Au Maroc, les pays maghrébins et sahéliens s’entendent pour renforcer leur coopération transfrontalière

Réunis jeudi à Rabat, au Maroc, les gouvernements d’une vingtaine de pays ont exprimé leur volonté de renforcer la coopération transfrontalière face aux menaces sécuritaires en Afrique du Nord et au Sahel. La Libye et le Mali, pays où gravitent des groupes jihadistes, ont été au centre des débats.

Le chef de la diplomatie marocaine, Salaheddine Mezouar (c.), le 14 novembre à Rabat. © Joan Tilouine pour J.A.

Le chef de la diplomatie marocaine, Salaheddine Mezouar (c.), le 14 novembre à Rabat. © Joan Tilouine pour J.A.

Publié le 14 novembre 2013 Lecture : 5 minutes.

C’est dans un contexte régional particulièrement délicat que s’est tenue au Maroc, jeudi 14 novembre, la seconde conférence sur la sécurité des frontières dans la zone sahélo-saharienne. Alors que le plan d’action adopté à la conférence de Tripoli, en mars 2012, est resté peu suivi d’effets sur le terrain, la déclaration de Rabat entend mettre en pratique des mesures d’action. "Il y a urgence", confie-t-on tant du côté de la communauté des États arabo-sahéliens, que du côté des Occidentaux représentés par les États-Unis, la France, l’Union Européenne, et plusieurs pays d’Europe du Sud.

"Une conférence utile", ont souligné à l’unisson les chefs des diplomaties marocaine, française, libyenne et malienne qui ont présenté la déclaration de Rabat, avant de se retrouver à Tripoli dans deux mois. C’est la capitale libyenne qui accueillera le secrétariat chargé de piloter la stratégie régionale en harmonisant plusieurs groupes de travail dans les domaines de la sécurité, du renseignement, de la justice et des douanes. Avec une attention particulière aux renforcements des dispositifs d’échanges d’informations entre les autorités idoines.

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"La véritable plus-value de cette conférence de Rabat est la dimension opérationnelle", a souligné le ministre libyen des Affaires étrangères, Mohamed Ahmed Abdelaziz. Parmi les mesures phares, la création, à Rabat, d’un centre régional de formation et d’entraînement d’officiers en charge de la sécurité des frontières au Sahel. "Les pays de la région ont tous la volonté politique de parvenir à la paix régionale mais rencontrent des difficultés du fait de manque de moyens et de technologies avancées pour renforcer la sécurisation des frontières", a déclaré, en ouverture, le chef de la diplomatie marocaine, Salaheddine Mezouar qui a appelé à une "unité du Maghreb et des pays de la région pour combattre toute forme d’extrémisme, dans un esprit positif".

"La stabilité du Sahel profitera à tous"

Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a rappelé son soutien inconditionnel à la démarche des États sahélo-sahariens pour parvenir à un plan d’action collectif au niveau régional et international afin de renforcer notamment la sécurisation des frontières. "Il faut aider par solidarité et égotisme à contrôler les flux aux frontières", a-t-il déclaré. "Personne ne peut se dire définitivement à l’abri, et la stabilité du Sahel profitera à tous", a-t-il insisté après avoir rappelé le "succès de l’intervention africaine et internationale au Mali".

C’est bien l’évolution inquiétante de la situation en Libye, frappée par une vague de violences et menacée par une partition qui est au cœur des préoccupations. À Tripoli, l’État ne gouverne plus et les milices font la loi tandis que des groupes islamistes armés bien structurés sont à l’œuvre, à en croire des diplomates occidentaux présents à Rabat. Le ministre de l’Intérieur du Niger, Massaoudou Hassoumi, a insisté sur l’aggravation des menaces causées par la Libye post-Kadhafi.

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À des problèmes régionaux, nous devons absolument trouver des solutions régionales.

Mohamed Ahmed Abdelaziz, ministre libyen des Affaires étrangères

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"Il faut lancer un appel fort à la communauté internationale pour soutenir la Libye, plus que les petits apports qu’il y a en ce moment". Et de partager son constat : "l’aggravation de nos menaces dans cet espace est causé en partie par la Libye de l’après-Kadhafi". Quelques jours plus tôt, le Premier ministre Ali Zeidan avait tiré la sonnette d’alarme et mis en garde contre le risque de glisser vers un nouvel Irak. À Rabat, le ministre libyen des Affaires étrangères a reconnu que "les défis sécuritaires dépassent la capacité d’une nation". Admettant l’absence de contrôle des frontières, notamment au sud du pays, M. Abdelaziz a appelé à une coopération régionale renforcée. "À des problèmes régionaux, nous devons absolument trouver des solutions régionales".

Tensions algéro-marocaines

De son côté, la France a souligné son engagement concret dans la région, avec un budget de 280 millions d’euros dédié au Mali pour les années 2013 et 2014 et la formation de mille policiers en Libye, tout en suggérant "l’implication des minorités locales dans les régions frontalières" en terme de sécurité. Et de dégager une équation délicate à résoudre: "la vie pastorale doit être préservée et en même temps, les frontières doivent être renforcées".

Si, à aucun moment, elles n’ont été évoquées, les tensions accrues ces dernières semaines entre l’Algérie et le Maroc ont plané comme un spectre sur la conférence. Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, avait fait savoir qu’il déclinait l’invitation. Tout en laissant planer le doute sur un éventuel "siège vide". C’est finalement Abdelhamid Chebchoub, de la direction générale des pays arabes au ministère des affaires étrangères qui a cornaqué une délégation composée de représentants du ministère de la Défense et de l’Intérieur.

"Pour nous, c’est important que la délégation algérienne soit là", a confié un diplomate marocain. "La question du Sahara tout comme le prisme des relations entre l’Algérie et le Maroc n’on rien à voir avec la résolution du Sahel où l’Algérie a une expérience certaine", a tenu à préciser M. Chebchoub. Sans jamais prononcer le mot "Algérie", le Maroc a multiplié quant à lui les gestes d’ouverture et les appels à la coopération sur ce dossier sensible du Sahel. "L’Algérie et le Maroc sont les deux derniers États stables et forts de la région. Ils doivent le rester et s’unir pour porter la dynamique régionale. Sans l’Algérie, c’est impossible", conclut un diplomate sahélien.

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Par Joan Tilouine, envoyé spécial à Rabat

L’immigration clandestine, autre source d’inquiétude

Autre sujet prioritaire des participants à la réunion de Rabat, membres de gouvernements et organisations internationales compris : l’immigration illégale. Le récent drame de Lampedusa – île italienne au large de laquelle des centaines de clandestins partis de Libye sont morts cet automne – est encore dans les mémoires.

Pays hôte, le Maroc est lui-même en première ligne. Il doit gérer, avec son partenaire espagnol, les innombrables tentatives de franchissement du détroit de Gibraltar ou des enclaves de Ceuta et Melilla, seules frontières terrestres entre l’Europe et l’Afrique. Rabat vient par ailleurs d’annoncer une "régularisation exceptionnelle" parmi les "25 000 à 40 000" migrants illégaux qui seraient sur son sol.

Mais si le chef de la diplomatie marocaine a estimé que "l’unité du Maghreb" était "une nécessité régionale et internationale", la lutte contre les réseaux clandestins se heurte à l’absence de coopération entre le Maroc et l’Algérie. La frontière commune est officiellement fermée depuis 1994 et les deux pays viennent de vivre une nouvelle crise diplomatique autour du Sahara occidental. Ce différend bilatéral entrave le fonctionnement de l’Union du Maghreb arabe (UMA), un marché potentiel de cinq pays et près de 100 millions d’habitants.

(Avec AFP)

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