Tunisie : caricatures à la sauce africaine
Deux ans et demi après la chute de Zine el-Abidine Ben Ali, l’association “Cartooning for peace” rassemble des dessinateurs de presse dans une Tunisie qui teste encore sa liberté d’expression.
Au milieu des années 80, déjà, le scénariste de bande dessinée Claude Moliterni tentait un festival de dessins de presse à la Médina de Tunis. Il réunissait des dessinateurs de tout le Maghreb. À l’époque, pourtant, la liste des thèmes tolérés par la censure laissait peu de ressorts à l’inspiration : pas de sexe, pas de religion et pas de politique.
L’entourage du président tunisien traquait même les impudents “dessineux” à l’international. Après la saisie d’une édition de l’hebdomadaire français “Courrier international” qui avait reproduit une caricature burkinabè du tunisien “rhinoféroce”, plusieurs ministres du Faso reçurent des télécopies indignées du cabinet présidentiel, avec duplicata de la page incriminée.
Y aurait-il, dans cette Afrique qu’on appelle "blanche", un tabou lié à la représentation des puissants ? Au Maroc, en 2012, pour avoir copié-collé une caricature du roi Mohammed VI sur sa page Facebook, le jeune Walid Bahomane fera 18 mois de prison. En Algérie, le blogueur Abdelghani Aloui a toujours maille à partir avec la justice pour des photomontages partagées. En Libye, c’est de sa vie que le dessinateur Kaïs avait payé, en 2011, des caricatures griffonnées sur des murs…
Le dessinateur franco-tunisien Mykaïa se souvient de cette époque de censure pendant laquelle les thèmes autorisés se limitaient aux "situations de la vie courante", tout en ne "dépassant pas une certaine ligne". "La seule façon de jongler avec la censure était de faire appel parfois à un second degré", s’amuse-t-il.
Explosion de talents
Depuis, la révolution tunisienne a balayé la dictature. Mais les mésaventures judiciaires des rappeurs – même acquittés, comme Klay BBJ – laissent planer des doutes sur l’élasticité de la liberté d’expression. Tout de même, comme l’indique l’illustratrice du chat “Willis from Tunis”, Nadia Khiari, "le dessin de presse n’a pas été touché par des restrictions" et "depuis la révolution, il y a eu une explosion de talents". Le problème ? "Il n’y a pas assez de supports. (…) Les jeunes dessinateurs ont du mal à trouver leur place dans les quotidiens".
La plupart des cartoonists africains sont pris dans un étau entre des pressions politiques plus ou moins appuyées et le manque d’espaces d’expression suffisamment indépendants pour tenter la satire.
C’est la difficulté que rencontrent la plupart des cartoonists africains, du nord comme du sud. Ils sont pris dans un étau entre des pressions politiques plus ou moins appuyées et le manque d’espaces d’expression suffisamment indépendants pour tenter la satire. Alors on puise dans les supports alternatifs. En Tunisie comme ailleurs. Le matou satirique de Nadia Khiari s’est fait les griffes sur les murs de Tunis avant que la dessinatrice n’obtienne la consécration avec le prix Daumier 2012. L’anonyme cyberactiviste caricaturiste “–Z–” a investi le web par son blog debatunisie.com. Et c’est dans des publications étrangères comme Rue89 qu’on retrouve désormais les dessins de Mykaïa.
C’est l’association “Cartooning for peace”, créée par le dessinateur français Plantu sous l’impulsion de Kofi Annan, qui réunit à Tunis, ces 28 et 29 octobre, quelques cartoonists de Tunisie et d’ailleurs, avec le soutien de l’Institut français. Objectifs : faire réagir avec des croquis irrévérencieux sans asséner pour autant des leçons d’impertinence, confronter des artistes de sensibilités différentes, affronter les polémiques sans les escamoter par une surcharge de provocation. Un esprit voltairien qui a conduit le dessinateur du quotidien Le Monde à susciter des échanges avec deux dessinateurs de publications proches d’Ennahda.
Autour de Plantu, se retrouvent notamment les Tunisiens Lotfi Ben Sassi, Willis from Tunis, Nidhal Ghariani et Chedly Belkamsa, les Algériens Slim et Baki, Le Marocain Khalid Gueddar, le Libyen Nizar-Ali-Siala et le Belge Kroll. Les caricaturistes rencontrent les étudiants de l’Institut Supérieur des Beaux-arts de Tunis, ceux de l’Institut de la Presse et des Sciences de l’Information, mais aussi le public de la Foire Internationale du Livre. Moncef Marzouki et Mohamed Ghannouchi se laisseront-ils croquer sans broncher?
>> Retrouvez tous les dessins de Damien Glez ici.
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Par Damien Glez
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