Côte d’Ivoire : Houphouët en majesté (2/3)

À l’occasion du 20e anniversaire de la mort de Félix Houphouët-Boigny, « Jeune Afrique » réédite un long portrait du premier président ivoirien, publié en 2010 dans notre hors-série Spécial Côte d’Ivoire. En voici la deuxième partie.

Le père de l’Indépendance ivoirienne, en 1945. © AFP

Le père de l’Indépendance ivoirienne, en 1945. © AFP

Publié le 2 décembre 2013 Lecture : 5 minutes.

L’année 1946 marque un tournant dans les relations entre la France et ses colonies. Pas moins de six lois sont adoptées, sous l’impulsion des communistes notamment : abolition de l’indigénat, liberté de réunion, d’association et de la presse, et, surtout, abolition du travail forcé, dite "loi Houphouët-Boigny", le 11 avril. Dans le discours qu’il prononce alors à l’Assemblée, le député ivoirien ne s’en prend pas à la République française, mais aux colons, ces "hommes qui, au-delà des mers, ont trahi pendant des années la mission civilisatrice de la France" en abusant de leur pouvoir. Adoptée le 25 avril, la "loi Lamine Guèye", par laquelle tous les ressortissants d’outre-mer deviennent des citoyens français, clôt cette série de réformes.

Au même moment, à Abidjan, suivant les instructions d’Houphouët, le syndicat des planteurs se transforme en parti politique, sous la direction de Joseph Anoma. C’est ainsi que naît le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), à Treichville. En octobre, c’est au tour du Rassemblement démocratique africain (RDA) d’être porté sur les fonts baptismaux, à Bamako. Il chapeaute le PDCI et d’autres partis africains. Fily Dabo Sissoko et Lamine Guèye, qui voient dans le RDA un "jouet du Parti communiste français", s’en désolidarisent. Sissoko aura beau finir par le rejoindre, Houphouët a compris que la concurrence pour le leadership régional entre la Côte d’Ivoire et le Sénégal ne fait que commencer.

L’année 1949 et le début de 1950 sont extrêmement troublés.

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Le 21 octobre 1946, le congrès du RDA se prononce pour "une union avec la France librement consentie, fondée sur l’égalité des droits et des devoirs". Bien que ce manifeste soit d’inspiration communiste et parle de "réaction", d’"intérêt de classe" ou d’"exploiteur capitaliste", sa tonalité générale n’est pas agressive vis-à-vis de la métropole. On n’y évoque pas l’autonomie, encore moins l’indépendance.

L’année 1949 et le début de 1950 sont extrêmement troublés. En Côte d’Ivoire, les manifestations se succèdent, et les accrochages entre militants du PDCI-RDA et administration coloniale se multiplient. Un mandat d’arrêt, qui ne sera pas exécuté, est même lancé contre Houphouët. Ce dernier a senti le vent tourner. Avec le début de la guerre froide, l’image du communisme change. Pour le député ivoirien, l’heure du désapparentement a sonné. Il est temps de changer de stratégie et d’allié. Désormais, le RDA fait cause commune avec l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR) de René Pleven. Faute de majorité, quatre gouvernements français sont tombés en quelques mois, l’appui du RDA est donc le bienvenu.

Retour en grâce

Février 1951 marque le retour en grâce du député ivoirien. Alors que l’on prépare, à Abidjan, l’inauguration du canal de Vridi, il se murmure qu’Houphouët ne sera pas invité. Non seulement il le sera, mais il arrivera par le même avion que François Mitterrand, alors ministre de l’Outre-Mer. Ce changement de cap divise le PDCI, qui obtient un très mauvais score aux élections législatives de 1951. Il faudra attendre 1956 pour que le parti retrouve sa place de leader, qu’il conservera jusqu’à la fin du siècle.

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Nommé ministre délégué à la Présidence du Conseil – un poste taillé sur mesure par le socialiste Guy Mollet, alors président du Conseil –, Houphouët s’illustre par son sens tactique et par son aisance à se fondre dans un univers très différent du sien. Jusqu’en 1960, il occupe plusieurs fonctions, notamment celle de ministre de la Santé entre 1957 et 1958.

Alors que les mouvements indépendantistes progressent dans tout l’Empire français, il s’oppose à Senghor. Ce dernier souhaite renforcer les fédérations d’Afrique-Occidentale et d’Afrique-Équatoriale, afin qu’une fois indépendantes elles décident de la nature de leur relation avec l’ancienne métropole. Houphouët, lui, estime que les pays africains ne sont pas prêts pour l’indépendance, et milite pour une "communauté franco-africaine démocratique et fraternelle, fondée sur l’égalité". Dans la crise algérienne, il adopte une position ambiguë et défend la position française. Plus tard, il arguera qu’en tant que ministre de la République il était tenu à un devoir de réserve. Il n’en demeure pas moins qu’il est convaincu, à ce moment-là, qu’il ne faut pas tourner le dos à Paris. "Nous avons parfaitement le droit de dire que nous n’avons aucun avenir sans la France", lance-t-il en 1957, aux Nations unies.

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"Aimer en homme libre"

Inaugurant en mars 1958, à Abidjan, le pont qui porte son nom, il évoque "un nouveau pont entre l’Afrique d’une part, la France et l’Europe de l’autre". "Voilà, Messieurs les sceptiques, ce que l’on arrive à faire à force de solidarité", s’exclame-t-il.  Il est cependant mis en minorité par ses pairs africains. Le texte adopté en 1958 ouvre la voie à l’indépendance pour tous les territoires de la communauté. Le premier à s’en saisir est le Guinéen Sékou Touré. Le RDA implose, c’en est fini de l’Union française dont rêvait le chef akoué.

Après la création, en janvier 1959, de la Fédération du Mali (qui regroupe le Dahomey, la Haute-Volta, le Sénégal et le Soudan français), Houphouët se rend compte qu’il ne pourra résister seul au vent de l’indépendance. Mais pas question de laisser le leadership régional à Senghor ! Il torpille la fédération en créant, quatre mois plus tard, le Conseil de l’entente, qui associe son pays au Niger, au Dahomey et à la Haute-Volta. En décembre, les leaders africains, réunis à Dakar autour de Charles de Gaulle, entérinent le principe de l’indépendance. Houphouët est furieux. Il se retire à Yamoussoukro et demande, quelques mois plus tard, l’indépendance immédiate. De Gaulle s’offusquera de ce coup d’éclat. La Fédération du Mali, quand à elle, est indépendante le 20 juin 1960, et éclate deux mois plus tard. Houphouët, qui défendait "les bienfaits de la colonisation", s’est senti trahi par la France. Du dépit, il passe pourtant rapidement au réalisme, en devenant le meilleur et plus fidèle allié de la France en Afrique.

>> Lire la 3e et dernière partie de ce portrait ici

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