Dany Laferrière : « Je veux être un pont entre l’Amérique et l’Afrique »

Dany Laferrière rejoint les immortels. L’écrivain québécois d’origine haïtienne a été élu, le 12 décembre, à l’Académie française, par 13 voix sur 23. Il occupera le fauteuil numéro 2, celui de l’auteur argentin Hector Bianciotti, décédé en 2012, et qui fut aussi auparavant celui d’Alexandre Dumas. Le hasard fait bien les choses : c’est de Port-au-Prince, où il participe au tout premier Salon international du livre d’Haïti, que Laferrière a appris la nouvelle. Interview.

L’écrivain haïtien Dany Lafferière vit au Canada depuis 37 ans. © AFP

L’écrivain haïtien Dany Lafferière vit au Canada depuis 37 ans. © AFP

Clarisse

Publié le 13 décembre 2013 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique : Pourquoi avoir postulé à l’Académie française ? Comment vous est venue l’idée ?

Dany Laferrière : Je n’habite pas Paris, je ne suis pas français, mais l’Académie française est une institution très respectée à Haïti, où les gens se soucient de la qualité de la langue… Certains n’en reviennent toujours pas que j’ai postulé. L’audace est une manière d’être très haïtienne. Toussaint Louverture, l’un des plus grands héros de l’histoire de l’île se singularisait par ce trait de caractère. Louverture signifie : "Qui ouvre des chemins nouveaux". Je ne suis pas à l’affût des choses, mais l’audace, pour moi, est une façon d’être présent au monde, de ne pas s’enfermer dans un univers qu’on aurait soi-même créé.

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Que ressentez-vous ?

Je participe actuellement au Premier Salon du livre de Port-au-Prince. C’est pour moi un honneur d’être au milieu d’écrivains, d’amateurs de la littérature et d’étudiants, car cette élection lui donne un éclat supplémentaire. Ce que veulent tous les participants, c’est intéresser les plus jeunes à la littérature. Le matraquage médiatique ne peut que provoquer une saine émulation.

Vous êtes le deuxième auteur noir, après Senghor, à entrer à l’Académie française. Cela vous confère-t-il une certaine responsabilité ?

Lorsque les livres que j’écris ont un impact ou sont bien reçus, j’en suis heureux. Mais le contraire ne m’empêcherait pas de me sentir libre.

C’est extraordinaire, mais cela n’a rien à voir avec la couleur de la peau. Senghor était un grand intellectuel, tout simplement. Et puis, il y a Alexandre Dumas, dont le nom vient d’Haïti. Cela étant, je suis responsable de ce que je fais et de la manière dont je le fais, pas de la marche du monde. Lorsque les livres que j’écris ont un impact ou sont bien reçus, j’en suis heureux. Mais le contraire ne m’empêcherait pas de me sentir libre. Des fois, les responsabilités finissent par vous figer et vous contraindre à tenir des discours propres, lénifiants, parce que vous craignez de choquer. Je n’ai pas attendu les reconnaissances honorifiques pour assumer ce que je dis ou ce que je suis. Mais je vais me montrer plus sensible aux nuances. La nuance, pour moi, c’est l’une des choses les plus subversives.

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>> Lire aussi l’interview de Laferrière : "La réponse la plus subversive à la dictature : être heureux !"

Vous serez donc un académicien subversif, rebelle ?

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On est académicien uniquement sous la Coupole. En dehors, je suis dans la vie. Je suis le père de mes trois filles, le petit-fils de Ma Dâ, ma grand-mère, le natif de Port-au-Prince, le résident de Montréal, l’ami de mes amis et bien d’autres choses encore. Une vie humaine est variée. On ne saurait la réduire à un seul aspect. Évidemment, certains de ces aspects sont plus puissants que d’autres. La symbolique de l’Académie est extrêmement puissante et j’entends m’en servir pour consolider le pont que je m’évertue à installer entre Haïti (10 millions de personnes parlant le français et le créole) et le Québec (10 millions de francophones), deux communautés responsables de la francophonie en Amérique. Elles doivent éviter de se regarder en chiens de faïence. Je veux aussi être un pont entre l’Amérique et l’Afrique. À Paris, où je rencontrerai désormais mes pairs, nous discuterons de choses et d’autres : la littérature est faite de ces détails à peine repérables qui lui donnent tout son sel.

Est-ce que l’Académie française est une sorte de cadeau que vous faites au Canada et plus particulièrement au Québec ?

Le Québec regroupe des profils divers, tous plus valeureux les uns que les autres et qui lui font honneur tout autant. Il n’y a pas que les écrivains dans la vie. Cependant, c’est le Québec qui m’a fait un cadeau en me donnant la possibilité de m’y installer il ya trente-sept ans. Dans tous les cas, je serai à jamais moins grand que lui. Membre de l’Académie française, je suis installé au Québec dont je suis la propriété.

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Propos recueillis par Clarisse Juompan-Yakam

>> Voir aussi notre diaporama : le sculpteur sénégalais Ousmane Sow entre à l’Académie française

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