Ces corps habillés qui vous déshabillent

Des images de vidéosurveillance ont récemment montré des agents des forces de sécurité kényanes en train de piller des boutiques pendant le siège du centre commercial Westgate. C’est un phénomène trop connu sur le continent : pillage, racket, extorsion… Les forces de l’ordre deviennent parfois les forces du désordre.

Un policier kényan a été inculpé pour le vol du portefeuille d’une victime blessée du Westgate. © Glez/J.A.

Un policier kényan a été inculpé pour le vol du portefeuille d’une victime blessée du Westgate. © Glez/J.A.

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Publié le 24 octobre 2013 Lecture : 3 minutes.

"Tout mouvement brusque entraîne le pillage". La leçon est enseignée dans toutes les bonnes écoles de sécurité publique. Mais s’agit-il de l’évocation d’un risque ou d’une invitation ? La question n’est pas une simple boutade…

Nairobi , le 21 septembre 2013. Des islamistes présumés d’Al-Shabab prennent d’assaut le centre commercial Westgate. Le siège durera quatre jours, 67 personnes seront retrouvées mortes, 240 seront blessées, 59 portées disparues. Un mois plus tard, la chaîne de télévision “Kenya CCTV” diffuse d’ahurissantes images de vidéosurveillance. Avant la fin du siège, alors même que la situation sécuritaire s’avère inextricable et que plusieurs membres des forces de sécurité perdent la vie, des soldats kényans en profitent pour faire des emplettes à moindres frais. La vidéo de 30 minutes les montre en train de piller le supermarché Nakumatt ou encore un magasin de téléphones portables. Le rouge des sols ensanglantés qu’ils enjambent tranche avec le blanc de leurs sacs en plastique.

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>> Lire : l’armée kényane accusée de pillages

La diffusion des images est intervenue deux jours après le rapport d’une enquête parlementaire qui concluait que l’armée n’avait commis aucun acte de pillage. Le décryptage de la vidéo est toujours en cours et il faudra du temps pour confirmer ou démentir les rumeurs comme celle qui évoque un vol de bijoux, à hauteur d’un million de dollars. S’il est tentant, lors des "mouvements brusques" de s’improviser pilleur, il est aussi tentant, lors d’un pillage, de s’inventer victime. Mais tout de même : un policier de Nairobi a été inculpé pour le vol du portefeuille d’une victime blessée pendant l’attaque du centre commercial ; la même victime que le sauveur pickpocket était en train d’aider…

Double visage

Pour l’heure, la priorité du ministre kényan de l’Intérieur, Joseph Ole Lenku, est de protéger les biens de valeur qui se trouvent toujours sur les lieux du drame bouclé pour les besoins de l’enquête.

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Combien de représentants des forces de l’ordre ont-ils un double visage ? Lors de l’incendie qui avait ravagé, cet été, l’aéroport international de Nairobi, plusieurs membres des forces de police avaient été interrogés sur des vols généralisés. Faut-il comprendre, sinon admettre, que les héros mal rémunérés sont bien obligés de “se payer sur la bête” ? Dans ce pays où la police est régulièrement citée comme la plus corrompue des institutions kényanes, cet argument spécieux a été ressassé à l’envi pour dédouaner lesdits corrompus en uniformes.

Mais que les Kenyans se rassurent, ils ne sont pas les seuls à être montrés du doigt.

Mais que les Kenyans se rassurent, ils ne sont pas les seuls à être montrés du doigt. Il y a quelques semaines, dans le Kasaï-Oriental, des policiers congolais, profitant d’un accrochage avec la population de Kingombe, auraient pillé des poules, des chèvres ou encore des vélos.

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Et que les policiers se rassurent, ils ne sont pas les seuls à être montrés du doigt. En 2012, à Libreville, sept manifestants étaient condamnés à 12 mois de prison pour le pillage d’une échoppe en marge d’une manifestation du parti dissous “Union nationale”. Dans ce genre de circonstances, les autorités ont beau jeu de dénoncer des vols, pour mieux étouffer l’impact médiatique des revendications sociales. Ce fut le cas à Khartoum, en septembre dernier, après des marches anti-gouvernementales. Quant les pillages ne font pas la fortune des corps habillés, ils offrent de parfaites diversions à ceux qui les commandent.

"Nés avant la honte"

Et que les Africains se rassurent, ils ne sont pas les seuls à être montrés du doigt. À Rio de Janeiro, il y a quelques mois, lorsque des manifestations dégénéraient en affrontements avec la police, le quartier le plus chic de la ville, Leblon, était dévalisé par des individus encapuchonnés. Trois ans plus tôt, à Lyon, en marge de manifestations lycéennes, des scènes de guérilla urbaine permettaient à des casseurs de s’approvisionner gratuitement dans quelques boutiques. Précédemment encore, en 2008, À Athènes, quand les partis de gauche battaient le pavé, des vandales lançaient de véritables raids contre des magasins qu’ils n’avaient pas les moyens de fréquenter.

Finalement, les racketteurs appartenant aux forces de l’ordre ou à des milices ont l’obligeance de marauder sans se masquer. Le racket, c’est un peu le pillage à visage humain. À moins que leurs auteurs ne soient simplement "nés avant la honte"…

>> Retrouvez tous les dessins de Damien Glez ici.

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Par Damien Glez

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