La mort d’un mot en République centrafricaine

Lewis Mudge est chercheur sur la Centrafrique pour Human Rights Watch.

Publié le 26 septembre 2013 Lecture : 4 minutes.

Jusqu’à sa dissolution il y a une dizaine de jours, la coalition qui avait renversé le gouvernement de la République centrafricaine (RCA) au mois de mars avait un nom de bon augure : "Séléka", qui signifie "alliance" en Sango, la langue principale du pays. Mais les actes des nouvelles autorités rebelles ont été tout sauf bienveillants.

Lors de mon séjour en RCA, entre avril et juin, je me suis entretenu avec bon nombre de victimes de la domination de la Séléka, qui a été marquée par l’accélération des meurtres arbitraires de civils, y compris de femmes, d’enfants et de personnes âgées. Le nouveau rapport de Human Rights Watch, intitulé "Je peux encore sentir l’odeur des morts : La crise oubliée des droits humains en République centrafricaine" enquête sur ces massacres perpétrés entre mars et juin dans la capitale, Bangui, et les provinces, et confirme la destruction délibérée de plus de 1 000 habitations.

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Dans les villages en-dehors de Bangui, les habitants ont fui leurs foyers et vivent dans la brousse par crainte de nouvelles attaques. Un grand nombre de personnes meurent de blessures, de faim et de maladie. Dans des villages incendiés ou abandonnés, j’ai rencontré des habitants traumatisés qui me suppliaient de leur apporter de l’aide et de l’assistance.

La structure administrative civile de la RCA s’est effondrée. Dans la plupart des provinces, il n’y a plus de police ni de tribunaux. Les documents officiels ont été détruits, et les Centrafricains considèrent que la mémoire de la nation a été effacée.

Du point de vue humanitaire, on est au bord du désastre. Le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays et de réfugiés dans les pays avoisinants ne cesse de croître. Les travailleurs humanitaires, qui tentent de répondre aux besoins les plus basiques de la population, sont eux-mêmes pris pour cible. Le 7 septembre, deux employés de l’organisation non gouvernementale française Acted (Agence d’aide à la coopération technique et au développement) ont été tués. Selon les médias, des combattants de la Séléka seraient impliqués.

Au cours de l’année, lorsque je me suis entretenu avec des Centrafricains las de la guerre, plus d’un m’a confié que le Séléka avait non seulement fait entrer le chaos dans leur vie et tué des gens, mais que la coalition avait aussi tué un mot – "séléka" – qui était auparavant associé à la solidarité et à la compassion en temps difficiles.

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Traditionnellement, lors des mariages, le terme "séléka" était utilisé dans tout le pays pour décrire l’alliance d’une femme et d’un homme ; des plaques sur lesquelles était inscrit ce mot étaient souvent présentées en tant que cadeaux aux jeunes mariés. "Séléka" était synonyme de solidarité en temps de crise. Même avant le coup d’État, la RCA devait faire face à des taux de mortalité, de maladie et d’insécurité alimentaire parmi les plus élevés au monde.

On ne prononcera plus ce mot dans notre église que pour se souvenir de cette période sombre

Mais à présent, plus personne en RCA ne pourra utiliser ce mot sans songer à la signification qu’il a prise au cours des derniers mois. À Dekoa, une ville au nord de Bangui, quatre personnes ont été tuées et plus de 230 habitations ont été détruites par la Séléka en février, m’a raconté un pasteur épuisé. "Comment pourrais-je, en tant que pasteur bénissant un mariage, prononcer ce mot dans la maison de Dieu ? À partir de maintenant, "séléka" sera associé à ces meurtres. On ne prononcera plus ce mot dans notre église que pour se souvenir de cette période sombre".

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D’une certaine façon, la partie la plus facile est de redonner au mot son sens prometteur initial. Le plus difficile, c’est de savoir comment faire pour venir en aide à ces populations. Bien que la prise de contrôle sanglante par la Séléka n’est aux yeux de beaucoup qu’un triste chapitre de plus dans l’histoire tumultueuse de la RCA, la France, entre autres pays, peut apporter une aide plus que nécessaire.

La France dispose d’environ 250 soldats en RCA depuis 2008, date à laquelle le pays a commencé à fournir un support logistique à la mission régionale de maintien de la paix d’alors. Depuis le coup d’État du mois de mars, la France a d’abord envoyé deux contingents supplémentaires en provenance du Gabon afin de protéger les intérêts français ; ces effectifs ont depuis été réduits. Néanmoins, j’ai remarqué que par leur simple présence, ces soldats décourageaient les exactions de la Séléka, car les combattants de la coalition s’en prennent aux personnes faibles et non armées.

Le Président François Hollande a récemment mis l’accent sur la RCA, ancienne colonie française et pays peu connu hors de l’Afrique. Il a appelé les nations africaines voisines à s’engager davantage pour renforcer la protection des civils. La France devrait aussi apporter un soutien logistique et financier plus important aux forces de l’Union Africaine et à la mission de l’ONU. Par l’intermédiaire de son siège au Conseil de sécurité des Nations unies, la France devrait insister sur le besoin de mettre en place des sanctions ciblées visant les responsables de violations des droits humains, y compris les dirigeants de la Séléka.

En tant que membre d’une réelle coalition et d’une véritable alliance, la France peut contribuer à mettre un terme aux meurtres et aux pillages à l’encontre de populations parmi les plus vulnérables au monde.

 

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