reconnaissance pleine et entière, en France, du génocide commis en 1994 contre les Tutsis du Rwanda se heurte toujours à une ignorance prononcée.
Deux événements a priori sans rapports sont venus rappeler en cette fin décembre l’état de confusion – et surtout l’ignorance – qu’entretient un large pan de la société française au sujet du dernier génocide du XXè siècle, commis au Rwanda en 1994.
En une semaine, une antenne du ministère de l’Éducation nationale et la chaîne française Canal + ont tour à tour diffusé des propos mensongers ou tendancieux sur le génocide des Tutsis, sans qu’aucune autorité publique ne se soit emparé du sujet. Un silence tout sauf anodin au regard de la lourdeur des relations franco-rwandaises et de la responsabilité de la France dans le soutien du régime qui a programmé l’extermination des Tutsi.
Un document destiné aux professeurs de français et émanant du CNED (Centre national de l’enseignement à distance), sous le titre “Le souvenir peut permettre de déterminer les responsabilités et de rendre justice”, s’est d’abord livré à une stupéfiante inversion historique: “À ce titre, le génocide des Hutu par les Tutsi au Rwanda illustre bien ceci…” L’intention mémorielle était louable. Sa traduction s’est avérée calamiteuse. Et n’est pas sans rappeler les réguliers réflexes conditionnés de déni ou d’aberrations éditoriales à ce sujet.
Quelques jours plus tard et alors que se prépare la 20è commémoration du génocide, l’émission de Canal + “Le Débarquement” s’est cette fois lancé le défi audacieux de faire du génocide survenu au Rwanda un sujet de comédie. Ce 20 décembre, entendant parodier les codes de la télé-réalité, “Rendez-vous en parenthèse inattendue” mettait en scène deux stars, Gilles Lellouche et Audrey Fleurot, débarquant au « pays des mille collines ». Le sketch consistait en une accumulation de saillies de mauvais goût autour d’un génocide dont les comédiens, manifestement, n’ont jamais perçu ni l’intensité, ni la cruauté, ni le traumatisme profond qu’il a laissé dans la mémoire des rescapés. Jusqu’à l’apothéose, le détournement de la berceuse “Colas mon petit frère”: “Maman est en haut coupée en morceaux/ Papa est en bas, il lui manque un bras/ Fais dodo Colas mon p’tit frère/ Fais dodo car les z’aut’s sont morts.” So Frenchy!
Réputée pointilleux avant diffusion, le service juridique de la chaîne n’avait manifestement pas subodoré que cet humour potache et déplacé, appliqué à un génocide commis en terre africaine, puisse émouvoir qui que ce soit. Il aura fallu qu’une tribune soit publiée le 30 décembre dans Libération par l’écrivaine rwandaise Scholastique Mukasonga, prix Renaudot 2012, pour inciter la chaîne à diffuser un communiqué dans lequel, plaidant ses bonnes intentions et le troisième degré, elle s’en tirait par un pirouette: “Ce sketch ne visait en aucun cas à porter atteinte à la mémoire de victimes du génocide rwandais”. Quant à formuler des excuses, il faudrait encore patienter.
Mehdi Ba
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Maroc, l’UM6P se voit déjà en MIT
- La Côte d’Ivoire, plus gros importateur de vin d’Afrique, dans le viseur des États...
- Maroc-Algérie : que contiennent les archives sur la frontière promises par Macron ?
- En Algérie, le ministre Ali Aoun affaibli après l’arrestation de son fils pour cor...
- Derrière les franchises KFC, Papa John’s ou Century 21 à Tunis, le visage de Rym B...