Théâtre : Robert Mugabe, une tragédie qui se joue aussi à New York

À la tête du Zimbabwe depuis 33 ans, et un peu plus d’un mois après sa éniéme réélection, Robert Mugabe est le sujet d’une pièce de théâtre à New-York.

Robert Mugabe, président du Zimbabwe © AFP

Robert Mugabe, président du Zimbabwe © AFP

Publié le 16 septembre 2013 Lecture : 3 minutes.

Robert Mugabe, ancien dirigeant du Zimbabwe. © Tsvangirayi Mukwazhi/AP/SIPA
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Robert Mugabe, l’ancien guérillero anticolonialiste qui avait fait du Zimbabwe son royaume

Le militant déterminé qui a façonné le Zimbabwe sur les cendres de la Rhodésie du Sud, sœur jumelle du pays de l’apartheid, s’est éteint le 6 septembre à l’âge de 95 ans. Si son règne de presque quatre décennies, interrompu en novembre 2017 par un putsch conduit par ses anciens compagnons d’armes, s’est achevé dans un autocratisme pétrifié, Robert Mugabe fut aussi un héros panafricain, aujourd’hui célébré sur le continent. Jeune Afrique a rouvert ses archives pour éclairer le parcours de « Comrade Bob ».

Sommaire

Robert Mugabe, 89 ans, a passé 33 ans à la tête du Zimbabwe. Après avoir conduit son pays à l’indépendance, il a aussi aidé, par son intransigeance, à le mener aux portes de la ruine. Mais dans la pièce du dramaturge britannique Fraser Grace, Breakfast with Mugabe (« Petit-déjeuner avec Mugabe »), qui se joue au Pershing Square Signature Centre, à New York, l’autocrate zimbabwéen est avant tout dépeint comme un patient dépressif.

La source d’inspiration de Grace est un article de Times of London, à l’époque de l’élection violente et controversée de 2002, gagnée d’une courte tête par Mugabe. L’article disait que ce dernier était reclus dans son palais présidentiel, hanté par l’esprit maléfique d’un camarade mort, et qu’il avait fait venir un psychiatre pour l’aider.

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Vrai ou faux, l’article a donné naissance à cette pièce où le président fait appel à la psychologie occidentale pour le guérir d’un mauvais esprit – un ngoyi – issu de la mythologie shona. « À chaque fois que Mugabe était dans les journaux, il était décrit comme un monstre. Et mon point de départ était que l’on ne naît pas monstre, on le devient, explique Fraser Grace. Il n’y a aucun doute que certains traits de son comportement sont monstrueux. Mais il est intéressant de voir qu’il a connu bien des expériences de Nelson Mandela : la lutte pour l’émancipation noire, la prison… Ils ont tous deux souffert de terribles humiliations et l’oppression sous la colonisation. »

Démons

Dans la pièce, les séances avec le psychiatre invoquent les démons qui tourmentent probablement Mugabe : sa trahison envers sa première femme, l’abandon par son père dans son enfance, la mort de son propre fils durant sa détention par le régime colonial, et le refus de Ian Smith, leader de la minorité blanche de l’époque, de le laisser assister aux funérailles.

Breakfast with Mugabe ne présente que quatre personnages : Mugabe et sa femme Grace, Gabriel, son garde du corps et Andrew Peric, le psychiatre blanc zimbabwéen employé par le président. Peric, joué par l’acteur Ezra Barnes, fait d’abord la rencontre de Grace Mugabe, secrétaire devenue épouse du président après la mort de la précédente. Connue pour ses goûts de luxe et ses frasques qui ont contribué à mettre le couple présidentiel au ban de la communauté occidentale, elle est surnommée par ses détracteurs « First shopper » (« première acheteuse ») ou « Disgrace ».

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Pureté

Jouée par Rosalyn Coleman, tour à tour amicale et menaçante, la première dame provoque Peric alors qu’il attend Mugabe. Il lui assure que ses intentions sont « pures ». C’est alors qu’elle lui répond : « Et que pensez-vous qu’il y ait donc au Zimbabwe qui soit pur? », avant d’ajouter : « Faites ce que l’on vous dit, ou vous ne traiterez pas longtemps votre patient. »

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Mugabe, campé par Michael Rogers, a certes demandé l’aide de Peric, mais il supporte difficilement de se voir vulnérable face à un Blanc. Leurs relations sont donc électriques. Alors que le psychiatre questionne Mugabe sur le fantôme qui le poursuit, celui-ci s’adonne à son habituelle hargne, attaquant Peric sur ses ancêtres blancs, qui auraient volé aux Africains leurs terres et leurs voix.

Peric, qui a une bonne connaissance de la culture shona, et qui est décrit par Ezra Barnes comme « postracial », lui rétorque que, comme nombre de ces Blancs dont les ancêtres européens sont venus s’installer sur le continent, il se considère comme africain. Malheureusement pour le psychiatre et sa famille, sa rencontre avec Mugabe aura de terribles conséquences.

Pouvoir et déchéance

Louée par la critique pour sa dimension shakespearienne, la pièce explore la nature tragique du pouvoir : le perdre peut parfois être synonyme de déchéance. « J’ai peur du futur », confie la première dame. « Robert et moi avons séjourné chez ces gens en Roumanie, les Ceausescu… Regardez ce qui leur est arrivé », dit-elle faisant référence au dictateur de sinistre réputation, exécuté en 1990 avec sa femme, dont l’arrogance n’était pas sans évoquer celle de Grace.

La pièce a été produite pour la première fois dans un théâtre londonien en 2005. Elle se joue maintenant à New York jusqu’au 6 octobre, une dizaine d’années après sa conception. « De bien des façons les choses sont allées à rebours [au Zimbabwe] », estime Fraser Grace.

(Avec AFP)

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