Francophonies en Limousin : Haïti, s’affranchir d’un regard biaisé

Haïti, la première République noire de l’Histoire est toujours considérée comme une anomalie permanente par le monde extérieur. Invités au festival Les Francophonies en Limousin, ses écrivains et artistes en ont témoigné.

Yanick Lahens : »J’écris avec la conviction que je suis adossée à une culture forte ». © Gattoni/Leemage/AFP

Yanick Lahens : »J’écris avec la conviction que je suis adossée à une culture forte ». © Gattoni/Leemage/AFP

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Publié le 4 octobre 2013 Lecture : 3 minutes.

"Quand j’ai parlé à des éditeurs étrangers du manuscrit de mon dernier livre, Guillaume et Nathalie, ils étaient surpris d’apprendre que c’est une histoire d’amour entre un homme et une femme. Ils ne s’imaginaient pas que l’amour existe à Haïti. Encore moins des architectes comme le héros de l’histoire !" Yanick Lahens, romancière haïtienne, a apporté ce témoignage, le 2 octobre, lors d’un débat consacré à Haïti et ses artistes, dans le cadre de la trentième édition du festival "Les Francophonies en Limousin", à Limoges (Centre de la France).

Son compatriote Guy Régis Junior, écrivain et responsable pédagogique pour les arts de la scène à l’Institut national des Arts de Port-au-Prince, ne cache pas, lui non plus, son agacement : "On ne me pose jamais de questions techniques sur mon travail d’auteur. Les questions portent systématiquement sur la dictature, le séisme de 2010, les droits de l’homme…Comme si les écrivains haïtiens étaient des spécialistes de tout cela."

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>> Lire l’interview de Lionel Trouillot : "Concernant haïti, on écoute plus les Occidentaux que les Haïtiens eux-mêmes"

Vu de l’extérieur, Haïti n’est rien d’autre qu’un chapelet de misères, une succession de malheurs. Pour beaucoup d’observateurs étrangers, rien n’a jamais marché dans ce pays depuis son indépendance en 1804. Pire, on s’étonne que cette pauvre île soit une terre d’écrivains, de peintres, de chanteurs, de danseurs. Et on va jusqu’à chercher à savoir pour qui ils créent. Yanick Lahens est exaspérée. "Pour moi, l’insularité n’a rien à voir avec la création. J’écris avec la conviction que je suis adossée à une culture forte, celle de mon peuple. Je n’ai pas l’impression d’écrire à partir d’une périphérie pour un centre qui se trouverait ailleurs. Haïti c’est mon centre. Je ne me situe ni dans une vision cauchemardesque ni dans l’angélisme façon carte postale. Et je ne suis la messagère de personne chargée d’écrire pour un public donné. Je rends simplement compte d’une expérience de la condition humaine, comme partout", explique-t-elle.

Préjugés

Haïti serait-il un pays figé, prisonnier de la mer, et dont le désespoir est la seule réalité ? Comme beaucoup d’autres pays à travers le monde, le pays de Toussaint Louverture est victime de préjugés de la part de ceux qui ne connaissent qu’un petit bout de son histoire – celui qui les conforte dans leurs convictions nombrilistes – tout en faisant l’impasse sur tout le reste. Haïti ce n’est pas seulement la longue dictature des Duvalier, père et fils. Ou la fracture sociale historique basée sur le préjugé de la couleur, qui plaçait les mulâtres, membres de la bourgeoisie,  au sommet de l’échelle pendant que le reste de la population était marginalisée.

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Les Haïtiens, malgré l’adversité, qui n’est pas une fatalité, se sont toujours relevés. Aujourd’hui, il est vrai, la situation est difficile pour diverses raisons, dont l’une est le séisme de 2010, qui a détruit un bon nombre d’infrastructures et tué plus de deux cent cinquante mille personnes. Mais les créateurs sont toujours aussi féconds. Face à la cherté du livre, dont le prix est inabordable pour une large majorité de la population, les écrivains ont trouvé une solution : obtenir de leurs éditeurs étrangers des tirages réalisés à Haïti même. Cela coûte moins cher et permet à la jeunesse, très avide de lecture, d’y trouver son compte.

Dans le domaine du théâtre, le manque d’espaces appropriés a poussé les uns et les autres à trouver des solutions, notamment la promotion de spectacles de rue. En même temps, de plus en plus de jeunes Haïtiens, comme pour montrer que leur pays bouge, se mettent à l’étude de l’anglais et de l’espagnol. Tout compte fait, écrivains, dramaturges et autres artistes ont adopté une attitude commune : se défaire du regard réducteur de l’autre et avancer.

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Tshitenge Lubabu M.K., envoyé spécial à Limoges     

 

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