Vente d’icônes à la foire Mandela
Pauvre Nelson Mandela, cerné par les buzz morbides et le marketing cupide. Si « Madiba » échappe désormais aux paparazzis, on ne respecte guère son intimité. Et l’on n’épargne pas son image. Est-on en train de transformer l’icône politique en objet de foire ?
Approchez mesdames et messieurs, venez toucher des yeux une vieille mallette râpée, relique certifiée du "saint" sud-africain, exposée au "Centre Mandela pour la mémoire" inauguré ce lundi à Johannesburg. Médusé, découvrez avec extase un caillou importé de Mvezo, le village natal de l’idole nationale. Improvisez-vous graphologue devant des missives de "Madiba" datant de cette époque antédiluvienne où l’on écrivait encore à la main. Interprétez les courbes de ses "i". Jaugez son orthographe. Consultez le registre décati des visiteurs qui se sont rendus auprès de lui quand il était en prison. Participez au culte de la personnalité en épiloguant sur le projet de statue de l’ex-président au siège du gouvernement sud-africain.
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L’odeur de la naphtaline vous révulse ? Ça tombe bien, l’opération de déification révulserait Mandela lui-même. Alors cédez à la Mandelamania par le biais d’un marketing dernier-cri juché sur son indispensable merchandising. L’objet du culte fait place au culte de l’objet. Vêtu de vêtements griffés "Mandela", sirotez une rasade de vin Mandela dans un mug Mandela, feuilletant la bande dessinée Mandela sous une horloge Mandela. Icône de la mode ? L’image de Madiba est omniprésente en filigrane du festival international de la mode africaine qui se tient actuellement à Niamey. Ceux qui n’ont pas accès à la haute couture auront peut-être conservé le tablier de cuisine Mandela que les supermarchés Pick’n Pay avaient déjà produit en 1997.
La récupération commerciale ne serait pas une dérive mercantile puisqu’elle jouirait de l’homologation familiale ?
Sommet du bling-bling, arborez le bracelet de luxe de marque Montblanc estampillé du numéro 46664, celui de la cellule de Madiba dans la prison de Robben Island. Frissons garantis… La récupération commerciale ne serait pas une dérive mercantile puisqu’elle jouirait de l’homologation familiale ; et de celle de la fondation Mandela qui a déposé la marque du même nom à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle à Genève.
Si les produits dérivés ne vous suffisent pas, offrez-vous, sur les trottoirs de Pretoria, une copie prétendument piratée du film Un long chemin vers la liberté. Le biopic ne sera projeté sur les écrans que le 28 novembre. Mais déjà la Fédération d’Afrique australe contre le vol des Droits d’auteurs (Safact) dénonce une double arnaque. Les DVD frauduleusement disponibles ne seraient pas seulement des copies illégales, mais des "fausses copies". Ils ne contiendraient pas le film avec le comédien Idris Elba – celui qui incarne Mandela avant de devenir, peut-être, le premier James Bond noir –, mais un documentaire canadien de 2004.
Puisque vous en êtes à l’audiovisuel, vautrez-vous allégrement dans le people. Si la ménagère de moins de cinquante ans se contente des biographies des trois épouses Evelyn, Winnie et Gracia et de celle d’Amina – celle qui a refusé la bague au doigt -, le royaume du buzz offre plus graveleux à la nouvelle génération. Découvrez les frasques judiciaires avortées du petit-fils Mandla Mandela suspecté d’être bigame et d’avoir exhumé la dépouille du fils aîné du héros de la lutte anti-apartheid. Délectez-vous des confessions délayées dans le récent livre de la petite-fille Zoleka Mandela qui raconte, sans pudeur aucune, son cancer du sein et sa toxicomanie. Visionnez l’émission de téléréalité qui suivit le quotidien des starlettes Swati Dlamini et Zaziwe Dlamini-Manaway, elles aussi descendantes de Madiba.
Si votre mégalomanie rêve d’être mise en perspective avec la modestie du héros sud-africain, inscrivez votre culte dans le culte de Madiba. Mettez en scène votre visite de son ancienne prison, comme la comédienne américaine Katie Homes, l’ex-femme de Tom Cruise, qui vient de capitaliser son passage ému à Robben Island, rentabilisant ainsi médiatiquement son séjour sud-africain pour le tournage du film The Giver. Et si vous êtes l’éctuel président de l’Afrique du Sud, ne négligez pas de narrer jusqu’à plus soif votre visite au domicile du héros, le 18 novembre dernier.
Doit-on craindre la saturation Mandela ? Vaut-elle tout de même mieux que l’oubli ?…
Si vous êtes un nécrophile refoulé, prenez les paris sur l’état de santé de Mandela que l’on dit critique depuis près de six mois. Les détails les plus gores sont les bienvenus. Intubé ou pas ? Winnie Mandela nie catégoriquement que son ex-mari, âgé de 95 ans, soit sous assistance respiratoire. Pour autant, les descriptions médicales indiquent officiellement que des tubes sont dans sa bouche pour drainer ses poumons. Conscient mais la bouche “pleine”, Mandela ne communiquerait qu’avec les expressions de son visage. Gamme de communication réduite pour délivrer son sentiment profond et nuancé sur la mascotte commerciale et people qu’il est devenu. À moins de relancer la mode du mime ou le jeu du Pictionary. Tiens, un nouveau créneau commercial à exploiter… Doit-on craindre la saturation Mandela ? Vaut-elle tout de même mieux que l’oubli ?…
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Par Damien Glez.
>> Retrouvez tous les dessins de Damien Glez ici.
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