Libération des otages d’Arlit : en coulisses, les Nigériens contredisent la version française
Les quatre Français enlevés au Niger le 16 septembre 2010 par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), ont été libérés et sont de retour en France après trois ans de captivité dans le désert. En coulisses, les versions divergent catégoriquement sur le déroulement de leur libération. Selon des protagonistes nigériens, aucun Français n’aurait participé aux opérations.
Que s’est-il passé ce mardi 29 octobre, durant les heures qui ont précédé la libération des quatre otages français ? Selon que l’on se tourne vers Paris ou vers Niamey, les sons de cloche sont très différents. En France, des sources citées par Jacques Follorou, journaliste du journal Le Monde spécialisé dans les questions de renseignement extérieur, évoquent le déplacement, dans l’extrême-nord du Mali, près des frontières avec la Mauritanie et l’Algérie, d’une délégation composée de dix-huit hommes, "des Français et des Touaregs", dirigée par Mohamed Akotey, et chargée de récupérer les otages. Selon le quotidien français, qui cite des sources internes à la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), ce groupe aurait quitté Kidal le 21 octobre à bord de plusieurs véhicules et sans aucun moyen de communication ("ils veulent éviter d’être traqués par les grandes oreilles américaines mais également françaises"), mais avec une valise remplie de billets ("plus d’une vingtaine de millions d’euros", provenant des fonds secrets des services français). Arrivés sur zone, les négociateurs auraient donné la rançon aux ravisseurs contre les coordonnées GPS de l’endroit "sécurisé avec de l’eau et de la nourriture" où étaient regroupés Daniel Larribe, Marc Féret, Thierry Dol et Pierre Legrand. Une fois les captifs pris en charge, "le convoi est revenu à Kidal le mardi 29 octobre, d’où les ex-otages s’envolent pour Niamey", affirme le quotidien.
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Au Niger, c’est une toute autre version qui circule dans l’entourage le plus proche du président Mahamadou Issoufou. En fait de délégation d’envergure, Mohamed Akotey aurait été seul à prendre la route du désert. Acteur majeur de la première rébellion touarègue des années 1990, il est depuis devenu un notable local (ancien ministre, il est aujourd’hui le président du Conseil d’administration d’Imouraren SA, la filiale d’Areva qui exploite l’immense mine d’uranium d’Imouraren) et surtout un interlocuteur incontournable dans le Sahel. Missionné par Issoufou pour libérer les otages mais relativement autonome quant à la manière de procéder, il se serait d’abord rendu à Kidal vers le 22 octobre. Après avoir effectué plusieurs allers retours entre le Niger et le Nord-Mali ces derniers mois, il savait que cette mission devait être la dernière. Il y a un mois, de passage à Bamako, il affirmait d’ailleurs que le dénouement était proche. Ces derniers jours, il avait convenu avec les geôliers que les otages, jusque-là dispersés, devraient dans un premier temps être regroupés, puis amenés à un point de rendez-vous où ils lui seraient remis.
En vidéo : Seidik Abba, rédacteur en chef à Jeune Afrique, fait le point sur ce que l’on sait vraiment et sur les enjeux politiques de la libération :
De Kidal, le médiateur aurait attendu un appel des geôliers. Ces derniers lui auraient fixé un rendez-vous, en lui fournissant des coordonnées GPS, à une centaine de kilomètres au nord de Kidal, dans l’Adrar des Ifoghas (donc loin de la frontière mauritanienne). Dès le lieu de l’échange connu, le 29 octobre, un hélicoptère de l’armée nigérienne (un MI-17) a décollé de Niamey. À son bord, des pilotes, des agents et le chef des services de renseignement du pays, le général Lawal Chékou Koré. L’hélicoptère aurait récupéré Akotey à Kidal, puis aurait filé sur le lieu du rendez-vous où les auraient attendus les otages mais aussi leurs geôliers. Les quatre Français, qui étaient détenus dans la région de Tombouctou puis dans les environs de Taoudenni, plus au Nord, auraient été amenés sur ce lieu à bord de deux 4×4 Toyota escortés de quatre autres pick-ups armés.
Après des échanges brefs ("20 minutes" selon une source militaire nigérienne), les otages seraient montés dans l’hélicoptère qui aurait décollé vers 15h. Trois heures plus tard, ils posaient le pied sur le tarmac de l’aéroport militaire de Niamey, où les attendaient le président Issoufou, le ministre nigérien des Affaires étrangères Mohamed Bazoum et le ministre de la Défense Mahamadou Karidjo. Selon un officiel nigérien, "la France n’a envoyé personne sur place, et seuls les moyens du Niger ont été mobilisés".
Joint par Jeune Afrique, Mohamed Akotey n’a pas souhaité s’étendre sur sa mission. "Je ne parle pas de ça", nous disait-il en fin de matinée, le 30 octobre. Quelques minutes plus tard, il devait rencontrer Issoufou pour se livrer un à débriefing duquel rien n’a filtré. Discret, Akotey n’est pas du genre à tirer la couverture sur lui. Après avoir ramené les ex-otages à Niamey, il n’a pas souhaité rester à leurs côtés et s’est discrètement éclipsé.
- Y’a-t-il eu versement d’une rançon ?
Peu après la publication de l’article du Monde faisant état du versement d’une "contrepartie" d’une vingtaine de millions d’euros provenant des fonds secrets des services français de renseignement, plusieurs médias ont évoqué le paiement d’une rançon pour obtenir la libération des quatre otages.
Citant une source proche des négociateurs nigériens, l’AFP a affirmé qu’"entre 20 et 25 millions d’euros auraient été versés pour leur libération". De son côté, RFI a aussi évoqué un montant d’"au moins 20 millions d’euros", se basant sur les propos d’une "source très très proche de la médiation".
Enfin, une autre personnalité a mentionné, à visage découvert et dans différents médias français, l’existence d’une rançon : Diane Lazarevic, fille de l’otage Serge Lazarevic, enlevé en novembre 2011 au nord du Mali par Aqmi et toujours détenu au Sahara. Tout en se réjouissant de la libération de ses quatre compatriotes, elle s’est indignée de l’inégalité de traitement réservé aux différents otages. Selon elle, les autorités françaises l’ont appelé il y a deux mois pour lui assurer que "s’il y avait libération, il y aurait libération des otages d’Areva et de [son] père" et que "le négociateur en place négociait pour les cinq". Ne le voyant pas libre aux côtés des salariés de la multinationale, Diane Lazarevic monte au créneau et révèle que le Quai d’Orsay lui avait aussi dit que "la France ne [versait] pas de rançon, mais qu’Areva le ferait sûrement".
Côté nigérien, on assure ne pas savoir si de l’argent a effectivement été versé aux jihadistes.
- Qui détenait les otages ?
Sur ce point, les versions livrées par la France et par le Niger se recoupent. Enlevés par les hommes d’Abou Zeid le 16 septembre 2010, les quatre Français auraient été récupérés, après la mort de ce dernier en mars dernier lors de l’opération Serval, par des jihadistes "touaregs" selon Paris, "touaregs et arabes" selon Niamey. Séparés en différents groupes, ils auraient ensuite (toujours selon Le Monde) été détenus par Abdelkrim al-Targui, un lieutenant touareg d’Aqmi. Ce natif de la région de Kidal est un proche parent d’Iyad ag-Ghali, figure de la rébellion touarègue qui est à la tête du mouvement islamiste Ansar Eddine.
Iyad a-t-il été l’interlocuteur d’Akotey, comme l’affirme une partie de la presse française ? Les deux hommes se connaissent bien. Ils sont issus de la même tribu (les Ifoghas, qui sont à cheval entre le Niger et le Mali) et tous deux ont mené les rébellions du début des années 1990 – le premier au Mali, le second au Niger. Mais il y a quelques semaines, Mohamed Akotey confiait à un proche que les otages n’étaient pas détenus par Iyad et qu’ils étaient toujours aux mains de ceux qui les avaient enlevés à Arlit il y a plus de trois ans.
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Rémi Carayol et Benjamin Roger
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