Quand feu Mandela met le feu à l’audimat

Attention, tsunami médiatique. Le compte-rendu du décès de Nelson Mandela pourrait avoir déjà battu le record d’audience annoncé pour la prochaine cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques. La couverture journalistique a eu son lot d’incongruités, de vrais et de faux couacs…

L’oeil de Glez. © Glez

L’oeil de Glez. © Glez

Publié le 9 décembre 2013 Lecture : 5 minutes.

L’annonce du décès de Madiba, orchestrée par les médias du monde entier, a éclipsé les morts de Centrafricains massacrés par des hordes de soudards ou celles de Polonais noyés sous les contrecoups de la tempête Xaver. Il faut dire que, depuis le mois de juin, le glas journalistique et son lot de détails médicaux sonnaient comme un teaser annonçant le départ imminent du héros de la lutte anti-apartheid. L’agonie s’éternisant au-delà du temps traditionnellement calibré pour tout événement médiatique moderne, les buzz approximatifs ne pouvaient qu’entretenir le suspense à coup de supposés complots : "Mandela n’est-il pas déjà mort, le pouvoir en précampagne présidentielle attendant le moment opportun pour l’annoncer ?" ou "Mandela n’est-il finalement pas aussi mal-en-point qu’on voudrait nous le faire croire pour détourner notre attention ?"

>> Lire notre dossier spécial "Nelson Mandela, l’Africain du XXe siècle"

Le voyeurisme glauque a cédé la place à un concert d’hommages aussi nombreux qu’unanimes.

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Il faut donc s’y résoudre, Nelson Mandela est mort le 5 décembre 2013. Le voyeurisme glauque a cédé la place à un concert d’hommages aussi nombreux qu’unanimes. Les dictionnaires doivent en avoir le tournis : "Africain capital", "vie d’exception", "grand jusque dans sa mort" et, bien entendu, les inévitables "mythe irremplaçable" ou "icône mondiale" auxquels les plus grognons auraient eu tort d’échapper. Si la débauche d’hommages dithyrambiques est presque toujours excessive lorsqu’un être disparaît – à l’exception notable du général tortionnaire Paul Aussaresses –, les mots pouvaient encore manquer pour désigner celui que l’hebdomadaire Courrier international qualifie de "plus pragmatique des utopistes". Mandela aurait tout de même trouvé L’Express un peu définitif lorsque le journal se demandait : "Reste-il encore des grands hommes ?" Si feint est souvent l’amour pour les défunts, rares sont ceux qui doutent de la modestie fréquemment exprimée par "Madiba"…

Le concert de louanges devrait donc se dérouler jusqu’aux obsèques du disparu, le 15 décembre prochain. Et qui dit concert, dit soliste, chacun essayant de tirer son épingle du jeu des chorales de sanglots. Là aussi, difficile d’en vouloir aux politiques. Si des esprits français chagrins, laïcité oblige, reprochaient à leurs autorités d’abuser des drapeaux en berne à la mort du charismatique mais "étranger" Jean-Paul II, peu de voix s’aventurent aujourd’hui sur ce terrain. Les politiques auraient eu tort de ne pas faire vibrer la corde réellement sensible de l’opinion à l’annonce du décès de Mandela.

Les médias avaient également beau jeu de surfer une ultime fois sur la mandelamania. Le 6 décembre, chaque support médiatique s’est senti obligé de bouleverser ses programmes pour faire un lien plus ou moins pertinent entre sa ligne éditoriale et le très grand homme. Lorsque les antennes d’actualité sportive glosaient sur l’attention que porta Madiba au rugby, sport de Blanc par excellence, nul doute que rebaptiser les cumulonimbus a traversé l’esprit des chaînes de météo…

Difficile de dénoncer une saturation médiatique quand il s’agit de Mandela. Mais l’épuisement journalistique, lui, a transpiré des programmes. Bien qu’aucun service nécrologique n’ait été surpris par ce décès, un journal italien a titré, sur son site internet : "Le père de l’apartheid est décédé à 94 ans". Si, au moins, il ne s’était trompé que sur l’âge. Sur la chaîne française d’information continue iTélé, une journaliste a eu la légitime idée d’interroger l’ancien ministre Jack Lang, auteur d’un ouvrage sur le défunt. Sauf qu’elle lui a demandé "Une réaction à la disparition de Jack Lang ?"

Les politiques auraient eu tort de ne pas faire vibrer la corde réellement sensible de l’opinion à l’annonce du décès de Mandela.

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Il ne faudrait pas attendre des supports parajournalistiques du net le professionnalisme qui a fait défaut à certains organes de presse. Plusieurs hommages, sur les réseaux sociaux, ont involontairement illustré la triste nouvelle avec la photo de l’acteur Morgan Freeman qui, comme Dennis Haysbert ou Sidney Poitier, avait incarné Madiba à l’écran. Quant au nageur Amaury Leveaux, il aurait dû remuer sa souris sept fois dans sa main avant de rédiger un tweet faisant référence au discours "I Have A Dream" attribué à Nelson Mandela. Le sportif a-t-il été inspiré par le fake paru sur le profil de Paris Hilton, un vrai-faux tweet de la vraie-fausse star, manipulation qui montre que certains se sont tout de même amusés à l’occasion de la mort du grand homme…

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C’est qu’à l’heure du tout numérique, la moindre vedette s’est sentie obligée de tenter un solo dans le concert de louanges. L’émotion de Danny Glover qui s’est glissé dans la peau de Mandela peut être touchante. De même que celle du chanteur de Simple Minds, le groupe qui écrivit la chanson "Mandela Day" pour soutenir le plus fameux prisonnier du monde. Et tant mieux pour Simple Minds si l’événement coïncide avec la sortie de son best-of. Il faut reconnaître que le père de l’Afrique du Sud aimait les people, n’hésitant pas à s’inventer pom-pom boy derrière un Johnny Clegg entonnant Asimbonanga. C’est aussi cette affabilité légendaire qui empêchait Mandela de refuser d’être pris en photo, permettant à chacun, aujourd’hui, de broder autour d’un cliché. Même si l’opportuniste du jour n’a pas échangé plus de mot avec Madiba qu’avec le Manneken-Pis…

Lorsqu’un être fameux disparaît, il ne peut répondre aux affabulateurs. Ni profiter des délires de créatifs qui, avec des "si", mettraient Pretoria en bouteille. Alors que l’on pleurait Nelson Mandela, une entreprise sud-africaine en stratégie numérique, Prezence digital, se demandait, vidéo à l’appui, si l’emprisonnement politique de l’homme aurait été possible à l’époque de Facebook, Twitter, Pinterest et Instagram…

Plus périlleux que les affabulateurs sont les amnésiques. Vendredi, le nouveau président de la Commission des affaires étrangères suisse Carlo Sommaruga, rappelait à un président de la Confédération ému qu’il y a 30 ans, la Suisse considérait Mandela comme un terroriste. Lorsqu’en fin de semaine, en France, Marine Le Pen cédait à l’unanimité des louanges en saluant une "grande voix de l’Afrique" qui s’éteignait, la présidente du Front national se souvenait-elle que son père de prédécesseur avait déclaré, dans les années 90, qu’il n’était "ni ravi, ni ému" par la libération de Nelson Mandela, exprimant "toujours une espèce de méfiance à l’égard des terroristes" ?

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Daminen Glez

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