Cartooning for peace à Tunis : la grande omelette n’a pas eu lieu !
Les 27 et 28 octobre, l’association Cartooning for peace a réuni des dessinateurs dans un Tunis présenté comme un volcan à la lave claustrophobe. Mais les caricaturistes se sont moins brûlés aux flammes de la grogne politique que réchauffés aux braises de la passion étudiante…
Volontiers éléphant dans un magasin de porcelaine, le cartoonist aime postuler à la fonction de martyre de la liberté d’expression. À l’heure où la Tunisie n’en finit pas de digérer sa révolution – jusqu’à avoir des remontées gastrico-nostalgiques de l’ancien régime -, l’occasion était trop belle pour ne pas faire quelque esclandre. Les dessinateurs ont fondu du nord (France, Belgique), du sud (Burkina Faso), de l’est (Libye) et de l’ouest (Algérie, Maroc), munis de leur ceinture "explosive" de crayons de couleur, sur une Tunisie où le portrait-robot du nouveau gouvernement tarde justement à se… dessiner et où les islamistes d’Ennahdha se prêtent volontiers à la caricature.
Les "fondamentalistes" de la liberté de moquerie allaient-ils se poser en donneurs de leçons ? Ceux qui attendaient un "djihad laïc" connaissent mal l’association enfantée par le cartoonist français Plantu, quelques mois après l’insémination intellectuelle d’un Kofi Annan traumatisé par l’épisode des caricatures danoises de Mahomet. La joyeuse bande de dessinateurs zigzague entre les interdits, les abordant plus volontiers à revers que frontalement. Dans cette ambiance tunisienne électrique à souhait, les graphistes pensaient marcher sur des œufs ; se réservant, tout de même, un peu de ciboulette en cas d’omelette qu’on ne saurait faire sans en casser (des œufs !).
Vive l’itinérance
La leçon, ce sont les dessinateurs de Cartooning for peace qui l’auront reçue à Tunis, à leur plus grande joie. Fallait-il inviter Moncef Marzouki à inaugurer une exposition de dessins de presse censément mondaine ou suivre les conseils de "droits de l’hommistes" tunisiens désabusés par des compromis – voire des compromissions – présidentiels incongrus ? D’exposition, il n’y aura pas, rendant finalement l’équipe de dessinateurs plus libre parce qu’itinérante.
Les dessinateurs aiment malaxer les clichés à pleine plume, mais les lieux communs n’ont pas été au rendez-vous de Tunis.
Fallait-il se réjouir, à l’Institut Supérieur des Beaux Arts de Tunis (ISBAT), de la féminité majoritaire du corps étudiant confronté aux dessinateurs ou s’attrister d’entendre les arguments machistes qui présentaient les métiers artistiques comme des filières de "femmelettes" ? La séance du lendemain, à l’Institut de la presse et des sciences de l’information, enseignera que la gent féminine tunisienne, là-bas non plus, n’est pas le simple "complément" de l’homme.
L’emploi inopiné du mot "Israël" dans une phrase allait-il vider les amphithéâtres plus sûrement qu’une alerte à incendie ? Le supposer aurait été sous-estimer l’esprit critique de cette jeunesse tunisienne. Les dessinateurs aiment malaxer les clichés à pleine plume, mais les lieux communs n’ont pas été au rendez-vous de Tunis. Dans le cadre de l’enseignement comme au Salon du livre, les dessinateurs ont pu se mêler de politique sans s’emmêler les pinceaux.
Dessins sur la Tunisie par des membres de Cartooning for peace, avec l’aimable autorisation des auteurs :
Quastions universelles, réponses locales
Les velléités de ré-révolution de certains, de contre-révolution d’autres ou même la résignation n’auront pas empêché les rencontres de Cartooning for peace de soulever, comme à Atlanta, Jérusalem, Ramallah, Ouagadougou où Bruxelles, des questions universelles dont les réponses sont souvent judicieusement locales : peut-on rire de tout ? Des dessins provocateurs sont-ils contre-productifs ? À l’inverse, les cartoons consensuels participent-ils de l’hypnose programmée par le politiquement correct ? Un cartoonist qui participe à une conférence en pleine tentation gréviste est-il un "jaune" ou un contributeur pertinent aux débats ambiants ? Un dessin de presse doit-il être beau ? Peut-il être juste ? Est-il vraiment un produit journalistique ? Les dessinateurs sont-ils des enfants gâtés cyniques ou des fous du roi intouchables ? La culture bicentenaire de la caricature occidentale doit-elle s’imposer en modèle incontesté ?
Avis aux éventuels dessinateurs condescendants qui quémandent un visa pour aller titiller des Tunisiens qu’ils n’imaginent qu’otages de barbus : vous repartirez avec des leçons. Les vôtres et les leurs.
Tant pis pour l’omelette. Tant mieux pour la porcelaine.
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Par Damien Glez (à Tunis)
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