Après la mort de Mandela, les Congolais de Yeoville pleurent un protecteur
Dans le quartier de Yeoville où se concentrent la plupart des communautés africaines étrangères de Johannesburg, on pleure Nelson Mandela, le grand homme, mais aussi celui qui avait pris leur défense, face aux violences xénophobes. La crainte, plus ou moins fondée, d’être à nouveau pris pour cible n’a pas totalement disparue.
Hans s’en souvient comme si c’était hier. C’était un jour de mai 2008. Ce jeune Congolais, qui avait alors 22 ans et venait d’arriver en Afrique du Sud, travaillait au département sécurité d’un centre commercial de Johannesburg quand un de ses compatriotes est venu le chercher. "Qu’est-ce que tu fais encore ici ? Tu ne sais pas qu’ils sont en train de chasser les étrangers ?"
Il a tout laissé en plan pour se précipiter dans sa petite chambre, dans le centre de Johannesburg. "J’étais effrayé, se souvient-il. Je me suis réfugié chez moi pendant trois semaines. J’ai même perdu mon boulot à cause de cela." La vague de violences xénophobes, une des premières dans l’histoire de l’Afrique du Sud, avait alors fait 62 morts selon les autorités. Elle est resté dans tous les esprits, en particulier ceux des habitants de Yeoville.
Dans ce quartier du centre de Johannesburg se concentrent toutes les communautés africaines étrangères. Celles-ci se souviennent qu’à l’époque, Nelson Mandela était sorti de sa réserve pour appeler au calme. "Souvenez-vous de l’horreur d’où nous venons, avait-il demandé aux Sud-africains. N’oubliez jamais la grandeur de cette nation qui a surmonté ses divisions. Ne tombons jamais dans ces divisions destructrices".
Trois étrangers tués chaque semaine
L’intervention avait été efficace. Mais n’avait pas empêché que de nouveaux incidents se produisent. D’après le Centre africain pour les migrations et la société, 140 étrangers auraient ainsi été tués en 2012 et trois seraient victimes de meurtre chaque semaine en moyenne. Savoir Mandela en vie rassurait les migrants. D’autant que les menaces sont régulières. "Après la mort de Mandela, vous, les kwerekwere ("sales étrangers"), on va vous chasser d’ici", entendent-ils régulièrement.
C’est donc avec un mélange de tristesse et de crainte qu’ils ont appris la nouvelle de la mort de Mandela, le 5 décembre. Olivier, Congolais de 32 ans, qui s’inquiétait depuis l’hospitalisation de Mandela dans un état critique, le 8 juin dernier, est aujourd’hui plutôt rassuré. "Pour l’instant, il ne s’est rien passé, se réjouit-il. Je dirai que je suis confiant à 80%. Et puis, je me rassure en me disant que les institutions de ce pays sont solides".
Ce matin encore, un Sud-africain m’a dit qu’ils allaient commencer à nous chasser après l’enterrement de Mandela.
Andrew, Zimbabwéen de Yeoville
Manque de confiance en Zuma
L’inquiétude n’a en revanche pas quitté Hans. "J’étais au stade FNB mardi pour la cérémonie en l’honneur de Nelson Mandela, raconte-t-il, adossé à une table de billard du bar "village Kin-Malebo". Vous avez entendu comme le président Jacob Zuma a été hué ? À votre avis, si quelque chose arrive contre nous, vous pensez que les Sud-Africains écouteront ses appels au calme ?"
Selon Andrew, un Zimbabwéen arrivé dans le pays en 2 000, les menaces n’ont pas disparu. "Ce matin encore, un Sud-africain m’a dit qu’ils allaient commencer à nous chasser après l’enterrement de Mandela [le dimanche 15 décembre]. D’autres disent que ce sera après les élections de l’année prochaine. Si seulement tous les Sud-Africains pouvaient suivre l’exemple de Mandela. C’est lui qui nous a permis de venir ici."
Retrouver notre dossier sur Nelson Mandela, l’Africain du XXe siècle.
Cet ancien soldat de l’armée zimbabwéenne, qui a combattu en RDC en 1997, ne cache toutefois pas que, pour survivre sans papier, il a recours à la fraude au chéquier. Il a même passé quatre mois en prison pour cela. Cela ne l’a pas dissuadé de continuer, mais il affirme vouloir se ranger, une fois qu’il aura trouvé un vrai travail…
Drogue, trafics et stigmatisation
Le Nigérian Ugowhukwu est quant à lui issu d’une communauté encore plus stigmatisée, accusée de contrôler les trafics en tous genres, dont celui de la drogue. Et il en a bien conscience. "Il n’y a pas plus de 5 à 10% d’entre nous qui font cela. Moi, je n’y ai jamais touché", affirme ce grand gaillard, immigré depuis le pays Ibo en 2005, et qui a monté sa petite affaire d’importation de textile. "La vérité, ajoute-t-il, c’est que beaucoup de Sud-Africains sont très peu éduqués et ne comprennent pas ce que les immigrés apportent à leur pays. Et puis, ils attendent tout des autorités alors que nous n’avons pas d’autre choix que de travailler dur pour survivre. Quand nous réussissons, ils sont jaloux et nous accusent de vivre du trafic de drogue. Comme ils ne peuvent pas s’en prendre à leur gouvernement, alors, ils s’en prennent à nous".
À la table d’un bar tenu par d’autres Nigérians, on trouve aussi un petit groupe de Sud-Africains, parmi lesquels Mateo. Lui, l’avoue sans détour : il gagne bien sa vie en aidant des Nigérians dans leurs trafics. Loin de lui, donc, l’idée de les haïr. "Il peut arriver qu’il y ait des bagarres, quand on a trop bu. Mais je n’ai rien contre eux. Ce sont nos frères. Bien sûr, comme ils sont à l’étranger, ils s’entraident, c’est normal", assure-t-il. "Nous n’allons rien leur faire de mal. Les Éthiopiens, les Pakistanais et les Somaliens qui tiennent des boutiques dans les townships, eux, peuvent se sentir en danger parce qu’ils sont isolés. Mais, ici à Yeoville, ils n’ont rien à crainte. De toute façon, nous les sommes en minorité. Ceux sont eux qui nous battraient !"
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Par Pierre Boisselet, envoyé spécial à Yeoville
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