Mohamed Abdelaziz : « La Libye risque de devenir un État failli »
De passage à Paris à l’occasion du sommet de l’Élysée qui s’y déroule du 6 au 7 décembre, le ministre libyen des Affaires étrangères, Mohamed Abdelaziz, revient sur la situation sécuritaire dans son pays. Et sur ce qu’il attend concrètement de la communauté internationale.
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Jeune Afrique: Qu’attendez-vous du sommet de l’Élysée ?
Mohammed Abdelaziz : Ce sommet est important car il traite de développement, de sécurité et des problématiques liées au changement climatique. Ces trois volets soulèvent des questions importantes et prioritaires pour la Libye mais aussi pour la région et concerne donc l’Union européenne (UE). Pour nous, il est très important d’y faire valoir l’adoption de mesures de diplomatie préventive. Nous souhaitons les voir figurer dans les conclusions. Les acteurs au plus haut niveau des États doivent pouvoir anticiper les crises. C’est ce que nous défendons au sein de l’ONU et nous souhaitons convaincre de la nécessité d’investir tant en terme de moyens humains que matériels, en amont des crises.
Il peut sembler surprenant que les problématiques liées au changement climatique fassent partie de vos priorités…
Les liens entre le changement climatique et la sécurité sont très importants pour nous. Les menaces sont réelles et la désertification fait le lit de l’immigration illégale, des trafics d’armes et de drogues… Les frontières dans le désert ne sont sous le contrôle de personne et Al-Qaïda utilise ces vulnérabilités. Tandis qu’en mer Méditerranée, le contrôle de l’espace est très faible également. Il est évident que la sécurité de l’Afrique du nord dépend du contrôle de la Méditerranée et du désert. Et la Libye ne peut y parvenir seule.
Les Libyens bâtissent leur futur mais ils ne peuvent pas le faire seul.
N’êtes-vous pas déçu par l’efficacité de l’aide de la communauté internationale ?
Elle nous est indispensable. Les Libyens bâtissent leur futur mais ils ne peuvent pas le faire seul. L’union européenne a renouvelé son appui et son soutien à nous aider sur le plan sécuritaire notamment. Elle est présente en Libye tout comme les Nations unies qui surveillent de près l’évolution de la situation. D’ailleurs, en janvier 2014, une mission du Conseil de sécurité de l’ONU va se rendre en Libye pour faire une évaluation de la situation. Sur le plan sécuritaire, notre police et notre armée sont encore fragiles et très exposées. C’est une de nos priorités et nous avons un certain nombre d’accords de partenariats avec l’Union européenne, les États-Unis, la France, le Maroc, la Jordanie, Oman, la Turquie…Tous ont accepté de contribuer à la formation policière et militaire.
Quid de la collaboration régionale ?
Au niveau régional, nous collaborons de manière étroite avec l’ensemble des pays de l’espace sahélo-saharien. Comme par exemple le Niger, avec qui nous travaillons sur la sécurisation des frontières et l’éventualité de patrouilles communes. Le ministre nigérien de la Défense était en Libye, il y a une dizaine de jours, pour coordonner le dispositif avec son homologue libyen en vue de sécuriser, en 2014, les frontières sahéliennes avec l’utilisation de technologies satellitaires notamment.
Mi-novembre, face aux milices, le Premier ministre Ali Zeidan a brandi la menace d’une intervention militaire étrangère pour rétablir l’ordre. Est-ce toujours une option ?
Je ne pense pas que l’environnement politique en Libye nécessite ni une intervention étrangère ni l’envoi d’une force de maintien de la paix. D’ailleurs, les acteurs politiques en Libye n’y sont pas favorables. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un soutien tant sur les plans sécuritaire que politique et économique. Mais aussi sur le plan judiciaire, car il nous faut impérativement mettre sur pied une justice efficace qui respecte naturellement les droits de l’homme.
Après 42 ans de dictature, tout reste à rebâtir.
Comment mettre un terme à ce que de nombreux observateurs qualifient de "chaos" en Libye ?
La Libye risque de devenir un État failli et c’est notre responsabilité mais aussi celle de la communauté internationale. Après 42 ans de dictature, tout reste à rebâtir. Parmi nos nombreux défis à relever, il est fondamental de parvenir à transformer les mentalités des Libyens et les éduquer à la démocratie, leur faire prendre conscience que le droit est plus fort que les armes qu’ils doivent déposer et rendre. La Libye a besoin d’instaurer le dialogue avec les différentes parties.
Avec les islamistes comme avec les "Kadhafistes"?
Les islamistes posent un problème de sécurité. Nombre d’entre eux ont contribué au succès de la révolution et ont combattu pour renverser le régime de Kadhafi. Nous devons accélérer le processus d’intégration des combattants de la révolution ainsi que la démilitarisation du pays, en harmonie avec les décisions votées au Parlement. Des partisans de l’ancien régime sont toujours très actifs et nous savons que certains d’entre eux, avec les milliards de dollars dont ils disposent, financent le terrorisme en Libye, depuis l’étranger. Nous devons également les intégrer dans cette Libye nouvelle qui a évolué et continuera d’évoluer. Par contre les responsables de crimes seront jugés.
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Propos recueillis par Joan Tilouine
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