Kofi Yamgnane : « Sur le plan des idéologies politiques, l’Afrique n’a pas pris son indépendance »
Ancien ministre en France, sous François Mitterand, Kofi Yamgnane a vu sa candidature à la présidentielle 2010 au Togo invalidée. Mais il a décidé de se relancer dans l’aventure en 2015. Le Franco-Togolais profite de la sortie de son essai « Afrique, démocratie introuvable », jeudi, pour entrer en campagne. Il s’est confié à « Jeune Afrique ».
Élu à tous les niveaux de la représentation politique française, ancien membre du gouvernement sous François Mitterrand, le Franco-Togolais Kofi Yamgnane a commencé son parcours politique en France. Candidat écarté à la présidence togolaise, en 2010, il se lance une nouvelle fois dans la bataille pour l’élection présidentielle, prévue en 2015, et entre en campagne, jeudi 24 octobre, à l’occasion de la sortie d’un livre qui fait figure de projet de société pour le Togo et l’Afrique de demain : "Afrique, introuvable démocratie", aux éditions Dialogues (14€, 110 pages).
Jeune Afrique : Vous parlez de démocratie introuvable et non de démocratie "introuvée". Est-ce parce que vous considérez qu’il n’y a plus d’espoir pour l’Afrique ?
Kofi Yamgnane : Il y a de l’espoir bien sûr ! Mais voilà plus ou moins 50 ans que les pays africains sont indépendants et force est de constater que l’on ne va pas vers plus de liberté. En dehors de quelques exceptions, comme le Ghana, le Botswana ou le Sénégal, on a une Afrique qui n’a pas pris la direction de plus de démocratie. On organise des élections, on choisit des députés, il y a quelques journaux d’opposition qui sont tolérés, la justice est censée être objective et indépendante du pouvoir exécutif… Mais tout ça, c’est du pipeau !
La "démocratie", telle qu’on la voit aujourd’hui en Afrique, n’est-elle qu’une façade ?
La France est partie comme un voleur en mettant en place tout un système pour protéger ses intérêts.
Exactement. On cherche à montrer à l’Union européenne et à la France que tout va bien et, en réponse, ceux-ci continuent à verser de l’argent. En 2010, l’UE et la France ont versé au Togo 17 millions d’euros pour organiser les élections, somme destinée à fournir les tenues de la Force de sécurité de l’élection présidentielle (Foesp), entre autres. Résultat : dès que les observateurs internationaux sont partis, on a bien vu que tous les militaires, tous les gendarmes, tous les policiers étaient dans ces mêmes tenues ! Avec l’argent du contribuable européen ! Au Togo, le système est au service d’une famille, les Eyadema, et tous ceux qui tournent autour ont chacun leur part. Le port en eaux profondes de Lomé rapporte un argent fou, entre la douane, les frais de port, etc… mais 70% de l’argent ne sort même pas du port ! Seuls 30% sont censés aller dans les caisses de l’État mais n’y vont pas. Au Togo, le Trésor, c’est le président qui gouverne. Et il redistribue comme il en a envie.
Vous appelez à l’invention d’une démocratie à l’africaine. Qu’entendez-vous par là ?
Sur le plan des idéologies politiques, l’Afrique n’a pas pris son indépendance. L’État a tourné dans l’inertie jusque dans les années 70 et à partir de là, tout s’est effondré. On y était sans doute pas préparé. La France est partie comme un voleur mais en même temps elle a mis en place tout un système pour protéger ses intérêts. Exporter la démocratie occidentale ne peut pas fonctionner. L’Afrique doit inventer sa propre démocratie conformément à nos cultures et nos civilisations. C’est le bien-vivre ensemble qu’il faut rechercher. Tout le monde y pense, tous les autres continents, sauf l’Afrique. Les intellectuels africains ne remplissent pas ce rôle de guide.
Pensez-vous que l’Union africaine a un rôle de leader à jouer sur ce sujet ?
Bien sûr ! Sinon, à quoi sert-elle ? Elle doit aider les pays à avancer plus vite sur cette voie. Ce n’est pas la peine de créer une union si on n’a pas mis en place un certain nombre de critères pour faire avancer tout le monde à la suite des pionniers. C’est ce que fait l’Union européenne avec son élargissement.
Quel regard portez-vous sur des pays comme le Ghana, ou encore le Sénégal, qu’on cite régulièrement en exemple concernant la pratique démocratique en Afrique ?
Au Sénégal, il y a l’effet de la tradition avec Senghor, Diouf, Wade, qui ont tous trois laissé le pouvoir. Il y a un souffle. Quant au Ghana, cela a été très violent. Le capitaine Rawlings a fait un coup d’État et est parti de la dictature pour rentrer volontairement dans la démocratie en quittant le pouvoir et en organisant les élections de l’alternance. Je n’ai ni les moyens, ni la volonté, ni la capacité de faire de même au Togo mais je suis sûr qu’on peut y parvenir pacifiquement. Pendant longtemps, j’ai cru que les hommes ne pouvaient pas faire changer le destin d’un pays mais que c’était le peuple en mouvement qui en était capable. J’en suis revenu !
Vous comptez vous présenter à la présidentielle de 2015 au Togo. Ce livre est-il un programme politique ?
Je vais rentrer au Togo dans les semaines qui viennent, afin de rassembler, d’abord mes partisans.
Ce n’est pas un programme politique dans le sens où ce n’est pas suffisant pour guider un gouvernement. C’est un projet de société qui dégage des priorités. L’agriculture, la santé, l’éducation de masse, la lutte contre le chômage. Enfin, il y a un véritable travail de réconciliation. Depuis 1967, le pays est gouverné par une même famille. Il y a eu des abus, des crimes et donc des victimes. Il y a un travail de pardon à effectuer. C’est à partir de ce moment-là qu’on va pouvoir travailler ensemble à la reconstruction.
C’est une entrée en campagne ?
Oui. Je vais rentrer au Togo dans les semaines qui viennent, afin de rassembler, d’abord mes partisans, puis tous les Togolais qui sentent qu’il est temps pour le changement. Le pouvoir a tout intérêt à hâter cette alternance : puis il attendra, puis ce sera violent. Je dis à mes partisans : "pas de violence, pas de vengeance". Nous voulons une alternance dans la paix et la sécurité. Tout ce que le pouvoir actuel a volé, il l’a volé. Il ne faut pas se lancer dans une chasse aux sorcières. Il ne faut pas oublier mais il faut pardonner, comme le disait Nelson Mandela. Je veux aider le peuple togolais vis-à-vis duquel je me sens en dette, afin que, demain, mon épitaphe soit "J’ai fait ce que j’ai pu".
Il ne faut pas oublier mais il faut pardonner, comme le disait Nelson Mandela.
Pensez-vous que le pouvoir actuel vous laissera faire campagne, contrairement à la dernière présidentielle ?
Je n’en sais rien. Même si ce n’était pas le cas, il faudra bien qu’il trouve une nouvelle excuse. Il ne va pas pouvoir réutiliser cette histoire de confusion de dates de naissance, inventée de toute pièce la dernière fois. Le monde entier aura les yeux rivés sur eux. Un jour, leur pouvoir tombera. Et plus vite cela arrivera, mieux cela sera.
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Propos recueillis par Mathieu OLIVIER
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