Jean-Paul Gautier : « Il ne faut surtout pas interdire Dieudonné, c’est ce qu’il cherche »
En pleine polémique sur l’interdiction des réunions publiques de l’humoriste Dieudonné, l’historien français Jean-Paul Gautier, spécialiste de l’extrême-droite française et co-auteur de « La Galaxie Dieudonné »*, revient sur les propos du ministre français de l’Intérieur, Manuel Valls, et sur une affaire qui échauffe les esprits.
Jeune Afrique : Comment jugez-vous l’attitude du ministère français de l’Intérieur qui veut interdire les "réunions publiques" de Dieudonné à la suite de ses propos antisémites sur le journaliste français Patrick Cohen ?
Jean-Paul Gautier : C’est tardif. Il y avait la loi Gayssot pour stoper cela et il aurait fallu intervenir bien plus en amont, dès qu’il a commencé à faire monter Faurisson sur scène.
Est-ce malgré tout efficace ?
Non je ne pense pas. Déjà d’un point de vue juridique, je ne sais pas si c’est possible, d’autant plus que Dieudonné est propriétaire de son théâtre, la Main d’or.
Et puis l’histoire montre qu’à chaque fois qu’on frappe des groupuscules extrémistes d’une interdiction, comme en 1936 avec la dissolution des ligues d’extrême droite, ou encore aujourd’hui après la dissolution de l’Oeuvre française, ils se sont reformés systématiquement sous un autre nom.
Et Dieudonné se défend d’appartenir à un quelconque parti…
Oui c’est vrai. Mais je considère qu’il est complètement tombé dans le champ magnétique de l’extrême-droite. On le voit dans ses attaques contre la ministre française de la Justice, Christiane Taubira, qu’il compare dans une vidéo à "Cheeta" le singe de Tarzan. On le voit dans sa proximité avec Jean-Marie Le Pen, parrain de l’un de ses enfants, ou encore dans ses positions contre le mariage pour tous, un projet qu’il qualifie de « sioniste » !
S’il n’a pas d’ambition politique, que recherche-t-il ?
Ce qu’il veut c’est une couverture médiatique maximale. Et pour y parvenir, il provoque. Ce n’est pas nouveau. En pleine affaire Clément Meric (le jeune étudiant militant de l’Action antifasciste Paris-banlieue tué à Paris par un skinhead, NDLR), il fait une interview avec le leader des des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR), Serge Ayoub.
Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui il jubile. Plus on l’attaque et plus il remplit les salles. Il l’a récemment déclaré, l’aboutissement serait d’être incarcéré. Dieudonné c’est un peu le persécuté de service.
>> À lire aussi : Dieudonné, la quenelle et l’antisémitisme : la tentation du fascisme noir ?
Il est donc dans une logique de victimisation …
Tout comme l’idéologue Alain Soral, dont il est très proche, il a un cadre de lecture très simple, qui n’est rien d’autre qu’une énième réécriture du Protocole des sages de Sion : les Juifs sont à l’origine d’un complot international. Le fameux axe Washington – Tel-Aviv. En ce sens Dieudonné et Soral n’ont rien inventé, ils reprennent les anciennes recettes antisémites, issues de gauche comme de droite. Et Dieudonné cache cet antisémitisme derrière un antisionisme. D’un côté nous avons le théoricien Soral et de l’autre le comique, Dieudonné, qui permet de faire passer plus facilement le verbage vaseux du premier.
Et il y a ce fameux geste de la quenelle, le bras tendu vers le bas, barré au niveau de l’épaule par l’autre main, qui tend à populariser leur théorie…
Tout d’abord, il me semble que le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Roger Cukierman, a fait une erreur en qualifiant la quenelle de salut nazi inversé, car il ne s’agit pas de cela. Si on se trompe sur la signification de ce geste, on n’aide pas à clarifier les choses et au final cela fait tourner la petite entreprise de Dieudonné. Avec ce geste, ceux qui l’exécutent expliquent faire un bras d’honneur au système. Mais, ce que tous ne savent peut-être pas, c’est que derrière le mot "système", Dieudonné, lui, entend "les juifs". Il me fait penser à Édouard Drumont, antisémite français du début du XXè sièce qui disait que "tout vient du Juif et tout revient au Juif".
Qui Dieudonné arrive-t-il à séduire ?
Il s’adresse à un public assez spécifique parmi lesquels on trouve des jeunes de banlieues, souvent sous politisés, ou des gens qui ont peu de repères, qu’ils soient ou non issus des banlieues. Il réunit autour de lui les parias (il a été cette année le témoin de mariage, avec le terroriste Carlos, de deux tueurs : Germain Gaiffe et Alfredo Stanieri,NDLR) – et les exclus de la société. Il est dans une logique complète de victimisation. Et plus la classe politique sera discréditée, plus des gens se retrouveront dans le duo qu’il forme avec Soral.
Quelle serait selon vous la bonne méthode pour livrer bataille à Dieudonné ?
Je pense qu’il faut taper à la caisse. Il faut des sanctions économiques fortes. Il y a un vrai business Dieudonné. Le couple commercialise tout un merchandising, qui, on a pu le voir, est devenu l’objet d’un conflit avec le leader d’Égalité et réconciliation. Soral, qui est également éditeur. Quoiqu’il en soit je pense qu’il ne faut surtout pas interdire Dieudonné car c’est ce qu’il cherche. De toute façon on ne pourra pas empêcher ces individus de s’exprimer sur internet.
Internet qui d’ailleurs la clé de leur succès…
En effet ils sont très actifs sur internet. Le site d’Alain Soral, Égalité et réconciliation, est très bien fait et animé par une vraie équipe. Lui, Dieudonné ou encore le site Novopress, ont très vite compris l’intérêt qu’il y a à occuper l’espace numérique. Bien plus plus que leurs opposants. En face il n’y a pas d’équivalent.
*La galaxie Dieudonné, de Michel Briganti, André Déchot, Jean-Paul Gautier, éditions Syllepses, 2011.
———–
Propos recueillis par Jean-Sébastien Josset
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Mali, le Premier ministre Choguel Maïga limogé après ses propos critiques contr...
- CAF : entre Patrice Motsepe et New World TV, un bras de fer à plusieurs millions d...
- Lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire : avec qui Alassane Ouattara a-t-il passé de...
- Au Nigeria, la famille du tycoon Mohammed Indimi se déchire pour quelques centaine...
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?