Pour les Juifs d’Éthiopie, l’exode en Israël, c’est terminé

Mercredi 28 août, le retour – l’aliyah – des Juifs éthiopiens en Israël prendra fin. Alors que les derniers Falashas préparent leurs valises, pour des milliers d’autres, l’accès à Israël sera désormais incertain.

Dans le centre d’aide de l’Agence juive de Gondar, les Falashas apprennent l’hébreu. © Antoine Galindo

Dans le centre d’aide de l’Agence juive de Gondar, les Falashas apprennent l’hébreu. © Antoine Galindo

Publié le 27 août 2013 Lecture : 3 minutes.

Sur le bord de la route, à quelques kilomètres de Gondar, dans le Nord de l’Ethiopie, une poignée de gamins hèlent les quelques 4X4 de touristes qui s’aventurent malgré la pluie battante. Deux grands panneaux disposés sur le bitume arborent une étoile de David bleue et annoncent le "village des Falashas". Mais des Juifs éthiopiens – les falashas – qui peuplaient il y a encore une vingtaine d’années le village de Woleka, il ne reste que le cimetière et le savoir-faire artisanal. Pour le reste, ce sont les Orthodoxes qui ont "repris le business" du tourisme, essentiellement en provenance d’Israël.

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Et si les citoyens de l’État hébreu continuent d’affluer à Gondar, capitale historique des Juifs d’Ethiopie, l’inverse ne sera bientôt plus vrai. Le 28 août, l’aliyah (le droit au retour des Israélites sur la terre sainte) aura pris fin pour les Falashas. Trente-huit ans après la reconnaissance de leur judéité par Israël.

Généalogie et amertume

Bénis ceux qui ont réussi à prouver à l’Agence juive – l’organe gouvernemental chargé de l’immigration en Israël – leur judéité avant cette date fatidique. C’est le cas de Bogalech Kasi et Kimen Addis. À soixante ans, toutes les deux, elles vont enfin pouvoir rejoindre leurs enfants, dont elles sont séparées depuis sept ans. Elles sont mariées à des orthodoxes, qui ont dû se convertir pour être autorisés à partir avec elles. De l’hébreu, elles ne savent dire que "shalom", "bonjour". Elles ne savent rien d’Israël, même pas la placer sur une carte. Lentement, elles se dirigent vers la salle de prière, pour l’office du matin. Entièrement enveloppées dans leur gabi, ces grands voiles traditionnels que portent les orthodoxes, elles peinent à dissimuler la croix chrétienne tatouée sur leur front. Qu’importe, elles ont tiré le ticket gagnant.

Qui sont-ils pour dire qui est juif ou non ?

Salomon* est professeur à l’école Beta Israël. Il parle couramment hébreu et connaît sur le bout des doigts la culture du pays auquel il aspire. Mais il se contentera de regarder les autres partir depuis le tarmac. Grand, fort, le regard triste et fixe, il déplore de n’avoir pas pu obtenir de visa, faute d’avoir pu prouver avec exactitude la religion de ses ancêtres. "Qui sont-ils pour dire qui est juif ou non ? Lorsqu’Hitler les a massacrés, il ne leur demandait pas avant si leurs deux parents étaient juifs", lâche Salomon plein d’amertume.

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Question complexe

Pour Asher Seyum, consul d’Israël à Gondar, la question est plus complexe. "Établir la judéité de quelqu’un n’est pas chose aisée. Il doit être en mesure de prouver sa généalogie. Or avec le temps, les falashas se sont mélangés aux chrétiens, ont baigné dans la culture orthodoxe, et toutes les familles prétendantes au départ sont désormais interconfessionnelles. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’aliyah prend fin. Ce ne sont plus des Falashas, mais des Falash Mura (des Juifs éthiopiens convertis au christianisme, NDLR)." Salomon n’est pas un cas isolé, et bien qu’aucun chiffre fiable n’existe, ils seraient encore entre 10 000 et 15 000 Juifs éthiopiens à Gondar, dont près de 8 000 resteront après le 28 août. Passée cette date, l’immigration se fera au cas par cas.

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Netcho, la voix posée et les épaules déjà carrées malgré ses 14 ans, explique que sa famille attendait "depuis sept ans l’autorisation de partir." Certains attendent depuis plus de 20 ans. Bientôt, Netcho mettra les voiles pour Israël. Son ami Temeskel n’aura pas cette chance. "Où pourrai-je continuer d’apprendre l’hébreu et de prier après ? Je ne sais pas si je pourrai émigrer un jour. C’est terrible. Certains en viennent à se droguer au khat. Ils sont dépressifs. D’autres rejettent même la religion, pensant que Dieu les a abandonnés", explique le jeune homme, engoncé dans un T-shirt imprimé d’une étoile de David. Pourtant, il connaît sa leçon par cœur : "Israël est un pays saint, développé, avec une armée puissante dans laquelle j’aimerais m’engager." Mais cette leçon ne lui servira bientôt plus. Dans deux semaines, l’école Beta Israël aura fermé ses portes. De même que la synagogue et le centre d’aide, où les derniers adultes en partance reçoivent péniblement quelques rudiments d’hébreu.

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Antoine Galindo et Justine Boulo, à Gondar

* Le prénom a été changé.
 

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