Dieudonné, la quenelle et l’antisémitisme : la tentation du fascisme noir ?
Plus on essaie d’étouffer l’humoriste controversé Dieudonné, plus des buzz – maîtrisés ou non – le ramènent à la une des médias. De plus en plus rarement dans la rubrique “culture”…
Largement boycotté par la presse généraliste depuis le début des années 2000, Dieudonné M’bala M’bala continue de faire le comique sur des scènes essentiellement confidentielles. Sa vocation avouée ? Lancer ce qu’il appelle des « bombes médiatiques artisanales ». C’est ainsi qu’il qualifia, en 2008, la montée sur scène de Robert Faurisson lors d’un de ses spectacles. Faurisson est un militant négationniste qui dénonce, dans les milieux néonazis, un « complot juif ». Dieudonné, lui, a eu maille à partir avec la justice pour avoir assimilé la Shoah à de la « pornographie mémorielle »…
Dérapage contrôlé ou non ? Summum d’humour noir ? Où s’arrête la pertinente dénonciation politiquement incorrecte de la haine raciale et où commence son incitation au premier ou second degré ? L’ambiguïté dont essayait encore de jouer Dieudonné, en 2008, apparaît de moins en moins comme une démarche équivoque.
Ce mois-ci, lors d’un spectacle qu’il ne savait pas filmé par une caméra cachée de la chaîne publique France 2, l’humoriste s’en prenait au journaliste de Radio France Patrick Cohen : « Tu vois, si le vent tourne, je ne suis pas sûr qu’il ait le temps de faire sa valise (…) quand je l’entends parler, je me dis, tu vois, les chambres à gaz… dommage.» Radio France a déposé un signalement auprès du parquet de Paris. Parfois accusée de moins défendre la communauté juive que les autres, l’association SOS Racisme avoue se tâter sur cette nouvelle outrance du métis afro-européen.
Quant à la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémistisme (LICRA), c’est sur un geste récurrent qu’elle entend tacler le comique de moins en moins comique. Le président de l’association, Alain Jakubowicz, voit dans le salut dit de la "quenelle" un geste « correspondant au salut nazi inversé signifiant la sodomisation des victimes de la Shoah ». La position consiste à tendre un bras vers le bas en posant son autre main sur l’épaule. Et voilà Dieudonné déposant une plainte en diffamation contre X, le 13 décembre dernier, revendiquant le droit de « rétablir la vérité sur la signification de ce simple geste humoristique » qualifié de « bras d’honneur détendu » et déposé, depuis, comme une marque par l’épouse de Dieudonné. Ignorant souvent le double sens de cette “quenelle”, certaines personnalités du monde du sport se sont laissé aller à ce geste présenté comme cool et "anti-système" : les footballeurs Mamadou Sakho et Nicolas Anelka, le basketteur Tony Parker ou encore le judoka Teddy Riner.
Dès que la polémique enfle à l’excès, l’humoriste invoque le prisme de l’humour. Le clown dénonce la dictature du politiquement correct et brandit le droit de jouer de l’horreur pour mieux en déminer les ressorts. Si l’humoriste Pierre Desproges affirmait qu’on « peut rire de tout, mais pas avec tout le monde », tout le monde n’a-t-il donc pas la légitimité de rire de tout ? C’est que les provocations de Dieudonné interrogent moins sur l’opportunité de leur thème que sur leur prétendu contenu humoristique. Certes, la visite du comique, en 2006, à la fête “Bleu blanc rouge” du parti de Jean-Marie Le Pen était culottée, pour quelqu’un qui se présenta à Dreux, contre le Front national, aux élections législatives de 1997. Mais comment évaluer la portée militante du happening de 2006, quand le baptême de la troisième fille de Dieudonné se déroule, quelques mois plus tard, dans la paroisse traditionaliste de Saint-Eloi, avec pour parrain… le président du Front national. À moins de considérer que la quête du Saint-Graal humoristique justifie l’instrumentalisation de sa progéniture, la démarche de l’humoriste a cessé d’être lisible. À moins de considérer, là aussi, qu’elle est justement devenue lisible, puisque Dieudonné se retrouva, lors des élections européennes de 2009, sur une liste “antisioniste”, en compagnie d’Alain Soral, ancien membre du comité central du Front national.
Engagement à l’extrême-droite ou simple vrille provocatrice ? Convictions ou opportunisme ? Dieudonné peine à brouiller les pistes en expliquant chaque provocation par une autre provocation. La polémique est devenue son fonds de commerce. En accueillant Faurisson à son spectacle, il disait d’ailleurs espérer « faire péter le compteur ». Immédiatement après avoir déclaré qu’il appellerait à voter Le Pen si celui-ci arrivait au second tour de la présidentielle de 2007, il effectuait une pirouette dialectique en précisant que c’était pour créer une situation révolutionnaire, le Front national ne pouvant pas obtenir de majorité pour gouverner. N’est-ce qu’une blague, quand Dieudonné, dans son actuel spectacle “Le mur”, pastiche la chanson « Chaud Cacao » en « Shoahnanas » ? N’est-ce encore qu’une outrance humoristique quand il fait applaudir Youssouf Fofana, l’auteur du meurtre d’Ilan Halimi, crime largement antisémite ?
Même s’il tenta de se présenter, comme Coluche, à une élection présidentielle, Dieudonné n’a manifestement pas l’étoffe de son illustre prédécesseur. Le comique des années 80 – adepte d’un bras d’honneur plus franc que la quenelle – se moquait tout autant des noirs que des juifs, des handicapés que des homosexuels. Mais le fil de ses convictions n’a jamais été brouillé.
Faut-il alors hurler au loup et tenter d’interdire Dieudonné ? C’est le seul débat que soulève encore sérieusement l’humoriste obligé de se recroqueviller sur la scène parisienne qu’il gère lui-même, le Théâtre de la main d’or.
>> Lire aussi : Dieudonné dans le collimateur de Manuel Valls
Une pétition circule actuellement à Bordeaux, exigeant l’interdiction du spectacle “Le mur”, le 26 janvier prochain. A Maxéville, la ville lorraine dont la salle doit accueillir le même spectacle le 18, le maire estime qu’une interdiction provoquerait immanquablement une démarche judiciaire de la part de Dieudonné. Même plusieurs fois condamné par la justice, l’humoriste gagne systématiquement ses procès contre les arrêtés municipaux, avec dommages et intérêts et autorisation, au final, de se produire. Devant ces frilosités locales, les autorités nationales se sont saisies de l’affaire. Le ministre français de l’Intérieur déclarait, vendredi, « étudier les moyens de faire interdire ces “réunions publiques” (…) qui contribuent à accroître les risques de trouble à l’ordre public ». Manuel Valls marche sur des œufs. La censure de Dieudonné pourrait finir par provoquer des manifestations. Comme le maintien de tous ses spectacles…
Damien Glez
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