Côte d’Ivoire : Houphouët en majesté (1/3)

À l’occasion du 20e anniversaire de la mort de Félix Houphouët-Boigny, « Jeune Afrique » réédite un long portrait du premier président ivoirien, publié en 2010 dans notre hors-série Spécial Côte d’Ivoire. En voici la première partie.

Le père de l’Indépendance ivoirienne, en 1945. © AFP

Le père de l’Indépendance ivoirienne, en 1945. © AFP

Publié le 2 décembre 2013 Lecture : 4 minutes.

Par un de ces curieux revirements dont l’Histoire a le secret, Félix Houphouët-Boigny­ est de retour. Celui qui, pendant trente-trois ans, a incarné le pouvoir absolu et que la jeunesse a conspué, dans les rues d’Abidjan, au début des années 1990, aux cris de "Houphouët voleur", est désormais un modèle dont chacun se réclame. Henri Konan Bédié, Alassane Dramane Ouattara et même Laurent Gbagbo, qui l’a si ardemment défié et combattu, chacun veut démontrer qu’il est plus houphouétiste que l’autre.

S’il était encore en vie, le père de l’indépendance en éprouverait sans doute un mélange de fierté et de déception. Car si "ses enfants" se réfèrent autant à lui, c’est parce qu’ils n’ont pas été à la hauteur. Non seulement ils n’ont pas poursuivi son œuvre, mais ils ont dilapidé l’héritage. Certes, ils ont tous emprunté quelque chose à Houphouët. Pourtant, aucun ne possède ce qui lui donnait sa stature et le rendait unique : l’aisance avec laquelle il a surmonté ses contradictions et fait la synthèse entre sa culture africaine et son amour de la France ; la sagesse, qui lui a permis de tirer le meilleur parti de sa position de chef coutumier et de député à l’Assemblée nationale française ; l’ambition qu’il avait pour son pays et qu’il a fait passer avant son ambition personnelle.

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"Médecin indigène"

Dia Houphouët a tout juste 5 ans à la mort de son père, puis de son oncle, lorsqu’il hérite du trône des Akoués, une ethnie qui appartient au grand groupe baoulé. "On m’appelait déjà le "’Vieux’", prétendait-il. Issu de la "noblesse terrienne", selon ses propres termes, il reçoit une éducation digne de son rang. Il apprend la discrétion, à vivre sobrement, à écouter les autres et à modérer son langage. Et rejette, en tout cas officiellement, quelques-unes des traditions familiales, comme les sacrifices humains qui se pratiquaient encore durant son enfance.

En 1915, il entre à l’école primaire supérieure de Bingerville, alors capitale de la colonie. A-t-il 10 ans, comme le voudrait sa date de naissance officielle (1905) ? Ou autour de 15 ans, comme le suggèrent plusieurs de ses biographes ? Quoi qu’il en soit, c’est à ce moment qu’il se convertit au catholicisme et qu’il choisit le prénom de Félix à l’occasion de son baptême. Il est ensuite admis à l’école normale William-Ponty de Dakar, où il passe deux ans, avant d’intégrer la toute nouvelle école de médecine, dont il sort diplômé en 1925.

Sa réputation d’agitateur lui vaut d’être surveillé par la police, qui le qualifie de "trublion" et "d’anarchiste".

Dès sa première affectation, à l’hôpital central d’Abidjan, il se fait remarquer par l’administration coloniale : il a organisé un embryon de syndicat, l’"Amicale des médecins auxiliaires [titre le plus élevé auquel les autochtones pouvaient prétendre], aides médecins et infirmières". On l’envoie en pénitence à Guiglo, une bourgade isolée, dans l’ouest du pays. Il sera rarement promu, malgré les comptes rendus élogieux de ses supérieurs. "Bon médecin indigène, actif et travailleur, mais qui devra choisir entre service de santé et politique locale", rapporte l’un d’eux, en 1938. Pendant quelques années, Houphouët se consacre à la médecine tout en continuant à se comporter en chef akoué et en meneur d’hommes. Sa réputation d’agitateur lui vaut d’être surveillé par la police, qui le qualifie de "trublion" et "d’anarchiste".

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En 1939, le décès de son frère Augustin, qu’il appelait "mon autre moi-même", le ramène à ses obligations. Désormais, il se consacre à la chefferie et à ses plantations. Ayant, au cours de ces dernières années, exercé la médecine dans des localités proches de Yamoussoukro, il en a profité pour faire fructifier les terres familiales et a acquis un statut de planteur respecté. La manière dont les producteurs africains sont traités le scandalise. Il dénonce avec virulence les injustices commises par des hommes qui "ne sont pas dignes de la France". Sa lutte, résolument anticoloniale, n’est cependant pas antifrançaise. Avec Gabriel Dadié – le père de l’écrivain Bernard Dadié –, il fonde, en août 1944, le Syndicat agricole africain, qui regroupe 12 000 des quelque 20 000 planteurs du pays. Il en fait une machine politique et part en croisade contre le travail forcé.

"Le Bélier"

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En 1945, le gouvernement français, décidé à faire participer ses colonies à l’Assemblée constituante, organise l’élection de deux députés en Côte d’Ivoire. Houphouët est élu au deuxième collège, celui des "non-citoyens". Lui qui répugne aux longs voyages n’est pas enchanté à l’idée de quitter sa terre natale. Mais il part avec les encouragements de sa première épouse, Khady Sow, et avec le soutien, qui lui semble indispensable, du Moro-Naba, le chef des Mossis (jusqu’en 1947, la Côte d’Ivoire s’étendait d’Abidjan à Ouagadougou). C’est à cette époque qu’il ajoute "Boigny" ("le bélier", en baoulé) à son patronyme : celui qui ne recule jamais, sinon pour mieux charger.

Il rejoint à Paris les autres députés africains, parmi lesquels Léopold Sédar Senghor et Lamine Guèye (Sénégal),­ Fily Dabo Sissoko (Bamako, Soudan français), Sourou Migan Apithy (Dahomey-Togo), Douala Manga Bell (Cameroun) et Jean-Félix Tchicaya (Gabon-Congo). Courtisés par les principaux partis politiques français, ils hésitent sur le choix de leurs alliés. Habilement, Houphouët propose que les élus africains se répartissent entre les différents groupes parlementaires. Lui sera apparenté aux communistes, qui forment le groupe le plus important.

>> Lire la 2e partie de ce portrait ici

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