Mali : vive émotion et nombreuses questions après l’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon à Kidal
Ghislaine Dupont et Claude Verlon, les deux journalistes de RFI qui ont été retrouvés morts près de Kidal, samedi 2 novembre, ont été exécutés par leurs ravisseurs, selon les premiers éléments de l’enquête. Les questions sur les mobiles de leur enlèvement et de leur assassinat se mêlent à l’émotion et au deuil des familles et de la profession, sous le choc.
Alors que l’émotion est toujours extrêmement vive, en France comme au Mali, après l’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, deux envoyés spéciaux de RFI à Kidal, le 2 novembre, les questions sur les circonstances du drame se multiplient. Qui sont les membres du groupe armé qui ont enlevé les deux journalistes devant le domicile d’un des leaders du Mouvement national de libération de l’Azawad, Mohamed Ag Ghissa, selon le quel les ravisseurs parlaient tamashek ? Quelle mouvance ou groupe terroriste aurait intérêt à commettre de tels actes, juste après la libération, également au nord du Mali, de quatre français enlevés à Arlit, au Niger, en 2010 ?
Le ministre français des Affaires étrangères a apporté quelques éléments sur les circonstances du rapt tragique. Ghislaine Dupont et Claude Verlon n’avait "pas demandé de protection particulière", a-t-il expliqué lundi matin sur la radio RTL. "Ils ont été acheminés par la Minusma. Sur place, ils ont considéré qu’ils étaient dans une relative sécurité et le malheur est arrivé. (…) Ce n’étaient pas des têtes brûlées", a-t-il tenu à préciser.
"À l’heure actuelle, on n’a pas de certitude sur qui a commis cet assassinat", a-t-il dit, assurant qu’"aucune revendication" n’avait été transmise. "On parle d’Aqmi, du Mujao qui a pris une nouvelle forme, de dissensions possibles entre les uns et les autres", a poursuivi M. Fabius. Qui précise : "Madame Dupont a été assassinée de deux balles dans la poitrine, Monsieur Verlon a reçu trois balles en pleine tête. (…) La voiture était fermée, (…) il n’y avait aucune trace d’impact sur la carrosserie ce qui veut dire qu’il n’y a pas eu de combat."
Panique ?
Des informations qui visent probablement à désamorcer toute début de polémique ou tentative de communication de la part des terroristes sur une éventuelle responsabilité des militaires français dans la mort des deux otages, retrouvés morts à 12 kilomètres de Kidal samedi vers 15 heures, soit moins deux heures après leur enlèvement. Selon le colonel Gilles Jaron, le porte-parole de l’état-major français, les forces de l’opération Serval basées à l’aéroport de Kidal ont envoyé une patrouille et deux hélicoptères sur zone, mais ont découvert les corps des deux journalistes sans avoir vu ou affronté les meurtriers. Ceux-ci, acculés, ont-ils paniqué ? C’est l’hypothèse qui paraît la plus vraisemblable, car si l’assassinat était l’objectif des terroristes, ils n’auraient sans doute pas attendu d’être sortis de la ville – avec tous les risques d’interception que cela impliquait – pour commettre leur crime.
Différend financier sur la rançon, négociation d’une impunité, volonté de déstabilisation : les mobiles possibles de l’enlèvement sont nombreux.
Qui est le coupable ? La piste d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), présente dans la région malgré les troupes françaises, reste "la plus probable", selon Pierre Boilley, directeur du Centre d’études des Mondes africains (Cemaf), qui ne voit "aucun intérêt" pour le MNLA à enlever ou tuer des journalistes français. Mais comme tous les groupes dans la région depuis l’intervention française, le MNLA est aujourd’hui "parcellisé et divisé", note le député socialiste François Loncle, auteur d’un rapport parlementaire sur le Sahel. "Il y a notamment ceux qui acceptent le dialogue avec le sud (du Mali), et les jusqu’aux-boutistes" qui le refusent. Et qui pourraient avoir envie de "torpiller" les assises sur le nord qui ont débuté vendredi dernier à Bamako, sous haute tension.
Ce qui renvoie à la question du mobile. Selon toute hypothèse – encore une fois – il pourrait s’agir d’un différend financier entre groupes armés autour de la "rançon" ou des "compensations financières" qui auraient été versées – 20 à 25 millions d’euros selon certaines sources – pour obtenir la libération des quatre otages français. "Est ce que la répartition des rançons versées a été équitable ? Il n’est pas impossible que certains au sein d’Aqmi se soient sentis grugés", a déclaré l’anthropologue André Bourgeot, spécialiste des mouvements touaregs dans la région. Certains chefs jihadistes pourraient aussi avoir voulu négocier une impunité devant la justice malienne, comme Ansar Eddine a visible réussi à le faire pour au moins un de ses lieutenants.
Deuil et hommages
Deux enquêtes ont été ouvertes en France et au Mali pour faire toute la lumière sur le drame. En attendant, c’est l’heure du deuil et des hommages. Les corps des deux journalistes ont été ramenés de Kidal par un avion de l’armée française qui s’est posé à l’aéroport à Bamako à 18h, dimanche, et leur rapatriement en France devait être organisé au plus tôt lundi.
Plusieurs personnalités officielles étrangères et maliennes, dont le Premier ministre Oumar Tatam Ly, ainsi que le ministre français délégué aux anciens combattants, Kader Arif, en visite dans la région, se trouvaient à l’aéroport de Bamako dimanche. Des membres de la direction de RFI devaient arriver dans la soirée à Bamako pour organiser le rapatriement des deux corps en France.
"Les assassins, ce sont ceux que nous combattons, c’est-à-dire les groupes terroristes", a martelé M. Fabius avant d’annoncer que "la sécurisation de l’ensemble de la zone et des zones voisines" allait être "accrue", sans plus de détails. De source gouvernementale française, il s’agirait de rendre la présence française – forte de quelque 3 000 soldats français au Mali, dont 200 militaires français stationnés à l’aéroport de Kidal – "plus visible" dans l’extrême-nord du Mali.
Un Nord qui reste très instable, attentats et attaques islamistes se multipliant à l’approche des élections législatives, dont le premier tour est prévu le 24 novembre. "Le contingent de la Minusma qui est là bas [à Kidal, NDLR] est plus ou moins cantonné, et Serval ne dispose pas des effectifs pour sécuriser la ville", a résumé dimanche sur France 24 le ministre malien de la Défense Soumeylou Boubeye Maïga.
(Avec AFP)
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