Le business des bonnes causes : sarcasme contre clichés

Un clip norvégien mis en ligne ce week-end renverse les idées reçues sur l’Afrique. Sans tomber dans d’autres poncifs politiquement corrects et en dénonçant, avec humour, le “business” cynique des bonnes causes caritatives…

Oeil de Glez. © Damien Glez

Oeil de Glez. © Damien Glez

 © GLEZ

Publié le 11 novembre 2013 Lecture : 3 minutes.

La mise en scène est digne de Out of Africa. Comme dans le film de Sidney Pollack, la lumière africaine est ocre jusqu’à saturation. Des nappes musicales synthétiques asphyxiantes alternent avec un piano aussi anachronique que le phonographe de Robert Redford. Des enfants noirs aux débardeurs défraîchis et aux sourires démesurés courent, au ralenti, derrière une automobile conduite par une jeune femme blanche arborant un chapeau de cuir impeccable. La conductrice candide dont c’est le « premier voyage en Afrique » doit sa popularité soudaine à une empathie larmoyante et au don de pâtisseries danoises pur beurre.

Mais le clip introduit, en trois minutes trente, un double renversement de situation…

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Premier renversement : le principal enfant africain ne s’appelle ni Mamadou ni Dabulamanzi. Il se révèle être Michael, un comédien qui feint le misérabilisme, une star de la mise en scène caritative en HD, un professionnel de l’extorsion de larmes, un dealer de bons sentiments. Hors caméra, les synthétiseurs cèdent la place à des chants caricaturalement kenyans, tout droit sortis d’un mauvais dessin animé de Walt Disney. De la voiture, présentée comme celle de la donatrice, sort un Michael bling bling vêtu d’une tenue hip hop.

Jusque-là, le court-métrage en rappelle un autre, un film français qui montrait un village subsaharien en train de cacher ses mobylettes et ses vêtements de marque quand surgissait un touriste à tondre. Supercherie que le film norvégien semble d’abord présenter comme une "bonne cause"…

Mais le second renversement de situation intervient : le comédien de collecte de fonds est un mauvais professionnel. Bien sûr, Michael a la bouille de l’emploi, assez jeune pour attendrir, transpirant tout de même la maturité d’un enfant trop tôt à la charge de lui-même. Mais Michael ne peut retenir un fou rire quand sa mère supposée s’effondre, devant les caméras, sous le poids d’un récipient d’eau perché sur sa tête. Michael change les répliques du scénario au rythme de ses humeurs. Michael crache la première bouchée de pâtisserie danoise qu’il qualifie à grand renfort de gros mots. Michael s’essouffle quand il est censé gambader à proximité du véhicule de sa bienfaitrice d’un jour…

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Michael est-il stupide ? Est-il au contraire sympathique, peinant à se fondre dans ce jeu de dupe qui met en scène une énième rencontre entre le "bon nègre" et  l’Occidentale condescendante ? Qui manipule qui dans les relations nord-sud ?

Le clip sarcastique de l’association caritative SAIH (le Fonds d’aide internationale des étudiants et universitaires norvégiens) renvoie dos à dos la bonne conscience stéréotypée du nord et l’escroquerie admissible du sud. Il ridiculise les versificateurs de poncifs du genre "les Africains n’ont rien, mais ils sourient". Car c’est aux clichés que le film s’attaque, bien plus qu’aux processus de coopération nord-sud. "Nous aimons les campagnes humanitaires", précisent les responsables de l’association norvégienne, mais "les stéréotypes nuisent à la dignité".

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Et l’on comprend mieux comment ce clip s’inscrit dans la campagne "Africa for Norway". Il y a quelques mois, l’association faisait déjà basculer le regard ambigu que le nord portait sur le sud. L’association lançait le "Radi-Aid", une collecte de radiateurs auprès des populations africaines, quête destinée à "éviter que les Norvégiens ne meurent de froid". Sur le mode de la chanson collective du "Band-Aid" dont le clip abusait, dans les années 1980, d’images d’Éthiopiens faméliques, une vidéo du Radi-Aid présentait un groupe d’Africains chantonnant "Il y a assez de chaleur pour la Norvège si les Africains partagent". Le tout sur des images de blizzard et de routes verglacées.

Dans la compréhension du monde, tout n’est-il pas question d’angle de vue ?

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Par Damien Glez

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