Christiane Taubira : le racisme est une « pathologie profonde qui mine la démocratie » française

Christiane Taubira, ministre française de la Justice, a dénoncé mercredi, dans une interview au quotidien « Libération », les attaques racistes récurrentes dont elle est victime et qui constituent, selon elle, un danger pour la « cohésion sociale » de son pays. « Il faut rappeler que le racisme n’est pas une opinion, c’est un délit », martèle la garde des Sceaux.

Christiane Taubira, lors du débat sur le mariage pour tous. © Reuters

Christiane Taubira, lors du débat sur le mariage pour tous. © Reuters

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Publié le 6 novembre 2013 Lecture : 3 minutes.

Cible privilégiée des attaques racistes – elle a notamment été qualifiée de "guenon" par une adolescente, le 25 octobre dernier -, Christiane Taubira a choisi de répliquer. Non pour elle-même, dit-elle, assurant que le sujet n’est "pas [sa] personne",  mais parce que ces propos xénophobes sont "une attaque au cœur de la République".

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"Je me ramasse depuis longtemps du ‘macaque’, du "y a bon Banania’", explique la Garde des Sceaux, dans un entretien publié dans Libération, mercredi 6 novembre. "La réponse judiciaire est indispensable", ajoute-t-elle, "il faut rappeler que le racisme n’est pas une opinion, c’est un délit". Et de poursuivre : "Mais elle ne suffit pas : on ne peut pas demander à la seule justice de réparer les pathologies profondes qui minent la démocratie. Des millions de personnes sont mises en cause quand on me traite de guenon. Des millions de gamines savent qu’on peut les traiter de guenons dans les cours de récréation !"

"Des digues qui tombent"

Christiane Taubira s’inquiète encore du peu de réactions suscitées par les propos racistes dans la classe politique, alors que la "société" est, selon elle, "ébranlée sur ces fondations. (…) J’ai reçu des soutiens* mais (…) les réactions n’ont pas été à la mesure", regrette-t-elle. "Ce qui m’étonne le plus, c’est qu’il n’y a pas eu de belle et haute voix qui se soit levée pour alerter sur la dérive de la société française. […] C’est la cohésion sociale qui est mise à bas, l’histoire d’une nation qui est mise en cause. [Il] s’agit très clairement d’inhibitions qui disparaissent, de digues qui tombent."

Les réactions n’ont pas été à la mesure (…) il n’y a pas eu de belle et haute voix qui se soit levée pour alerter sur la dérive de la société française.

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Cela procède "d’un long glissement", analyse la Garde des Sceaux. "Périodiquement, et encore sous le dernier quinquennat, on a construit un ennemi intérieur. Ceux qui sont incapables de tracer un horizon passent leur temps à dire au peuple français qu’il est envahi, assiégé, en danger", ajoute la ministre d’origine guyanaise. Le Front national est-il responsable ? "Incontestablement. (…) Même si Mme Le Pen fait semblant d’être présentable, les Français savent ce que représente son parti – et son idéologie, qu’elle n’a d’ailleurs jamais reniée", assène Christiane Taubira, elle-même visée par une plainte du parti d’extrême-droite pour avoir répliqué, suite à une déclaration d’une élue frontiste, que le FN, "c’est les Noirs dans les branches des arbres, les Arabes à la mer, les homosexuels dans la Seine, les Juifs au four".

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Dans "l’inconscient des Français"

"Des millions de gamines" peuvent-elles, réellement, être traitées "de guenons dans les cours de récréation" ? Autrement dit, "la France devient-elle raciste ?", comme s’interroge en une le quotidien Le Parisien mercredi. La question a du sens. "C’est un héritage des temps anciens", écrivait de son côté le journaliste Harry Roselmack, dans une tribune au journal Le Monde mardi, "une justification pour une domination suprême et criminelle : l’esclavage et la colonisation".

C’est un héritage des temps anciens.

Harry Roselmack, Journaliste

Et l’ancien présentateur du journal télévisé de TF1 d’ajouter : "Ce racisme a laissé des traces et, si on était capable de lire l’inconscient des Français, on y découvrirait bien souvent un Noir naïf, s’exprimant dans un français approximatif, et dépourvu d’Histoire ou, tout du moins, d’œuvre civilisatrice".

Un "inconscient des Français" qui surgit de plus en plus souvent, et de plus en plus clairement, dans les discours des hommes politiques, notamment au sein de la droite dite "décomplexée". "L’Homme africain n’est pas assez rentré dans l’Histoire", entendait-on déjà, le 26 juillet 2007, dans un amphithéâtre de l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, de la bouche d’un certain Nicolas Sarkozy… alors président de la République française.

*Une pétition a notamment été lancée. Intitulée "France, ressaisis-toi !", elle comptabilise pour le moment plus de 12 000 signatures.

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Par Mathieu OLIVIER

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