Les déchets municipaux, une ressource potentielle

Alexandra Le Courtois* est spécialiste des questions urbaines à la Banque mondiale (1). Cet article est d’abord paru dans la revue Secteur Privé & Développement, éditée par Proparco.

Alexandra Le Courtois, spécialiste des questions urbaines à la Banque mondiale

Alexandra Le Courtois, spécialiste des questions urbaines à la Banque mondiale

Publié le 6 septembre 2013 Lecture : 10 minutes.

Retrouvez cette tribune sur le site de Proparco. La production mondiale de déchets solides municipaux doublera au cours des quinze prochaines années. Dans les pays en développement, la gestion des déchets pose des défis inédits mais, elle offre aussi des opportunités nouvelles. Elle n’est pas un simple service public, elle représente également un gisement d’activités et des opportunités d’investissement pour le secteur privé. Le marché est évalué à 390 milliards de dollars pour l’ensemble des pays émergents et de l’OCDE.

Le marché des déchets solides ne constitue pas simplement un service public, il représente également un important secteur économique, d’une valeur de 390 milliards de dollars pour l’ensemble des pays de l’OCDE et des grandes économies émergentes (Chalmin, P., Gaillochet, C. 2009). Il fournit à lui seul près de 5 % des emplois urbains dans les pays à faible revenu. Dans les pays en développement, la production de déchets ne cesse de croître avec l’urbanisation et le développement économique. Les déchets solides municipaux, qui recouvrent les déchets produits par les ménages, les bureaux et les activités commerciales, représentent environ la moitié de la production mondiale de déchets. Leur gestion, aujourd’hui déficiente dans les pays en développement, représente un défi de taille pour les années à venir. Mais le secteur offre également de grandes opportunités pour le secteur privé.

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Dans les pays en développement, la production journalière de déchets est comprise entre 0,4 et 1,1 kg par habitant.

Un défi pour le Sud

Les déchets solides municipaux génèrent des externalités négatives considérables. Non collectés, ils sont des milieux propices au développement et à la propagation de maladies. De mauvaises pratiques sanitaires, lors de leur mise en décharge, sont aussi à l’origine de lixiviats (2) risquant de s’écouler dans l’environnement et de contaminer les eaux de surface et les nappes phréatiques. Les déchets solides municipaux représentent par ailleurs près de 5 % du total des émissions anthropiques de gaz à effet de serre (Hoornweg, D., Bhada-Tata, P., 2012). Le brûlage à l’air libre dans les décharges libère des particules (de suie, par exemple) et des polluants organiques persistants, qui s’accumulent dans la chaîne alimentaire. Enfin, les déchets solides non collectés qui obstruent les canalisations constituent pour les villes un facteur important d’inondations. La bonne gestion des déchets devient ainsi un sujet de préoccupation quotidienne des collectivités locales.

La production mondiale de déchets solides municipaux a pratiquement doublé au cours des dix dernières années. Elle devrait doubler dans les quinze prochaines années, pour passer de 1,3 milliard en 2010 à 2,2 milliards de tonnes par an en 2025 (Hoornweg, D., Bhada-Tata, P., 2012). Ce sont principalement les pays en développement qui contribuent à cette augmentation, sous l’effet conjugué de la forte croissance urbaine et du développement économique. Dans les pays en développement, la production journalière de déchets est comprise entre 0,4 et 1,1 kg par habitant, et peut atteindre dans certains quartiers 2,4 kg par habitant voire plus dans les zones touristiques ; les valeurs sont beaucoup plus faibles dans les quartiers les plus pauvres (Chalmin, P., Gaillochet, C. 2009) (3).

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Si la qualité du service progresse dans les pays en développement, les autorités locales offrent rarement une couverture universelle de service et des conditions sanitaires d’élimination des déchets satisfaisantes. La priorité des autorités locales porte généralement plus sur la collecte que sur le traitement, un choix guidé à la fois par la volonté d’offrir aux habitants un cadre de vie salubre et sûr, mais aussi par des considérations électoralistes. Le taux de couverture de la collecte s’élève en moyenne à 41 % dans les pays à faible revenu et à 85 % dans les pays de revenu moyen à élevé. Mais il peut descendre jusqu’à 10 % à Parakou, au Bénin, comme atteindre 100 %, dans de nombreuses grandes villes chiliennes (Hoornweg, D., Bhada-Tata, P., 2012). La collecte varie également en fonction du type de déchets et de la localisation des sites. Le taux de collecte est relativement élevé pour les sites industriels, commerciaux et tertiaires, les coûts étant plus faibles et l’encaissement plus facile à obtenir. À l’inverse, les ordures ménagères sont plus dispersées, ce qui induit des longueurs de parcours et des temps de collecte supérieurs pour la même quantité de déchets collectés. Les centres-villes, où se concentrent généralement les entreprises et les hôtels, bénéficient quant à eux habituellement de systèmes de collecte réguliers et de haute qualité.

L’émergence des préoccupations écologiques dans les pays en développement est récente ; les décharges à ciel ouvert demeurent le moyen de traitement prédominant. C’est par exemple le cas en Amérique latine et dans les Caraïbes pour environ 60 % des déchets (Hoornweg, D., Giannelli, N. 2007). Néanmoins, le nombre de décharges contrôlées progresse et certaines disposent désormais d’équipements répondant parfaitement aux normes internationales. L’incinération demeure limitée en raison de son coût élevé et des exigences d’exploitation rigoureuses qu’elle suppose.

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Les prix des matières premières secondaires ont été multipliés par cinq en 2007-2008.

Une participation croissante du privé

Les pays en développement dépensent chaque année environ 46 milliards de dollars pour la gestion de leurs déchets solides municipaux ; 40 milliards de dollars supplémentaires seraient nécessaires pour pallier les insuffisances du service. Selon les prévisions, les besoins de financement pourraient dépasser d’ici à 2025 les 150 milliards de dollars annuels (Hoornweg, D., Bhada-Tata, P., 2012). La gestion des déchets peut représenter jusqu’à la moitié du budget d’une municipalité dans bon nombre de pays à faible revenu. Les autorités locales doivent donc à la fois améliorer les performances du service et accéder à d’autres sources de financement. Dans certains pays à revenu moyen, les pouvoirs publics établissent – comme dans les pays développés – des schémas de financement permettant d’intégrer le coût des externalités des déchets, soit au moyen d’une taxe grevant directement le producteur du déchet, soit au moyen d’une taxe appliquée au produit. Dans les pays à faible revenu, la redevance des ménages demeure largement inexploitée, avec un faible niveau de recouvrement. Très souvent, ce n’est pas tant le consentement à payer qui fait défaut que des prix jugés inacceptables au regard de la faible qualité du service offert.

L’implication du secteur privé peut avoir de nombreux effets bénéfiques sur la gestion des déchets solides municipaux. Elle permet, d’une part, d’alléger la charge financière pesant sur le budget municipal et, d’autre part, de remédier à l’important sous-financement du service. Elle peut par ailleurs contribuer au développement d’un service de qualité à bas prix, le secteur privé étant certainement plus enclin à limiter les pertes financières et à améliorer l’efficacité et le coût du service (Kessides, I.N. 2004). De fait, la gestion publique laisse peu à peu la place à une gestion privée – tout particulièrement dans la collecte des déchets. Quelques expériences réussies existent aussi dans le domaine de l’exploitation de décharges contrôlées et du recyclage, laissant entrevoir un important potentiel. Dans ce contexte, les collectivités locales s’écartent de plus en plus de l’exploitation en régie et se concentrent sur la gestion du service. L’enjeu est désormais de les doter des capacités nécessaires pour préparer et négocier les contrats, et d’en contrôler l’exécution.

De nouvelles opportunités économiques

L’utilisation des déchets comme ressources – à travers la production d’énergie, le recyclage et le réemploi – pourrait être une solution pour limiter l’impact de l’homme sur la planète. L’accès des produits issus des déchets aux marchés internationaux des matières premières secondaires (telles que les ferrailles, les papiers ou les fibres de cellulose) et aux marchés locaux du compost, par exemple, en est une condition. Le monde produit chaque année quatre milliards de tonnes de déchets, tous types confondus, dont un quart seulement échappe actuellement à tout traitement. Même avec une forte présence de produits valorisables dans les déchets solides municipaux – cartons, plastiques, verre, métaux, qui représentent jusqu’à 50 % des volumes dans les pays développés -, les chaînes de recyclage et de valorisation des déchets n’ont guère été rentables du fait du faible prix, sur le marché mondial, des matières recyclées. Si les prix des matières premières secondaires ont été multipliés par cinq en 2007-2008, comparativement à la période 2002-2003, ils ont à nouveau chuté après la crise financière de 2008, attestant d’une forte volatilité et remettant en cause la viabilité du secteur. Tout récemment, le marché a connu à nouveau une tendance haussière des prix des matières premières primaires et secondaires, qui pourrait, cette fois-ci, prouver le potentiel du secteur dans un monde profondément consumériste (Kelly, T., Matos, G. 2011) (4).

La gestion des déchets peut représenter jusqu’à la moitié du budget d’une municipalité.

Le secteur du recyclage ne bénéficie pas de politiques incitatives dans les pays en développement. La plupart du temps, il relève du secteur informel, ce qui explique que les données sont peu nombreuses. Il est donc impossible d’estimer correctement le pourcentage réel de valorisation des déchets. Les valeurs habituellement affichées par les États sont faibles, à l’exception de la Corée du Sud, qui annonce un taux de recyclage de ses déchets solides municipaux de 49,2 % (Chalmin, P., Gaillochet, C. 2009). Dans l’ensemble, les déchets de valeur, tels que le verre et les ferrailles, n’entrent pas dans le circuit formel ; dans les faits, un certain degré de recyclage existe probablement. Néanmoins, compte tenu des importantes quantités de déchets mises en décharge, il existe un évident potentiel de valorisation encore inexploité.

Le compostage, par exemple, est une pratique prometteuse. Le taux de matière organique des déchets solides municipaux est particulièrement élevé dans les pays en développement (50 à 80 %, principalement sous forme de déchets alimentaires), tout comme leur taux d’humidité (Hoornweg, D., Bhada-Tata, P., 2012). La vente du compost génère des revenus tout en contribuant à la réduction des coûts de gestion des déchets. Si le compostage est effectué au sein de la communauté où les déchets sont produits, leur transport est évité ainsi que les coûts fonciers associés à la mise en décharge. Pourtant, en dehors de quelques réussites, les nombreux échecs observés montrent la fragilité de la filière et le besoin d’une intervention publique pour renforcer le cadre réglementaire et impliquer le secteur agricole. Comment les pays en développement peuvent-ils progresser et passer d’un secteur informel à une approche plus intégrée et plus systématique de la valorisation des déchets ? L’expérience des pays développés montre que le rôle des pouvoirs publics est capital pour créer un environnement favorable et soutenir la viabilité de la filière. Trois grands types de mesures peuvent être mis en œuvre : des politiques urbaines peuvent encourager les municipalités au recyclage. Des politiques économiques peuvent favoriser le recours au recyclage et l’utilisation de matériaux et produits recyclés. Enfin, dans la mesure où le tri peut représenter jusqu’à 50 % du coût total de gestion, des mesures incitatives pourraient encourager le tri des déchets à la source et permettraient de réduire le coût du recyclage.

Typologie des déchets

On distingue généralement cinq grandes catégories de déchets solides : les déchets solides municipaux ; les déchets industriels ; les déchets de construction, de démolition et miniers ; les déchets agricoles ; les déchets dangereux, qui sont produits par tous les producteurs de déchets ci-dessus, et qui comprennent normalement aussi les déchets médicaux. Les déchets solides municipaux, qui représentent près de la moitié de la production mondiale de déchets, proviennent du secteur résidentiel, du secteur commercial et du secteur tertiaire. Ils sont principalement composés de déchets alimentaires, papier, textiles, déchets verts, bois, caoutchouc, plastiques, métaux et verre.

Chaque catégorie de déchets possède habituellement son circuit spécifique. Les collectivités locales sont responsables de la collecte et du traitement des déchets solides municipaux, même si certaines grandes entreprises doivent organiser leur propre collecte. Les producteurs de déchets spéciaux sont habituellement tenus par la loi de gérer leurs propres déchets. En fait, ils en réutilisent une grande partie en interne, qui échappe donc au circuit ; certains gros producteurs de déchets ont également leurs propres décharges. Les déchets dangereux exigent une collecte et un traitement spécifiques afin de garantir la sécurité des opérations tout au long du processus de gestion et de contrôle.

(1) Avertissement : Le présent article constitue une contribution personnelle de l’auteur. Les positions exprimées ne reflètent pas nécessairement le point de vue de la Banque mondiale, de ses administrateurs ou des gouvernements qu’ils représentent.

(2) Le lixiviat fait référence aux liquides issus des décharges contenant des contaminants dissous et en suspension. Il résulte de l’infiltration des eaux de pluie dans la décharge et de l’humidité des déchets.

(3) Dans les pays développés, la production journalière s’établit en moyenne autour de 1,4 kg par habitant (allant jusqu’à 2 kg par habita nt aux États-Unis). De légères différences peuvent exister dans les chiffres selon les sources.

(4) Aux Etats-Unis, par exemple, selon l’US Geological Survey (USGS), le prix du cuivre a été multiplié par 4,3 entre 2002 et 2007, passant au cours de cette période de 1 670 dollars/tonne à 7 230 dollars/tonne.

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* Alexandra Le Courtois est spécialiste des questions urbaines à la Banque mondiale. Elle dispose de dix années d’expérience auprès des collectivités locales en France et dans les pays en développement. Son expertise couvre une large gamme de sujets tels que la requalification urbaine, le logement, l’aménagement du territoire et les services municipaux. Ingénieur spécialisée en génie civil, elle est également titulaire d’une maîtrise en politiques urbaines.

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