France : aumônier musulman, une profession trop rare

Depuis 2006, les aumôniers musulmans officient dans les hôpitaux français, où ils apportent une aide spirituelle aux patients musulmans tout en assurant une médiation avec le personnel médical. Une action indispensable dont le développement est pourtant freiné par le manque de financements.

En France, l’aumônerie musulmane n’obtient aucun financement de la part des autorités cultuelles. © AFP

En France, l’aumônerie musulmane n’obtient aucun financement de la part des autorités cultuelles. © AFP

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Publié le 4 novembre 2013 Lecture : 3 minutes.

Sofiane était sous assistance respiratoire, au centre hospitalier de Montpellier, lorsque sa mère a souhaité qu’il retourne dans son pays d’origine. "Elle voulait que son fils finisse ses jours en Algérie. Nous avons dû la soutenir et lui faire comprendre que ce transfert était impossible, compte tenu de son état et des conditions sanitaires à respecter", confie Fathia El Moummi.

Depuis près de deux ans, cette aide-soignante de formation panse les plaies des patients et de leurs proches, sans compresse ni bandage. Et côtoie, chaque jour, des individus très malades ou en fin de vie qui soulagent leur peine grâce à la religion. À à 48 ans, elle est aumônière musulmane à l’hôpital de Montpellier. "Les médecins soignent le corps, moi, je soigne l’esprit", résume-t-elle.

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Peu après la désignation d’aumôniers musulmans en prison et à l’armée, en 2005, le Conseil français du culte musulman (CFCM) a pris la mesure des incompréhensions de certains patients musulmans face à la réalité hospitalière. "Des personnes hospitalisées refusaient d’être auscultées par une personne de sexe opposé", explique Mohammed Azizi, aumônier régional des hôpitaux d’Île-de-France.

Une aumônerie musulmane s’organise alors dans les hôpitaux, dès 2006, autour de la nomination d’un aumônier national, Abdelhaq Nabaoui, et de référents dans chaque région, afin d’institutionnaliser une activité jusque-là exercée par des bénévoles. De l’avortement thérapeutique au don d’organes, en passant par les ablutions sèches, les aumôniers répondent aux questionnements des croyants hospitalisés. "Les gens ignorent souvent que l’Islam autorise certains allègements pour les personnes souffrantes, comme pour le jeûne du ramadan, par exemple", précise Fathia El Moummi.

La tâche est parfois très délicate, comme lorsque le patient se trouve en unité de soins palliatifs. "Les familles ne comprennent pas le point de vue des médecins sur l’acharnement thérapeutique. Jusqu’au bout, elles espèrent un miracle, même si le malade est sous perfusion", affirme Abdelkader Khali, aumônier musulman à la Pitié-Salpêtrière.

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Demande croissante

Dans la région parisienne, qui compte près de deux millions de musulmans, seuls 12 aumôniers sont salariés.

Aujourd’hui, une vingtaine d’aumôniers régionaux tentent de faire face à une demande croissante de la part des patients musulmans. Depuis quelques années, ces conseillers du culte sont de plus en plus sollicités par les familles qui ont besoin d’être guidées dans leur deuil. Or, cette demande se heurte souvent au manque criant d’aumôniers hospitaliers. Dans la région parisienne, qui compte près de deux millions de musulmans, seuls 12 aumôniers sont salariés sur les 43 hôpitaux de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) alors que l’aumônerie catholique en compte une quarantaine. La centaine d’aumôniers musulmans doit donc avant tout compter sur l’aide de bénévoles. En janvier dernier, l’équipe médicale de Montpellier alertait sur Twitter qu’elle recherchait des personnes susceptibles d’exercer cette activité dans la région.

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Face à une telle demande, les aumôniers en poste ou bénévoles ne comptent pas leurs heures. "Quand une famille est en détresse, nous n’avons pas d’horaires", assure Abdelkader Khali. "Les proches des patients les appellent parfois à 4 heures du matin mais ils n’hésitent pas à se déplacer, même à leurs frais", avance Abdelhaq Nabaoui.

Aujourd’hui, la pénurie d’aumôniers sur le territoire devient pesante. Face aux aumôneries catholiques ou protestantes, plus organisées car plus anciennes, leur petite sœur musulmane peine encore à se structurer, notamment à cause d’un manque de financements. Si l’Église catholique et la Fédération protestante subventionnent une partie de leur aumônerie hospitalière, l’aumônerie musulmane n’obtient aucun financement de la part des autorités cultuelles telles que le CFCM. Seules les associations musulmanes aident à son développement, grâce à ses bénévoles et aux dons.

"Il faudrait que les grandes organisations nous aident, qu’elles comprennent que notre action est indispensable", lance Mohamed Azizi. "Le CFCM est une jeune institution qui n’a pas les moyens de salarier des aumôniers", maintient Abdelhaq Nabaoui. Pour le moment, la présence d’aumôniers musulmans dans les établissements publics de santé dépend avant tout de la bonne volonté des chefs d’établissement. "Nous avons commencé de zéro. La structuration de l’aumônerie hospitalière se fait progressivement. Il faut laisser le temps au temps", relativise Abdelhaq Nabaoui, optimiste.

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Émeline Wuilbercq

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