Censure en Tunisie : une agence de surveillance pour ressusciter « Ammar 404 » ?
Les autorités tunisiennes ont annoncé, mi-novembre, la création d’une Agence technique des télécommunications (ATT). Lancée dans un contexte sécuritaire troublé, cet organisme, officiellement chargé de lutter contre la cybercriminalité, suscite la crainte d’un retour aux méthodes de surveillance de l’ancien régime.
![L’ATT devrait être opérationnelle au début de l’année 2014. © Reuters](https://prod.cdn-medias.jeuneafrique.com/cdn-cgi/image/q=auto,f=auto,metadata=none,width=1215,fit=cover/https://prod.cdn-medias.jeuneafrique.com/medias/2013/11/28/027112013155318000000cybercrim.jpg)
L’ATT devrait être opérationnelle au début de l’année 2014. © Reuters
La censure sur internet fait-elle son retour en Tunisie ? C’est du moins ce que craignent une partie des citoyens et des représentants de la société civile depuis la publication, le 12 novembre, d’un décret annonçant la création d’une Agence technique des télécommunications (ATT). Selon le document, consultable ici, cet "établissement public à caractère administratif" assurera "l’appui technique aux investigations judiciaires dans les crimes des systèmes d’information et de la communication".
Placée sous tutelle du ministère de la Communication, l’ATT devrait être opérationnelle début janvier 2014. Dirigée par un directeur général nommé par le Premier ministre, elle sera placée sous l’autorité d’un "Haut comité de suivi" où siégeront un juge et plusieurs représentants ministériels (Justice, Intérieur, Défense…). Selon Mongi Thameur, chef de cabinet du ministre de la Communication, elle sera avant tout dédiée à "la protection du cyber espace, le tout sous étroit contrôle de la justice". Il n’y aurait donc, à l’en croire, aucun rapport avec la censure mise en oeuvre par l’ancien régime, surnommée à l’époque "Ammar 404".
>> À voir aussi : notre carte interactive sur la surveillance d’Internet en Afrique du Nord et au Proche-Orient
Cette nouvelle Agence technique des télécommunications voit le jour dans un contexte sécuritaire tendu. Depuis un an, la Tunisie est confrontée comme elle ne l’a jamais été à la menace jihadiste. Plusieurs cellules terroristes sont disséminées sur le territoire, particulièrement dans la zone du mont Chaambi, près de la frontière avec l’Algérie, et dans le sud désertique du pays, jouxtant la Libye. Des affrontements sanglants ont régulièrement lieu entre forces de sécurité et groupes islamistes armés. Fin octobre, deux jeunes kamikazes ont pour la première fois tenté de cibler des sites touristiques. "Il y a actuellement des problèmes de terrorisme en Tunisie, indique un responsable du ministère de l’Intérieur. Ces gens échangent, se forment, et s’organisent sur Internet. Il est donc très important d’avoir un moyen de contrôle".
"Transparence totale"
Dans un pays étouffé par les longues années de la dictature benaliste, ce retour d’un organisme dédié à la surveillance du web inquiète. Certains, à l’image du Parti pirate de Tunisie, pointent du doigt le manque de garanties sur la protection de la vie privée et des données personnelles. D’autres craignent la nomination de personnalités aux ordres du gouvernement – qui est toujours dominé par les islamistes d’Ennahdha – au sein du comité de suivi. "Il n’y a aucune crainte à avoir : il n’y aura jamais de retour aux méthodes de l’ancien régime", rétorque Mongi Thameur, évoquant volontiers une future "transparence totale" sur les activités de l’ATT. Du côté du ministère de l’Intérieur, ancien outil de répression de "Zaba", même son de cloche. "Cette agence sera totalement externe à notre ministère et travaillera sur ordre des juges", souffle notre interlocuteur.
Enfin, outre le contrôle d’internet, la création de l’ATT soulève aussi la question de la surveillance des lignes téléphoniques. Le décret évoque clairement une coordination avec les "fournisseurs de services de télécommunications", laissant entendre que l’agence pourrait aussi procéder à des écoutes. Celles-ci, qui n’ont jamais été interrompues depuis la révolution, sont actuellement effectuées par les services du ministère de l’Intérieur.
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Benjamin Roger
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