L’armée tunisienne face aux engins explosifs improvisés des jihadistes

Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l’histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l’université Johns-Hopkins, aux États-Unis.

Le mont Chaambi, dans le gouvernerat de Kasserine. © AFP

Le mont Chaambi, dans le gouvernerat de Kasserine. © AFP

Publié le 22 août 2013 Lecture : 3 minutes.

Ce billet lance le début d’une série consacrée aux forces armées tunisiennes.

Depuis le printemps 2013, l’armée tunisienne est confrontée à un ennemi inerte mais sournois, silencieux mais dangereux, facile à disséminer, mais difficile à repérer : les engins explosifs improvisés, ou EEI que les anglo-saxons désignent sous le vocable d’improvised explosive devices (IED). Traquer les terroristes qui se sont implantés dans la zone de mont Chaambi nécessite de neutraliser cet adversaire qui compte déjà à son actif une trentaine de blessés et de tués dans les rangs de l’armée et de la Garde Nationale.

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La mission complexe des ouvertures d’itinéraires

 Faute de blindés protégés contre les mines et les EEI, les militaires tunisiens ne disposent que des lourds chars M60, peu maniables sur les chemins escarpés et rares du mont Chaambi, susceptibles d’abîmer les revêtements des routes et dont l’élévation limitées des canons ne permet pas toujours d’atteindre des cibles en hauteur (sur des reliefs). Ceux-ci ne sont donc pas très bien adaptés pour ouvrir les routes ; restent alors les M113, les Fiat 6614 et les Hummer extrêmement vulnérables aux EEI, même relativement légers, et plus encore aux roquettes de RPG-7 dont sont généralement bien pourvus les jihadistes.

Expérience avec les engins de mort

La Tunisie est signataire de la convention d’Ottawa qui interdit l’usage et la possession de mines. Conformément à ce traité, le pays a détruit la plupart de ses 17 775 mines, n’en conservant que quelques-unes pour l’instruction. Ce faisant, elle a donc démantelé ses champs de mines face à la Libye. Les sapeurs du génie ont acquis une grande expérience du nettoyage de zones polluées par ces engins de mort, obtenant pour ce faire, grâce à l’aide internationale, plusieurs dizaines de détecteurs. Expérience qu’ils entretiennent encore via la neutralisation des obus, bombes, grenades et autres munitions héritées des combats de la Deuxième Guerre Mondiale.

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Mais, paradoxalement, cette expérience accumulée n’a qu’une valeur toute relative face aux EEI disséminés par les jihadistes. C’est une chose de déminer des surfaces clairement délimitées (même si l’enfouissement à des profondeurs variables, dans le sable, complique la tâche). S’en est une autre de le faire dans une zone boisée, accidentée, truffée de dispositifs piégés, où les fils sont difficiles à voir. Par ailleurs, comme en Afghanistan ou en Irak, les terroristes fabriquent leurs engins explosifs à partir de containers en plastique et avec de l’engrais. Peu ou pas de métal, donc, ce qui les rend difficiles, voire impossibles, à repérer avec des détecteurs classiques. En plus de cela, les sapeurs risquent à chaque instant de tomber nez à nez avec un adversaire expérimenté qui ne craint pas la mort, tapi en embuscade… L’armée tunisienne dispose bien de chiens, performant dans la traque des personnes. Cependant, ils ne sont pas entraînés au repérage des explosifs.

Déminage improvisé et matériel nécessaire

L’armée tunisienne utilise une méthode réputée peu efficace : elle démine à coups d’obus de mortiers…

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En conséquence de quoi, l’armée tunisienne utilise une méthode réputée peu efficace : elle démine à coups d’obus de mortiers… Le seul résultat tangible est d’incendier broussailles, arbustes et pins, ce qui permet aux jihadistes, masqués par la fumée et les flammes, d’échapper plus aisément à la traque dont ils sont l’objet ; sans empêcher les jihadistes de s’infiltrer la nuit, avec l’aide de sympathisants, de déposer de nouveaux EEI au bord des routes, des sentiers et d’user le moral des militaires par des pertes incessantes tout en les dissuadant de mener des patrouilles fréquentes… L’armée manque de moyens de surveillance nocturne ou par mauvais temps, comme des caméras thermiques (susceptibles d’être montées à bord d’hélicoptères). Des drones auraient également une grande valeur pour le contrôle d’une aire délimitée (100 km2) comme l’est le mont Chaambi.

Plus encore, les forces de sécurité souffrent de l’absence de capacité de la police scientifique tunisienne en matière d’investigation quant aux explosifs. Cette police scientifique existe, elle a même reçu en mai 2013 trois laboratoires mobiles, d’un coût de 140 000 euros, offerts par l’Allemagne. Mais ceux-ci ne servent à rien quant aux EEI. Former les policiers scientifiques à ce genre d’enquête est une priorité : poser des EEI exige toute une organisation. Trouver ceux qui les fabriquent, leurs ateliers est a priori plus simple que d’empêcher la pose des EEI ou encore, de les neutraliser. A condition de disposer des outils adéquats.

>> Retrouver tous les articles du blog défense de Laurent Touchard sur J.A.

>> Pour en savoir plus : consulter le blog "CONOPS" de Laurent Touchard

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