Décryptage : le Soudan du Sud, État naissant au bord de l’implosion

En quelques jours, le Soudan du Sud a basculé sur la pente de la guerre civile. Sur fonds de rivalités politiques internes, de vieux conflits ethniques et d’enjeux pétroliers colossaux… Décryptage d’une situation explosive. 

Des habitants de Djouba fuyant la capitale sud-soudanaise, le 21 décembre 2013. © AFP

Des habitants de Djouba fuyant la capitale sud-soudanaise, le 21 décembre 2013. © AFP

Publié le 23 décembre 2013 Lecture : 4 minutes.

Le Soudan du Sud est le plus jeune État du monde. Il a été officiellement fondé le 9 juillet 2011, après avoir arraché son indépendance au Soudan, à l’issue de plus de vingt ans d’une guerre civile dévastatrice (1983-2005). Plus de dix millions de Sud-Soudanais se détachaient alors de la tutelle de Khartoum, grâce à un référendum d’autodétermination prévu par des accords de paix signés en 2005.

Deux ans après la sécession, malgré un récent rapprochement entre les gouvernements des deux pays, les relations entre Djouba et Khartoum restent très délicates, en particulier lorsqu’il s’agit de départager la production pétrolière (voir plus bas). À l’intérieur des frontières sud-soudanaises, la situation générale est loin des espoirs soulevés par l’acquisition de l’indépendance, en 2011. Malgré la rente pétrolière – le Soudan du Sud dispose de 75 % des réserves de l’ancien Soudan -, le niveau de pauvreté reste très élevé et le pays dépourvu d’infrastructures de base (routes, hôpitaux, écoles…).

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Côté politique, les grandes promesses de renouveau du président Salva Kiir n’ont pas été réalisées. Selon plusieurs organisations humanitaires, les violations des droits de l’homme se multiplient tandis que la corruption est généralisée à tous les niveaux de l’État. S’ajoutent à ce sombre tableau de fortes rivalités au sein du parti au pouvoir, le Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM), ex-branche politique de la rébellion sudiste. Deux clans principaux s’affrontent à sa tête et donc pour la main-mise sur l’ensemble du pays : celui du président Salva Kiir contre celui de l’ancien vice-président Riek Machar.

  • Les protagonistes de la crise : Salva Kiir et Riek Machar

Ancienne figure de la rébellion sudiste, Salva Kiir dirige le SPLM et est président du Soudan du Sud depuis sa création, en juillet 2011. Il est en conflit larvé avec son vieux rival politique et ex-vice-président, Riek Machar, lui aussi ancien rebelle. En juillet dernier, celui-ci avait ouvertement déclaré son intention de se présenter à l’élection présidentielle de 2015 contre Kiir. Évidemment, cette annonce n’a pas plu au sommet de l’État et le couperet est tombé peu après : le vice-président et plusieurs ministres proches sont limogés du gouvernement.

La guerre est dès lors ouverte entre les deux hommes. En novembre, Riek Machar et ses lieutenants dénoncent les "tendances dictatoriales" de Salva Kiir. La tension monte encore d’un cran, le 15 décembre, lorsque de violents affrontements entre factions rivales de l’armée éclatent à Djouba pendant que les autorités affirment avoir déjoué une tentative de coup d’État. Alors que Salva Kiir s’empresse de pointer du doigt son rival – plusieurs observateurs y voyant un moyen de se débarrasser définitivement  de lui -, Riek Machar se défausse de toute responsabilité, tout en affirmant qu’il ne veut plus de Kiir comme président du Soudan du Sud.

Depuis, les affrontements armés se poursuivent entre les deux clans. Ils ont déjà fait plusieurs centaines de morts et jeté des milliers de déplacés sur les routes, la majorité cherchant à trouver refuge dans les bases de l’ONU. Plus inquiétant, il existe désormais un risque que les combats se muent en tueries interethniques entre les communautés Dinka du président Kiir et Nuer de Riek Machar, opposées depuis de vieux ressentiments remontant à la guerre civile.

  • L’enjeu pétrolier
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Le pétrole est un enjeu crucial du conflit actuel au Soudan du Sud. La production pétrolière représente 95% des revenus du pays. De son côté, Khartoum dépend aussi de cette rente, taxant fortement le pétrole acheminé à travers son immense territoire via des oléoducs.

Les combats entre forces loyales à Salva Kiir et combattants liés à Riek Machar sont particulièrement sanglants dans l’État pétrolier d’Unité, au nord du pays. Ce week-end, les rebelles ont pris sa capitale, Bentiu, au prix de violents affrontements. Ils tenaient également Bor, capitale de l’État voisin instable du Jonglei, que l’armée s’apprêtait à reprendre lundi.

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Face à cette situation explosive, les sociétés pétrolières ont déjà commencé à évacuer leur personnel, à l’image de la compagnie étatique chinoise China national petroleum corp (CNPC). Ces derniers jours, des centaines d’employés étrangers, notamment Chinois et Pakistanais, tentaient de quitter le pays au plus vite. Si les installations pétrolières n’ont pas été directement touchées par les combats, la production devrait être progressivement réduite. Une situation instable que le Soudan voisin ne devrait pas accepter très longtemps.

  • L’inquiétude des États-Unis et de la communauté internationale

La situation au Soudan du Sud préoccupe les États-Unis, qui ont surveillé de près le processus de partition des deux Soudans. Washington a envoyé dimanche son émissaire régional, Donald Booth, à Djouba, et une centaine de soldats américains sont officiellement présents sur place pour procéder à l’évacuation de leurs compatriotes. Quatre militaires ont été blessés ce week-end à Bor dans ces opérations, poussant le président Barack Obama à déclarer qu’il se tenait prêt à prendre de nouvelles mesures "si nécessaire" pour assurer la sécurité de ses ressortissants et des biens américains au Soudan du Sud.

Plusieurs autres pays – le Royaume-Uni, le Kenya, l’Ouganda ou encore le Liban – ont également ordonné l’évacuation de leurs citoyens. Les organisations humanitaires et internationales se montrent très inquiètes de la détérioration de la situation au Soudan du Sud. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a ainsi demandé "que tous les dirigeants politiques, militaires et les milices cessent les hostilités et mettent fin à la violence contre les civils" tandis que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) s’est déclaré "alarmé" des violences commises contre les civils.

Après une médiation de trois jours menée par une délégation de ministres des Affaires étrangères d’Afrique de l’Est, le président Salva Kiir a promis, dimanche, de "mener un dialogue sans conditions" avec son rival Riek Machar. Celui-ci n’a pour le moment pas répondu à cette offre.

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Benjamin Roger

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