Centrafrique : où en est la FAA, Force africaine en attente ?

Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l’histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l’université Johns-Hopkins, aux États-Unis. Cette semaine il fait le point sur les capacités militaires de la Force africaine en attente (FAA) dans le contexte de la crise centrafricaine.

Un soldat français à Bangui le 9 décembre. © AFP

Un soldat français à Bangui le 9 décembre. © AFP

Publié le 12 décembre 2013 Lecture : 10 minutes.

Vigilants depuis leur blindé VAB, les soldats français se tiennent prêts à riposter à tout tir avec leur mitrailleuse de 12,7 et avec leur Famas ; prêts à intervenir pour protéger des civils centrafricains qui seraient menacés. Les règles d’engagement, désormais modifiées, les y autorisent. Accompagnés d’autres militaires à bord de véhicules légers P4, ils rayonnent depuis l’aéroport de Bangui. Ils ouvrent la route du Cameroun à la Centrafrique. Ils préparent le déploiement d’une force africaine plus étoffée que celle actuellement déployée… Même si une intervention de ce genre n’est jamais totalement exempte d’intérêts politico-diplomatiques en coulisse, sur le terrain, la difficile mission des marsouins et des légionnaires consiste à stopper les violences.

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Pour se faire, les Français affichent leur efficacité. Des chasseurs-bombardiers Rafale ont même survolé la capitale, les hélicoptères se font entendre. Le message est clair : les fauteurs de trouble ne tueront plus, ne violeront plus, ne pilleront plus impunément; de plus, les Français ne se laisseront pas piéger comme les Sud-Africains qui perdent 13 hommes en quelques heures, en mars 2013. Encore moins après la mort de deux des leurs dans la nuit du 9 au 10 décembre, lors d’un accrochage. S’ils sont là, en fer de lance du dispositif onusien à venir, c’est parce que l’Afrique n’a toujours pas d’outil d’intervention. La Force africaine en attente (FAA) n’est toujours pas opérationnelle, la Capacité africaine de réaction immédiate aux crises (Caric) qui doit permettre de faire la "jonction" avec la FAA n’existe que dans les déclarations… Pourtant, à sa création en 2003, cette dernière était riche en promesses de stabilité et de paix pour le continent.

Qu’est-ce que la FAA ?

La Force africaine en attente s’inscrit dans le cadre de l’Architecture de paix et de sécurité africaine (Apsa). En théorie, l’Apsa représente le système de sécurité collective de l’Union africaine. L’idée d’une défense commune remonte à 1958, lorsque Kwane Nkrumah, figure de l’anticolonialisme et Premier ministre ghanéen, évoque la mise en place d’un commandement militaire centralisé. Elle reprend vigueur bien après les vicissitudes de la Guerre froide, dans l’acte constitutif de l’Union africaine (UA) adopté le 11 juillet 2000. Dans celui-ci est considéré "(…) la nécessité de promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité" au travers de la défense de "la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de ses États membres" par la "mise en place d’une politique de défense commune pour le continent africain" qui implique notamment "le droit de l’Union d’intervenir dans un État membre sur décision de la Conférence, dans certaines circonstances graves, à savoir : les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l’humanité".

Le concept de l’Apsa prend corps via un organisme de l’UA, calqué sur le Conseil de sécurité de l’ONU : le Conseil de Paix et de Sécurité (CPS). La FAA dépend stratégiquement de ce CPS, tandis que les unités qui composent les brigades en attente sont fournies par les pays des cinq communautés économiques régionales (CER). Ces brigades sont interarmes, à savoir, elles regroupent des unités commandos, de cavalerie blindée, d’infanterie, d’artillerie, du génie, du train, des unités médicales, des gendarmes ou de la police militaire pour un effectif allant jusqu’à 6 000 hommes et femmes selon les capacités de la CER. En sus de sa brigade en attente, chaque CER est censée avoir un élément de planification permanent, un quartier-général cadre à partir duquel est assemblé brigade. Au total, en 2015, la FAA devrait être en mesure de regrouper de 25 000 à 32 000 hommes.

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Les cinq brigades en attente sont :

–    SADCBRIG (Brigade de la CER d’Afrique australe)
–    EASBRIG (Brigade de la CER d’Afrique de l’Est)
–    ECOBRIG (Brigade de la CER d’Afrique de l’Ouest)
–    ECCASBRIG ou FOMAC (Brigade de la CER d’Afrique centrale)
–    NARC (Capacité régionale d’Afrique du Nord)

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De manière à pouvoir réduire les délais d’intervention, l’UA décide de créer une force d’action rapide, la Capacité de déploiement rapide (CDR) qui correspond à un contingent de 2 500 hommes par CER, détaché de sa brigade en attente. Il est prévu que les éléments militaires ou civils de la FAA (CDR et brigades en attente) opèrent dans le cadre de six "scénarios", correspondant chacun à des situations de crise de plus en plus marquées :

  1. Conseil militaire de l’UA ou d’une communauté économique régionale (CER) à une mission politique de l’UA dans un délai de 30 jours.
  2. Mission d’observation en parallèle à une mission de l’ONU dans un délai de 30 jours.
  3. Mission d’observation autonome, c’est à dire, non menée de concert avec l’ONU dans un délai de 30 jours.
  4. Mission autonome de paix, non menée de concert avec l’ONU ; dans ce cadre, des troupes peuvent être déployées à titre préventif dans un délai de 30 jours.
  5. Mission de maintien de la paix en parallèle à une mission de maintien de la paix décidée par le Conseil de Sécurité de l’ONU dans un délai de 90 jours.
  6. Intervention militaire de l’UA via la FAA en l’absence d’intervention de la communauté internationale, notamment pour empêcher un génocide dans un délai de 14 jours qu’il est prévu de réduire à 7 jours.

Quelles sont les faiblesses politiques de la FAA ?

L’Algérie et l’Égypte, farouchement nationalistes, ne montrent pas beaucoup d’empressement à s’impliquer sans réserve dans une entité "multirégionale"

En 2010, les CER d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique australe ainsi que d’Afrique de l’Est sont les plus avancées en termes de forces susceptibles d’être engagées et de capacités globales. Il n’en va pas de même pour l’Afrique du Nord et pour l’Afrique centrale. Dans le cas de l’Afrique du Nord, particularismes et susceptibilités ombrageuses bloquent insidieusement, plus qu’ailleurs sur le continent, la constitution d’une brigade intégrée. En raison de la "doctrine Bourguiba", non-interventionniste et d’un volume restreint, l’armée tunisienne ne peut apporter grand-chose. Kadhafi était un partisan invétéré du panafricanisme à condition d’en avoir la direction. L’Algérie et l’Égypte, farouchement nationalistes, ne montrent pas beaucoup d’empressement à s’impliquer sans réserve dans une entité "multirégionale" dont le commandement leur échapperait (ce en dépit d’un soutien de l’Algérie à l’Amisom et de plusieurs accords de coopérations militaire et de renseignement). Par ailleurs, les révolutions arabes et les événements qui s’ensuivent en Tunisie, en Libye et en Égypte grippent un peu plus une mécanique déjà poussive. Dans le cas de la CER d’Afrique centrale, nonobstant la qualité relative des forces tchadiennes (selon les unités), le manque de moyens financiers ralentit l’ensemble du processus.

Malgré l’avancement de leur "opérationnalisation" les CER de l’Ouest, du Sud et de l’Est n’échappent pas aux handicaps dont souffrent les deux autres. Les frictions sont nombreuses entre les CER et l’UA, les mécanismes de coopérations entre l’organisme continental et les structures de défense régionales manquent de clarté. Le Comité d’état-major (CEM) qui en théorie conseille le CPS tout en commandant les opérations de maintien de la paix n’a en réalité que des pouvoirs très limités jusqu’en 2012, cantonné à un rôle administratif. D’où des efforts pour lui donner davantage de poids. Savoir précisément qui est susceptible de décider quoi et de quelle manière, entre l’UA et les CER n’est pas une mince affaire. Ce d’autant plus que les pays des CER n’accordent qu’une confiance de principe à l’UA. Conjoncture qu’explique le rôle des uns et des autres lors des crises passées : les CER se montrant beaucoup plus actifs et efficaces que l’UA. Cafouillage emblématique de cette situation, ni l’UA ni la Cedeao ne réussissent à prendre une décision ferme après la chute du nord Mali, début 2012. L’organisation de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (Misma) est un parcours du combattant…

On cite souvent l’Amisom comme succès de l’UA, comme un bon signe pour l’avenir de la FAA. Cependant, c’est oublier que cette mission en Somalie doit beaucoup à l’Éthiopie qui n’a jamais voulu intégrer l’Amisom. C’est également oublier que le Kenya ne l’a rejoint que sept mois après son offensive contre les Shebab. Enfin, c’est oublier les difficultés rencontrées pour augmenter les effectifs déployés. L’Amisom a obtenu des résultats grâce à l’action indépendante de l’Éthiopie et du Kenya, grâce à l’engagement régional de la Tanzanie et de l’Ouganda, auxquels viennent se greffer des participations "mineures" d’autres pays de l’UA et surtout, des financements étrangers considérables. De fait, la réussite relative de cette intervention dans la corne de l’Afrique doit à une conjonction d’initiatives et de capacités diverses ; elle ne découle pas d’une résolution significative de l’UA.

Quelles sont les faiblesses matérielles de la FAA ?

L’UA n’a pas l’argent que nécessite la FAA : au moins 83 millions de dollars.

En premier lieu, l’UA n’a pas l’argent que nécessite la FAA : au moins 83 millions de dollars (constant 2013) estime en 2011 le général Konaté. De fait, elle dépend fortement d’apports étrangers et en particulier de l’Union européenne après qui viennent l’ONU et des États-Unis. En 2012, l’Europe octroie ainsi 48,1 millions de dollars (constant 2013) à l’Architecture africaine de paix (APF), dont 1,38 millions pour les groupes de travail de la FAA. À quoi s’ajoutent encore d’autres aides dans le domaine de la sécurité, comme les 70 millions de dollars (constant 2013) à la Misma. Afin de s’affranchir de ce soutien extérieur sont notamment évoquées des taxes sur les billets d’avions ou les séjours hôteliers. Elles rapporteraient 763 millions de dollars par an. Mais pour l’heure, elles n’existent pas. En outre, l’argent sans une volonté politique commune, cohérente et affirmée, n’est rien. Car alors, comment déterminer où affecter les crédits, pour quel programme de formation, quelles acquisitions, et surtout comment s’assurer que l’argent obtenu ne disparaisse pas, détourné ou gaspillé ?

Sur le plan opératif, les ambitions des six scénarios d’intervention ne correspondent pas aux moyens réels. Ainsi, les dépôts logistiques régionaux qui doivent – en théorie – permettre le déploiement des brigades ne s’édifient que très lentement. Les stocks sont insuffisants et se pose la question de leur gestion efficiente, les moyens de transport aérien sont lacunaires. Certes, le problème n’est pas spécifique au continent africain. La France ne cesse de payer le prix du retard du programme A400M. Mais là où la France peut espérer bénéficier d’une aide matérielle ou financière de l’Europe, voire de l’Otan, il n’en va pas de même pour l’Afrique.

Une multitude d’autres défauts sont ignorés alors qu’ils influent pourtant sur l’opérationnalisation  de la FAA : qualité inégale des troupes, l’entraînement des soldats est souvent à peine suffisant, voire mauvais, officiers et sous-officiers ne maîtrisent pas tous l’anglais (ou le français), les soldats ne parlent que les langues locales ; les équipements de transmissions disparates ne sont pas tous compatibles d’une unité à l’autre au sein d’une même brigade… Ce à quoi s’ajoutent le cauchemar que représente le maintien en condition opérationnelle de matériels d’origines diverses, l’approvisionnement en munitions avec plusieurs calibres (5,56 mm, différentes munitions de 7,62 et 12,7 mm, 14,5 mm, 20 et 23 mm, 81 et 82 mm…)… L’absence de standardisation au sein d’une même brigade est en soi un obstacle au principe de l’économie des forces, dont le respect est pourtant crucial.

Retards et carences n’annulent pas le travail acharné qu’accomplissent certains.

La FAA sera-t-elle opérationnelle en 2013 ? Il y a lieu d’en douter, alors même que la Caric, annoncée en mai 2013 pour la fin de l’année en cours n’existe toujours pas. L’opération Sangaris en Centrafrique, menée par la France faute de force d’intervention africaine, le souligne dramatiquement. Ceci étant dit, de l’autre côté de la Méditerranée, l’Europe de la défense existe à peine davantage : cela aussi, l’Opex française le met en exergue… Quoi qu’il en soit, retards et carences n’annulent pas le travail acharné qu’accomplissent certains, à l’image du général guinéen Sékouba Konaté, militaire démocrate et homme de parole, haut représentant de la FAA, qui ne ménage pas ses efforts en faveur de cette dernière. Des jalons sont posés comme lorsque est annoncée la rédaction d’un manuel d’entraînement commun aux soldats de la FAA en août 2013. Des exercices ont lieu (ou sont prévus), à l’instar d’Amani II qui se tiendra en 2014 avec trois brigades en attente. Ils permettent d’évaluer l’état de préparation de la FAA, de définir des orientations quant aux progrès à accomplir. Enfin, même si elle met à mal, de manière bien compréhensible, la fierté africaine, une aide étrangère intelligente – pas uniquement à coups de millions de dollars – est susceptible de jouer un rôle dans la construction de la FAA. À ce titre, s’il est un point pratique à retenir du Sommet sur la paix et la sécurité en Afrique qui s’est tenu à l’Élysée les 6 et 7 décembre 2013, c’est la proposition faite par François Hollande de détacher des conseillers militaires auprès de l’UA et d’entraîner 20 000 soldats par an.

>> Retrouver tous les articles du blog défense de Laurent Touchard sur J.A.

>> Pour en savoir plus : consulter le blog "CONOPS" de Laurent Touchard

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