Congo : sur les traces de De Gaulle à Brazzaville
Le lycée français de la capitale congolaise a organisé, du 17 au 22 novembre, la deuxième édition du festival « Images et histoire » célébrant Brazzaville, ex-capitale de la France libre pendant la Seconde Guerre mondiale. Reportage sur les lieux d’une histoire méconnue.
C’est un petit bijou d’architecture réalisé en 1942 par Erell (Roger Lelièvre), l’un des disciples de Le Corbusier. La demeure que le général De Gaulle utilisait lors de ses brèves visites à Brazzaville est conçue à partir de béton et de grès du fleuve Congo qui s’écoule en contrebas du jardin. Ses claustras blancs qui la ceinturent sont des brise-soleil d’une remarquable efficacité. Tout a été conçu pour que l’air circule et rafraîchisse naturellement les pièces. Point besoin de climatisation. Ou si peu.
Le mobilier de la chambre du général, avec son lit hors-norme pour l’époque, est resté à l’identique. C’est là que dort aujourd’hui l’actuel ambassadeur de France, De Gaulle ayant fait don de sa "case" à la patrie reconnaissante. Dans le salon, sur l’un des murs, est présentée la copie – l’originale se trouvant précieusement conservée dans un coffre – de l’imposante pépite d’or de 582 grammes en forme d’Afrique offerte au général en 1944, et qui deviendra l’un des symboles de la France libre, reprise sur les bons d’encaissement de l’époque.
La mémoire du lieu
Dans un coin, sur une commode, une photo du gouverneur de l’Afrique équatoriale française, Félix Éboué, accueillant De Gaulle, un portrait du général à Brazzaville en 1942, une statuette à son effigie, sorte de "colon" en métal… Tout est fait ici pour entretenir la mémoire du lieu et se souvenir de cette période où l’avenir de la France s’est jouée en Afrique.
Souvenirs du passage de De Gaulle en AEF, dans le salon de la "case De Gaulle" (actuelle ambassade de France), à Brazzaville. © Séverine Kodjo-Grandvaux
Le contraste avec l’un des autres hauts lieux de l’histoire franco-africaine est saisissant. Un peu plus haut, le long des eaux calmes séparant les deux Congo, un bâtiment jouxtant la garde présidentielle semble à l’abandon avec ses murs criblés d’impacts de balle, son plafond qui s’effondre, et des trous dans le plancher… Pourtant, le Centre de recherche et de formation d’art dramatique est bien ouvert.
Qui pourrait imaginer que, là même où répète la jeune compagnie dirigée par Harvey Massamba, s’est jouée une page mythique de l’histoire du continent : la conférence de Brazzaville de février 1944.
La scène qui fait face au fleuve accueille régulièrement les acteurs du théâtre national ou les danseurs du ballet national. Mais qui pourrait imaginer que, là même où répète la jeune compagnie dirigée par Harvey Massamba, s’est jouée une page mythique de l’histoire du continent : la conférence de Brazzaville de 1944. "Quand on voit l’état de ce lieu, se désole l’acteur, on ressent un profond sentiment de souffrance, de désolation. Comment peut-on laisser tomber en ruine ce bâtiment ? Le rôle que l’Afrique a joué lors de la Seconde Guerre mondiale représente une certaine fierté. Mais elle a été effacée par une gestion postcoloniale catastrophique."
Partie latérale du bâtiment qui a abrité la conférence de Brazzaville en 1944. © Séverine Kodjo-Grandvaux
Le destin de la France, le devenir de l’Afrique
Dans une autre partie de l’immeuble, dédiée aux archives nationales, l’historien Jean-François Murracciole est inquiet. Venu participer au festival Images et histoire organisé par Louis Estienne du lycée français de Brazzaville, il contemple des boîtes gorgées d’humidité qui s’entassent sur des étagères poussiéreuses. Sur la tranche, deux initiales : G.G., pour "Gouvernement général" de l’AEF. C’est que, de 1940 à 1943, Brazzaville a été la capitale de la France libre, là où De Gaulle "pour la première fois s’est comporté en homme d’État", explique un autre historien, Éric Jennings. Là où le général créa l’ordre de la Libération, là où s’est noué le destin de la France.
"On parle toujours de l’appel du 18-Juin, mais le rôle joué par l’AEF a été déterminant" dans la victoire sur l’Allemagne nazie, souligne Eric Jennings. Alors comment expliquer que la mémoire de ce glorieux passé, où s’est construit le devenir de l’ensemble du continent, ne soit pas mieux entretenu, alors même que le passé colonial est célébré à travers un mémorial dédié à Savorgnan de Brazza ?
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Par Séverine Kodjo-Grandvaux, envoyée spéciale à Brazzaville
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