Investiture d’IBK : le jour du sacre est arrivé
Le nouveau président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, a prêté serment mercredi en présence de l’ancien président Moussa Traoré et des principaux candidats du premier tour. Une heure plus tôt, au Palais de Koulouba, s’était déroulée la cérémonie de passation de pouvoirs entre le président de transition, Dioncounda Traoré, et son successeur.
Depuis ce matin, le Mali a retrouvé un président élu. Le dernier en date, Amadou Toumani Touré, avait été contraint à la démission en avril 2012 suite au putsch commis un mois plus tôt par des militaires emmenés par le capitaine Amadou Haya Sanogo. Après la cérémonie de passation de pouvoirs, qui s’est déroulée au Palais de Koulouba, le président par intérim Dioncounda Traoré, qui aura assumé la délicate transition ouverte au printemps 2012, regagnait sous escorte réduite sa résidence privée, tandis qu’Ibrahim Boubacar Keïta se rendait au Centre international de conférence de Bamako (CICB) pour y prêter serment devant la Cour suprême.
>> À lire : "Dossier : qui est vraiment IBK ?"
Sur place, tout ce que la capitale malienne compte de VIP l’avait précédé dans ce palais des congrès d’un millier de places, archi-comble pour l’occasion. Représentants des corps constitués, de l’armée et des forces de sécurité, des congrégations religieuses, de la société civile, des institutions internationales ou des chancelleries étrangères au Mali se côtoyaient en ce jour particulier censé marquer le réveil du Mali au terme – comme le dira IBK dans son discours d’investiture – d’"une longue nuit noire peuplée des pires cauchemars".
Les symboles et les grands absents
De cette cérémonie relativement convenue ont tout de même émergé quelques symboles intéressants. D’abord, la présence en bonne place des principaux challengers d’IBK au premier tour, dont Soumaïla Cissé, qui a dû s’incliner au second tour face au raz-de-marée électoral (77,62 % des suffrages) qui a porté au pouvoir l’ancien premier ministre malien (1994 à 2000). Une illustration du fameux "consensus à la malienne", dans ce pays sans véritable opposition, aux clivages idéologiques introuvables, où les principaux ténors ont fait leurs armes au sein du même parti (l’Adema-Pasj) et où la transhumance perpétuelle brouille la carte des engagements partisans.
La présence de l’ancien président Moussa Traoré, assis à la place d’honneur au côté du Premier ministre de transition, Diango Cissoko et du président de l’Assemblée nationale, Younoussi Touré, pouvait également surprendre. Car dans le programme officiel de la cérémonie, au chapitre du "profil d’Ibrahim Boubacar Keïta", on pouvait lire ceci : "Dès 1986, IBK participe dans la clandestinité au mouvement démocratique malien à l’origine de la révolution de 1991, qui met fin à 23 ans de dictature". Ce mercredi 4 septembre, l’ancien dictateur était honoré par le nouveau chef de l’État, qui débuta son allocution en saluant "le grand républicain" assis au premier rang, à quelques mètres de lui.
À l’inverse, trois grands absents manquaient à cet aréopage. Les anciens présidents Alpha Oumar Konaré (AOK) et Amadou Toumani Touré (ATT), qui se sont succédé à la tête du Mali entre 1992 et 2012, et le désormais général de corps d’armée Amadou Haya Sanogo, ancien chef du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDRE). Si le Mali semble avoir tourné la page de la dictature (comme en ont témoigné les applaudissements nourris adressés par la salle à Moussa Traoré), le bilan des deux décennies AOK-ATT, dont le bilan catastrophique en termes de gouvernance a conduit une partie de l’armée, en mars 2012, à prendre les armes contre le pouvoir civil, reste manifestement un sujet sensible.
Nul n’est et ne sera au-dessus de la loi (…)
Hommage au "grand frère"
La cérémonie s’est déroulée dans une ambiance bon enfant, entrecoupée par les louanges, lancées depuis la salle par la chanteuse Bako Dagnon, une djéli (griotte) du Manden chère à IBK. Venue célébrer, drapée dans une robe à l’effigie de son mentor, le digne descendant de Soundiata Keïta, fondateur de l’empire du Mali, elle venait rappeler l’histoire millénaire de la République du Mali, demeurée un pays mosaïque dont les frontières s’étendaient autrefois de l’Atlantique à la boucle du Niger et du Sahara à la forêt équatoriale. "Je suis contente qu’un Keïta soit élu, explique-t-elle à Jeune Afrique. C’est une grande famille, ce sont des gens honnêtes, épris de justice, qui disent la vérité. "
Le discours d’investiture d’IBK a commencé par un hommage appuyé à son "grand frère", Dioncounda Traoré. Exprimant ensuite sa gratitude à la Cedeao, au président de la République française (évoquant avec lyrisme "les Rafales de François Hollande fendant le ciel depuis leur base de Saint-Dizier" pour venir défaire les djihadistes), aux forces armées tchadiennes ou encore à son rival Soumaïla Cissé, venu reconnaître sa défaite à son domicile privé au lendemain du deuxième tour, le nouveau président, visiblement ému, a réaffirmé les engagements que chacun à Bamako s’accorde à considérer comme une incontournable feuille de route : "restaurer l’autorité de l’État" ; "lutter sans répit contre la corruption" ; "veiller à la bonne gestion des deniers publics". "Nul n’est et ne sera au-dessus de la loi, martèle IBK. Je mettrai fin à l’impunité, aux passe-droits. Nul ne pourra s’enrichir de manière illicite sur le dos du peuple malien."
Plus inattendues, les réquisitions du procureur général de la Cour suprême, quelques minutes plus tôt, faisaient figure de véritable discours politique. Enjoignant le nouveau capitaine du "bateau Mali" de mettre un terme à "la gestion patrimoniale de l’État", de promouvoir "une justice réhabilitée, indépendant et crédible", de "punir les auteurs de crimes" perpétrés durant le conflit de 2012-2013, de combler les lacunes du pays en matière d’éducation, de santé, d’accès à l’eau ou à l’énergie, le haut magistrat achevait son allocution par ce conseil avisé au nouveau président : "Méfiez-vous des rats des palais présidentiels."
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Mehdi Ba, envoyé spécial à Bamako
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